Chapitre 124
MILAN
Le ciel est gris mais les conditions météorologiques sont convenables et favorables pour pouvoir voler. L'instructeur Munsch nous accorde un petit relâchement juste avant les fêtes de Noël et il a vérifié mes relevés météorologiques pour pouvoir me donner l'autorisation pour un tour en Rafale. La légère bise est très désagréable au point de transpercer ma combinaison mais l'excitation et l'adrénaline de mon second vol m'aide à oublier ce détail.
Mon pote se tient debout bien droit dos à moi devant le Rafale qu'il a l'habitude de piloter, je m'approche de son mètre quatre-vingts-dix et tape dans son épaule pour qu'il se retourne pour me faire face. Spencer m'empoigne la main pour me saluer et ses dents blanches dévoilent un sourire parfait.
- Prêt à rendre ton petit déjeuner El Pretencioso ?! Ricane t-il à pleins poumons. Avec mes manoeuvres tu ne tiendras pas ! Souviens toi de la dernière fois ! Haha !
- Je pourrai très bien te surprendre mon cher Spencer ! Tu me sous estimes là, crois-moi que ça n'arrivera pas.
Ma voix grave affirme mes propos et c'est un regard taquin que je lui lance tout en serrant plus fort ma main autour de la sienne. Mes co-équipiers se tiennent à côté de moi et je suis rassuré que nous ayons pu mettre les choses à plat et que tout soit redevenu comme avant.
- Allons allons que d'la gueule ! Tiens ! (Il me balance un casque qui me heurte les abdos, je pousse un râle rauque ne m'y étant pas préparé et le visse sur ma tête d'un geste confiant). Voyons ce que tu as dans le bide ! Rétorque t-il amusé.
Je m'apprête à me hisser dans le Rafale mais je suis coupé dans mon élan par la main de Gretel qui vient m'entourer le poignet. Je plonge mon regard dans ses yeux noisettes attendant ce qu'elle a à me dire.
- Sois prudent là haut murmure t-elle du bout des lèvres, j'observe celles-ci remuer avant de me concentrer dans son regard inquiet. On a besoin de notre co-équipier alors pas de folie !
- Pas de folie répondis-je pour confirmer mes propos. Je reviendrai sain et sauf ! J'ai confiance en mon pilote ! Iseline, Ludwig et toi vous serez là à la radio pour nous guider. Je compte sur vous moi aussi !
Je me surprends à tendre la main pour caresser le contour de sa joue et la naissance de son menton, une fois que j'ai réalisé mon geste je détourne le regard l'air indifférent pour ne pas lui montrer que sa présence et son côté attentionné m'a légèrement troublé. Surtout que j'ai l'impression qu'elle m'aime vraiment bien, Iseline lui lance un regard plein de taquineries et de sous entendus. J'entends Gretel râler un '' arrête ça ! ''.
- Si si je te jure ! Il y a vraiment quelque chose entre vous ! Et avoues ma belle que tu le kiffes El Pretencioso ! Continue Iseline.
Impossible d'entendre ce que lui répond ma co-équipière au caractère bien trempé, dommage pour moi. J'aurai été curieux de connaitre les pensées de la jolie Gretel Marx. Installé dans le Rafale je boucle ma ceinture et baisse ma visière. Le binôme de Spencer lui fait des signes par côté de la piste pour lui annoncer que tout est ok pour le décollage, je souffle bruyamment pris par beaucoup d'appréhension.
- C'est partiiiii ! Annonce Spencer en actionnant le levier pour mettre les gaz.
Qu'est-ce que j'aime entendre le bruit du moteur et des réacteurs qui préparent l'avion à détaler sur la piste de décollage. Mes doigts se crispent sur le rebord et la sensation d'être soulevé du sol à grande vitesse se répend dans tout mon corps. Je pousse un cri d'excitation '' Wouhhhhhhhhouuuu ! '' tout en profitant du paysage étant quasiment à la verticale. Mon coeur est sur le point d'exploser ne sachant pas ce que je vais subir une fois qu'on sera à un plancher suffisamment élevé. Dans le miroir Spencer est tout souriant et je vois ses muscles se gonfler pour redresser l'avion à l'horizontal, tout ses gestes sont parfaitements calculés et techniques.
- Un petit huit cubain ça te botte mon pote ?!
