Chapitre 75 - Voyage en bande organisée
Jennifer marchait d’un bon pas. Fallait-il qu'elle annonce tout de suite qu'elle savait où se trouvait Clara et que Shany avait un remède pour la soigner ? Elle n'était pas à l'aise avec ça. Désormais l'urgence était surtout de lui qu'elle revenait sur New York pour le soutenir. Le reste, elle préférait avoir Patrick de visu.
Elle prit une grande respiration et composa le numéro de Patrick.
« Allo. Jennifer ? Je remue ciel et terre pour trouver Clara. J’ai prévenu tout mon calepin, j’ai signalé sa disparition. Et pour l'instant, je n'ai aucun résultat.
— Patrick, essaie de garder ton calme.
— Quoi ? Mais comment être serein alors que Clara est dans la nature ? »
Jennifer reconnaissait bien là les signes d’anxiété de son mari. Il respirait fort, l’angoisse, l’émotivité lui faisaient parfois péter les plombs et il pouvait être très blessant.
« Et toi, toujours ton problème de passeport ? »
Jennifer faillit remercier Patrick de changer de sujet de conversation. Elle avait elle-même les nerfs en pelotes.
« Non, nous réservons les billets et rentrons. Je t’envoie aussi les coordonnées et l’heure d’arrivée du vol Paris-New-York.
— Comment ça, nous ? Tu viens avec qui ?
— Euh... Avec Laurent Joly, l’écrivain. Il va procéder à des recherches concernant le tableau de Battaglini. Tu sais, nous avons débusqué des informations propres à faire avancer son bouquin. Il a son agence d’édition aux fesses. Il faut qu’il se magne pour finir son ouvrage dans les temps.
— Et ton âme fort charitable l’a invité chez nous, je présume ?
— Heu, oui. Je n’allais pas le laisser coucher à l’hôtel. Je suis certaine que sa personnalité va te plaire. Il est un peu comme toi, un peu soupe-au-lait. Mais quand tu l’as adopté, il est adorable. »
Dans l’espoir que Patrick ne s’irrite pas de la nouvelle, Jennifer tenta de donner maints détails.
« Je suis censé le prendre comme un compliment ? Allez, c’est mon grand jour de charité aussi. Je le prends bien.
— Merci, Patrick, tu es adorable.
— Mouais. Tu dis ça car tu as tenté de me calmer.
— J’ai pas trop mal réussi, non ?
— Moui, mais je vais te le faire payer cher.
— Cher comment ?
— J’y réfléchis. Alimente ta carte bancaire d’ici là.
— Ce n’est pas si onéreux que ça, finalement.
— Okay, on verra cela plus tard.
— Patrick ?
— Oui. Merci, je t’aime.
Sous sa carapace, Patrick était aussi un émotif qui ne savait pas toujours contenir ses émotions. Depuis combien de temps, Jennifer et lui ne s’étaient pas échangés de mots doux ?
— Moi aussi. Le devoir m’appelle, Jennifer, à bientôt.
Jennifer se sentit soulagée d'avoir eu cette conversation avec son mari. Elle se remit en marche à grandes enjambées vers l’appartement de Laurent. Elle entrevoyait de l’espoir. Le sourire aux lèvres, elle se sentait galvanisée par une énergie féroce.
Jennifer s'apprêtait à ranger son portable dans son sac à main mais elle reçut un SMS. C’était Gloria :
“Salut, ma chérie. Comment vas-tu ? Tu reviens quand ? Tu me manques. Tu vois, je t’écris pendant la nuit. Insomnie… Bref, les experts ont tiré les premières hypothèses concernant le tableau de Battaglini. Maintenant, avant de poursuivre leurs investigations sur les couches inférieures, ils demandent des preuves tangibles. Bien entendu, j’ai argué que ma vieille pote journaliste d’investigation me les fourniraient. Donc quand tu débarques dans la grosse pomme, pense à les apporter. Je t'embrasse. Ta glorieuse Gloria”.
Jennifer répondit :
“Toujours aussi modeste, je vois, surtout quand je suis loin. Rassure-toi, je rentre bientôt avec des preuves pour continuer l'analyse des sous-couches de la peinture. Il faut qu’on voie si on peut rendre public quelques lettres originales écrites entre le mécène et Battaglini. Enfin c’est un vrai mic-mac, je t’expliquerai. Plein de bises”.
*
Dans la chambre d’amis, Shany était assise sur le lit. Elle avait bien du mal à retenir ses larmes. Mais elle avait sa fierté, elle ne voulait pas montrer qu’elle pouvait pleurer. Sinon, cela pouvait signifier qu’elle avait quelque chose à se reprocher. Elle ne voulait pas que sa sœur doute d’elle-même si elle savait pertinemment qu’elle avait brisé la confiance que sa sœur lui portait.
Shany sentait qu’elle pouvait éclater en sanglots si elle restait seule à tourner en boucle comment se sortir de ce mauvais pas. Bien sûr, elle n’avait pas forcé sa nièce à quitter l’hôpital mais elle avait toutefois contribué à ce qu’elle soit réticente à la greffe. Elle s’était fourrée dans de beaux draps en compromettant au passage une de ses meilleures amies. Pour cette raison, Shany retourna dans le salon. Laurent, devant son mange-disque, passait des vinyles. John Coltrane le mettait en joie, il dansait sur My Favorite Things.
Pendant ce temps, Jennifer rentra à l’appartement galvanisée par sa conversation avec son mari. Elle avait tant espéré un retour sinon d’amour du moins d’affection. En bas de l’immeuble, Jennifer pressa sur le bouton d’appel de l’interphone. Laurent répondit à Jennifer et libéra la porte. Jennifer s’était précipitée pour monter les étages, montant les marches trois par trois. prit sa sœur dans ses bras.
— Merci, Shany. Grâce à toi, Clara sera certainement sortie d'affaires. Je ne sais pas si le remède sera suffisant pour la guérir. Si du moins, elle en est soulagée, c’est déjà un énorme point d’amélioration sur sa santé générale. Elle pourra vivre comme toutes les ados du monde.
Shany fut surprise de ce revirement de la part de Jennifer mais ne chercha pas à comprendre. Le tout était de retrouver sa sœur comme elle était.
« Allez, on les prend, ces billets ? Laurent et moi pour New-York et Milo pour Riomaggiore ? lança Jennifer. Bon, j’ai reçu des nouvelles de Gloria. L’équipe d’experts a réalisé une première étude des couches du tableau. Maintenant, ils attendent de voir des justificatifs papier. Pour le moment, ils ont reçu des photos de nos portables, ce n’est pas suffisant pour lever des fonds. Il faudrait qu’on leur montre des photocopies de qualité, voire qu’on montre des originaux, ça, ça va être plus difficile car il faut les envoyer par courrier et les faire assurer en tant qu’originaux. Dans un premier temps, les quelques photocopies que Enzo nous a autorisé à faire feront l’affaire. Gloria a assuré que je suis trop honnête en tant que journaliste d’investigation pour monter un tel mensonge. Si vous venez avec nous, notre démarche aura davantage de poids.
— Euh moi aussi je veux bien venir, fit Shany
— D'accord. répondit sa soeur. »
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