Chapitre 24
Chapitre 24
L'amour. S'il y a bien un domaine dans lequel je n'ai aucune expérience, c'est celui-ci. J'ai lu de nombreuses romances, vu des films et séries à l'eau de rose, des drames et des comédies romantiques, mais jamais je ne me suis dit que ce serait si étrange et difficile à définir.
Est-ce de l'amour que je ressens pour Louis ? Ce serait un peu rapide. Est-ce un coup de foudre ? Je ne suis pas certain que cela puisse exister. Peut-être que je devrais demander à Léonor ce qu'elle sait de l'amour. Après tout, c'est ma première confidente, et je ne me vois pas parler de ça avec Mum ! Bien sûr je ne compte pas mentionner Louis, je ferai en sorte de rester évasif.
Après le départ de Louis, je discute un instant avec Jonas. Il semble content d'être en France, je le sens épanoui et plein d'énergie. Il ne regrette pas vraiment l'Angleterre, et ses copains ne lui manquent pas autant que je l'aurais imaginé. Tandis qu'il dévore le dernier gâteau de la boîte, il me dit :
– Il a l'air cool Louis, en plus c'est un adulte ! Vous avez fait quoi pendant que j'étais pas là ?
– On a fait de l'anglais, petit curieux. Louis veut progresser et je l'aide, comme tes copains font avec toi quand ils t'apprennent des nouveaux mots.
– Tu crois que Louis veut partir vivre en Angleterre ?
– Je n'en ai aucune idée, mais je sais qu'il aimerait beaucoup aller à Londres.
– Pourquoi ?
– Tu n'auras qu'à lui demander la prochaine fois que tu le verras.
C'est une bonne question, et j'avoue que j'aimerais aussi en connaître la réponse. Je me remémore l'immense polyptyque au-dessus de son lit, dépeignant le Palace Theatre qui se trouve au cœur de Londres.
– Dis Nate, tu crois que …
– Qu'est-ce qu'il y a ?
– Tu crois qu'on reverra Papa un jour ?
Je savais que Jonas finirait par me poser cette question tôt ou tard. Je ne peux pas lui mentir, mais je peux encore le préserver.
– Papa travaille énormément et tu sais, Mum te l'a expliqué, ils sont séparés, c'est-à-dire que chacun habite une maison différente pour vivre plus tranquillement.
– Oui mais tu crois qu'il ne veut plus nous voir ?
– Non pas du tout ! Il a certainement très envie de nous voir, mais il travaille beaucoup et … tu peux toujours lui envoyer des messages et l'appeler.
Je sens Jonas que partiellement convaincu. En même temps, je ne me voyais pas lui annoncer que notre père avait quitté le foyer du jour au lendemain pour une autre femme, et qu'il était davantage intéressé par sa nouvelle relation que par ses enfants. Il m'est aussi très difficile d’imaginer le moment où Jonas apprendra que c'est moi qui suis à l'origine de son départ.
– Je vais lui écrire ce soir alors, j'espère qu'on le reverra pendant les vacances … ou avant.
Pas moi. J'espère ne jamais le revoir. Je feins un sourire et lui dis :
– C'est une très bonne idée, champion. Tu peux essayer de lui écrire en français, il sera content de voir tes progrès.
Ça fait longtemps que je n'appelle plus cet homme « Papa », enfin je le fais quand même devant Jonas. « Papa » est un homme dur, secret, solitaire et … menteur. Il a toujours délégué notre éducation à Mum, et n'a jamais réellement aimé partager des moments en famille. Il est ce qu'on appelle un « workaholic » - un bourreau de travail - très souvent absent du foyer mais adulé par sa famille et les autres pour les sacrifices qu'il consent. C'est vers mes sept ou huit ans que je me suis rendu compte de la distance qui nous séparait ; les innombrables attentions de Mum compensaient son inaptitude à nous démontrer une quelconque affection. Cela m'a même poussé à me demander si j'étais son fils biologique. Pas de doute à ce sujet. Hélas. Il nous hurlait souvent dessus sans raison et Mum n'osait rien dire. Au début je pensais qu'elle était d'accord et que nous méritions d’être disputés, j'ai compris seulement plus tard qu'elle le craignait et que son emprise sur elle était immense.
Après le repas du soir partagé avec Mum et Jonas, je décide de monter directement dans ma chambre pour regarder mes SMS. Léonor m'a écrit : « Alors Nate, tes oreilles ne sont pas tombées ? J'espère que Lou ne t'a pas traumatisé ». Je réponds à Léonor qu'il a été très studieux et que j'ai pris plaisir à l'aider.
Je serais presque déçu de ne pas avoir de nouvelles de Louis alors qu'on s'est quittés il y a seulement quelques heures. C'est étrange ce que je ressens : je suis heureux de savoir que lui et Marie ne sont pas ensemble, et pourtant il est improbable que je l'intéresse. J'ai envie de croire - ou de me persuader - qu'il existe une infime chance qu'il soit « comme moi ».
Je sors sa chemise de sous mon lit et la hume. J'adore son odeur.
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