Un huit cubain, j'avoue que je ne sais absolument pas ce que c'est. Et pour ne pas paraître bête et complètement flippé j'exclame un grand '' ouais '' plein de confiance alors qu'en vrai il en est tout autre. Spencer se met à rire bruyamment tout en effectuant deux trois-quarts de looping avec un demi-tonneau en descente sur la partie arrière de chaque looping. Mon coeur se soulève de façon violente que cela me donne la sensation qu'il va sortir de mon corps, je pousse un hurlement pour chasser ce ressentit inconfortable. Les tremblements surgissent et sont incontrôlés, à ma tête, Spencer décide de se remettre en vol classique.
- Haha alors secoué mon pote ? T'as eu un bon haut le coeur ?! Hahaha !
Je ferme les yeux quelques secondes pour me ressaisir. Les gouttelettes de transpiration ruissèlent sous mon casque, mon visage est trempé et il en est tout autant pour mon dos ainsi que mon torse sous ma combinaison.
- MiL'ou je t'ai perdu non ? Demande t-il plus inquiet. Ça va mon petit ?
- Hum hum (j'affirme en secouant la tête).
- Olala t'es pas beau à voir ! Blanc comme un linge ! Comment tu te sens ?
Je souffle bruyamment sous la visière de mon casque, j'ai la sensation d'étouffer là dessous et ça m'a fait un peu peur cette figure aérienne dont je ne suis pas maître. La panique me tétanise, totalement dans l'incapacité de parler.
- Milan dis quelque chose ! S'il te plaît ! S'exclame Gretel à la radio. Milan ?!
J'essaye de me concentrer sur la voix de ma co-équipière, c'est débile mais elle m'apaise et m'aide à retrouver ma respiration. Je déglutis le noeud qui m'étouffait et lui réponds d'une voix toute étranglée.
- Mon coeur a failli lâcher surtout, c'est comme si... Il était en partie sorti ma poitrine ! C'est vraiment bizarre comme effet... Et je crois que j'ai un peu paniqué...
- C'est bien ce qu'il me semblait ! Répond Spencer en relançant un peu les réacteurs. C'est normal pour une première figure de ce type ! Et j'avoue que tu m'as impressionné ! Pas de malaise ni de tête dans le sac, chapeau El Pretencioso ! On va voler un moment le temps que tu reviennes à toi et ensuite je te ferai tester l' Immelmann ! On dit qu'elle aurait été inventée pendant la Première Guerre mondiale par l'allemand Max Immelmann !
Un quart d'heure après, Spencer effectue la figure avec aisance en un demi-looping avec un demi-tonneau lors de la montée, il m'explique que c'est une acrobatie de base utilisée dans les spectacles aériens et qu'elle présente de l'intérêt en combat aérien. Je finis par trouver de l'amusement à être secoué et retourné dans tous les sens, nous poussons des cris de joie et de bonheur d'être là haut dans le ciel.
- Bon es-tu prêt à subir une belle vrille bien intense ? Me demande t-il. Tu as le droit de me dire non aussi. Il faut savoir qu'elle a forcément un impact sur le corps du pilote et de son équipier. J'aime bien tester mes limites !
- On peut essayer oui...
- Ok je vais remonter un peu dans les airs ! Il faut être très haut dans le ciel pour pouvoir rétablir rapidement.
Spencer s'engage dans une vrille avec des rotations importantes que nous encaissons avec violence. Les vrilles dégénèrent en général en graveyard spirals (virages engagés) qui sont l'objet de puissantes accélérations. Mon physique est maltraité, je me sens désorienté et fatigué et vu les yeux plissés de Spencer et son air étourdit je pense qu'il se trouve dans le même état que moi. Ma tête tourne, c'est abominable.
- Comment t'as regardé la météo toi ?! Me gronde Spencer. La panique se ressent dans sa voix. Je n'arrive pas à redresser ! Je n'arrive pas à redresser ! Putain qu'est-ce qui se passe ?! (Je rigole nerveusement croyant à une plaisanterie). Je ne rigole pas ! Qu'est-ce que t'as foutu ?! Tu veux notre mort ?! C'est quoi ce vent ?!
- Putain mais non je n'ai rien fait ! Je t'assure que j'ai tout fait correctement ! J'ai même fait vérifié à L'instructeur Munsch ! Je t'assure tout était nickel ! On a regardé plusieurs fois et mes co-équipiers m'ont eux aussi assuré que c'était bon ! Je ne suis pas aussi con de prendre un tel risque et arrête de me gueuler dessus !!!!
- Assez ! Jeunes hommes ! Nous rappelle à l'ordre Munsch. Gardez votre sang froid ! Spencer essayez de ne rien faire et de lâcher les commandes, l'avion va retrouver son assiette !
- Déjà fait et ça ne fonctionne pas ! Hurle Spencer. Y a rien à faire on va s'écraser ! On va s'écraser !
