I : Vol de magie

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Le serpent sortit de sous la porte de la chambre. Bien qu’il fût plus large que l’espace laissé entre le battant et le sol, il passait sans problème : son corps s’écrasait et s’étalait pour s’adapter aux dimensions de l’intervalle. Une fois qu’il se retrouva de l’autre côté, il reprit une forme normale. Il examina alors les lieux. Ce n’était qu’une cellule d’eunuques, équipée d’un lit, d’une table, d’une chaise, d’une petite penderie et d’une crédence. La coupe des meubles était simple, sans ornementation, mais leur surface était polie et vernie au point de briller tel un miroir.

Ce qu’il cherchait devait certainement se trouver dans ce dernier meuble. Comme le propriétaire des lieux ne comptait pas l’utiliser souvent, le serpent estima qu’il l’avait rangé dans le compartiment supérieur, difficilement accessible. Il entreprit de l’escalader. Une fois en haut, il l’examina pour trouver comment l’ouvrir. Les portes étaient mieux ajustées que celle de l’entrée, mais il restait un espace minuscule, à peine plus large que l’épaisseur d’un ongle destiné à leur permettre de bouger sans frotter. Il suffirait.

Le serpent se liquéfia, formant une flaque de gélatine sur le sommet du meuble. Elle commença à couler vers le bas. Au lieu de goutter au sol, elle s’infiltra entre le montant et le battant. À l’intérieur, elle retrouva sa forme serpentine.

Le contenu était bien rangé. Le voleur n’aurait aucun mal à l’explorer. Il trouva ce qu’il cherchait dans la troisième boîte : une multitude de billes et une bague en cuivre, au chaton de quartz fumé. Il avala le bijou et quelques-unes des billes.

De l’intérieur, le mécanisme de la serrure était apparent. Il se liquéfia partiellement, l’enveloppa et l’actionna. Malheureusement, une fois dehors, il ne pourrait pas la refermer. Il se contenta de repousser les battants.

Avec son estomac rempli, il ne pourrait pas ressortir comme il était entré. Il opta pour une autre technique. Son corps se liquéfia à nouveau puis se solidifia sous une forme différente : celle d’un pigeon. Perché sur le sommet du meuble, il se mit à roucouler. Une domestique ne tarda pas à venir.

— Que fais-tu là, sale bête ! s’écria-t-elle. Tu vas tout cochonner. Maître Chenlow ne va pas être content.

Elle ouvrit la fenêtre en grand et entreprit de chasser l’oiseau à l’aide de grands mouvements des bras. Sans demander son reste, celui-ci s’envola.

Un instant plus tard, le métamorphe tapait du bec sur une vitre de l’aile du harem. Quand le battant s’écarta, il entra. Il voleta jusqu’à la table. Deirane le suivit des yeux. Puis elle le rejoignit pendant qu’il régurgitait le résultat de sa prise.

— Voyons ce que tu as rapporté, murmura Deirane.

Elle ramassa les différents objets et les examina. Pendant ce temps, l’oiseau changea d’aspect, sans s’étaler en une masse liquide comme précédemment. Il adopta la forme d’une boule d’où émergèrent des membres et une tête. Un instant plus tard, un louveteau se tenait sur le plateau. Il poussa un glapissement destiné à attirer l’attention de sa maîtresse.

— C’est parfait, lui répondit Deirane, tu as bien travaillé.

Elle ponctua ses paroles d’une caresse qu’il accueillit avec des jappements joyeux. Il se mit sur le dos. Deirane ne put résister au désir de câliner ce petit ventre soyeux. Puis elle le prit dans ses mains, le souleva et lui déposa un baiser sur le museau. En retour, le chiot lui donna un coup de langue sur le nez. Elle rit avant de le reposer à ses pieds. Il se mit à sauter joyeusement autour d’elle pendant qu’elle rangeait ses nouvelles acquisitions dans une boîte qu’elle cacha au fond du tiroir de la commode qui abritait ses sous-vêtements. Les jumelles ne le fouilleraient jamais. Cela ne durerait pas. Bientôt, comme tous les enfants, elles voudraient imiter les grandes. Et un harem ne constituait pas l’environnement idéal pour donner le bon exemple en matière vestimentaire.

— Je vais sortir, dit-elle au louveteau.

À la manière d’un chat, celui-ci se frotta contre la jambe de sa maîtresse avant d’aller se coucher. Ce détail lui rappela que malgré les apparences, cet animal n’était pas un loup. Ce n’était même pas un animal d’ailleurs. Il lui avait été donné par Matak, le feytha qui se faisait passer pour un dieu et vivait dans les sous-sols du palais. Blaid était le rejeton de Matak. Il lui avait insufflé un esprit vierge dans lequel il avait glissé un amour inconditionnel envers Deirane et lui avait ôté les penchants de puissance qui avaient fait les malheurs de ce monde presque une centaine d’années plus tôt.

Deirane lança un dernier coup d’œil affectueux sur la petite silhouette roulée en boule, les pattes lui cachant le museau. Il ressemblait vraiment à un chiot. Et tout son entourage le prenait comme tel. Personne, pas même Dursun, ne se doutait de sa nature. Un léger sourire sur les lèvres, Deirane quitta sa chambre.

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