- Messieurs calmez vous ! Ressaisissez vous Spencer ! Et redressez le Rafale !
Spencer tente de redresser les commandes mais elles résistent, le Rafale se redresse légèrement avant de reperdre tout contrôle. Des voyants s'allument et clignotent sur le tableau de bord c'est généralement pas bon signe et le vent souffle de plus en plus fort au dessus de Nancy.
- Réacteur défaillant crie Spencer. Je ne vais rien pouvoir faire !
- Il va bien falloir lui hurle dessus Munsch. Vu le prix que coûte un avion de ce type il est hors de question que vous vous éjectiez sans avoir attendu la dernière minute. Donc faites en sorte que ça fonctionne !!!
- Vent à 150 km/h annonce Ludwig. Mais quand allez-vous faire quelque chose instructeur ?! Il me semble que leur vie est plus importante que celle de ce Rafale !
Spencer maltraite les commandes pour tout faire pour redresser, je l'entends donner notre altitude qui diminue en chute libre tout comme l'avion dans lequel nous nous trouvons. Je ferme les yeux pour que mes dernières pensées aillent vers ma famille, je me coupe du monde en les imaginant dévastés par la perte d'un fils, d'un frère lors d'un crash de Rafale. Mes yeux commencent à me piquer à me donner une vision floue sur le cockpit ayant en tête le visage de Lou que je n'ai aucune envie de voir en deuil. Je serre les dents pour ne pas m'effondrer en larmes et me remets pleinement dans la réalité où ma vie est grandement en danger. La radio crépite, bientôt elle ne nous captera plus. Mes co-équipiers crient de panique et semble s'embrouiller avec Munsch qui persiste à vouloir sauver l'avion plus que les deux personnes qui sont à bord. Je n'ai que dix-huit ans, beaucoup trop jeune pour rendre l'âme.
- Il.....(mots coupés par la radio qui passe très mal)... Ejecter (capte plus) ... Plus vite ! S'exclame Munsch. Trop tard... Redresser ! Vous........................ m'entend............... Scrrrrrisss scrisssss scrissssssssssssssss... (Silence total à l'autre bout).
Seuls au milieu du ciel, il va falloir que l'on se démmerde pour un atterissage brutal. Sauf que problème c'est à moi de nous ejecter et même si j'ai lu quelques bouquins sur le fonctionnement d'un Rafale et ses différentes commandes il se trouve que je n'en suis pas capable. Je n'ai pas les connaissances ni les compétences d'un pilote et de son équipier.
- Milan, je compte sur toi. Toi seul peux nous sortir de là... (Sa voix est calme). Tu vas faire en sorte que l'on s'en tire. Respire MiL'ou ça va aller, on a plus beaucoup de temps pour le faire. Tu vas appuyer sur le petit bouton rouge ! Derrière au dessus de ta tête !
- T'es marrant y'en a pleins !
- Ne t'énerve pas et essayes de ne pas avoir peur, je vais te guider ! Moi aussi je meurs de trouille mais on va y arriver ! Avec de la communication ça va aller !
Je désigne un bouton hésitant l'index tout tremblotant pointé dessus. Puis un autre, raté ! Avec un peu de chance c'est sûrement celui-ci. Après l'accord de Spencer je l'enfonce d'un geste mal assuré.
- C'est bien MiL'ou ! Maintenant tu saisis la poignée juste au dessus de ta tête ! Oui celle-ci et de toutes tes forces tu la tires vers toi ! Dès que tu sens la propulsion du siège tu la lâches vite ! Vas y d'un coup sec et elle est un peu dure !
Je secoue la tête, suant avec abondance sous mon casque et ma tenue. Mes mains encerclent la poignée, j'inspire puis souffle tout l'air accumulé dans mes poumons en actionnant la poignée qui ne résiste pas sous ma force. Mon pilote est le premier éjecté puis je suis le mouvement complètement décollé de l'avion. La puissance de l'ejection est violente, je sens ma nuque avoir un fou mouvement.
Ma vision devient toute noire, je sens juste mon corps retenu par le parachute attelé dans mon dos. Mes pieds pendent dans le vide. Un splash assourdissant suivit d'une explosion me fait reprendre connaissance en ouvrant faiblement les yeux pour voir l'avion en feu à une trentaine de mètres plus bas avant de les refermer.
Mes jambes heurtent une surface glaciale dans un nouveau '' splash ''. Le froid se répend dans mes veines et la totalité de mon corps inerte pour le plonger dans un endormissement profond.
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