X : Expédition matinale - (2/2)

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La porte de la suite s’ouvrit soudain. Quelqu’un entra. Un petit groupe si Deirane en jugeait par le nombre de voix, et parmi elles, elle reconnut celle de Mericia. Un instant, elle paniqua. Elle avait bien verrouillé le loquet pourtant. Elle faillit refermer le tiroir brusquement, ce qui aurait alerté les concubines. Elle se reprit à temps. Elle agit en douceur pour ne pas faire de bruit. Puis elle réfléchit. Qu’allait-elle faire ? Elle était déguisée en domestique. Si elle se comportait comme telle, elle n’avait aucune raison d’être découverte.

Deirane voulut emporter le vase de fleurs afin d’en changer l’eau. La porte qui aurait dû se trouver à la tête du lit était absente. Elle n’y avait pas pensé, la situation centrale de la suite la spoliait d’une salle de bain privée au profit d’une plus grande taille. Elle posa les fleurs sur une commode et fouilla dans les placards. Dans l’un d’eux, elle trouva un sac. Elle y mit les draps, elle ramassa les vêtements sales — ce ne fut pas long vu la propension de Mericia à ne porter qu’un pagne en journée — puis elle refit le lit avec du linge propre découverts lors de son exploration des lieux. En un instant, la chambre fut impeccable. Elle n’avait pas perdu la main depuis l’époque où elle vivait dans la ferme de son père. Sa mère, une maniaque de l’ordre, avait l’habitude de balancer par la fenêtre tout ce qui n’était pas correctement rangé. Deirane avait appris très vite à faire le ménage.

Quand elle estima que les lieux pourraient résister à l’inspection la plus pointilleuse, elle souleva le sac pour l’emporter avec elle. Elle allait devoir affronter les concubines. Devant la porte qui menait au salon, elle hésita. Elle prit une grande inspiration avant de tourner la poignée. Puis elle sortit de la chambre. La plupart ne se préoccupèrent pas d’elle, continuant leur discussion. Mericia se contenta de la suivre du regard sans cesser de parler.

Toutes sauf une. Une lieutenante de Mericia s’était désintéressée de ses semblables et surveillait attentivement Deirane. Alors qu’elle allait quitter la suite, elle l’interpella :

— Un instant. Reste ici.

Ce que craignait Deirane était arrivé, elle avait été remarquée. Elle se tourna lentement face à la jeune femme, une brune aux longues jambes, mais à la poitrine menue.

— Comment t’appelles-tu ? demanda-t-elle.

Deirane hésita. Elle ne pouvait donner son vrai nom et aucun ne lui venait à l’esprit.

— Cleriance, dit-elle enfin.

Mericia s’était interrompue à son tour et examinait Deirane.

— Cleriance répéta la suivante. Joli prénom. Pose ce sac et approche.

— Gadel, intima Mericia, laisse-la tranquille.

— Pas question. Tu as vu ce visage, et ces jambes. Et je parie que ce qui se cache dans ce corsage est encore mieux. Tu m’as fait renoncer à Tea, celle-là, je me la garde.

— Gadel !

La voix de la concubine claqua tel un fouet.

— Tea se donnait à toi parce que tu la terrorisais. Elle celle-là aussi. Alors arrête tes bêtises !

Puis elle s’adressa à Deirane sur un ton plus calme.

— Tu peux partir. Ne te préoccupe pas de Gadel.

— On se retrouvera, promit Gadel.

— Ce jour-là, tu auras le droit de la frapper pour défendre ta vertu.

Soulagée, Deirane prit le sac et sortit de la suite. Avant de refermer la porte derrière elle, elle aperçut la dénommée Gadel qui boudait.

Un instant, Deirane s’appuya au mur pour reprendre son souffle. Soudain, elle pensa au sort. Il n’avait qu’une durée limitée. Elle ne savait pas combien de temps il lui restait avant de retrouver son vrai visage. Croiser Deirane en costume de soubrette dans les couloirs ne manquerait pas de revenir aux oreilles de Mericia. Et elle n’était pas une idiote. Elle comprendrait vite qui était cette domestique maladroite qu’elle avait trouvée chez elle. Sous la panique, elle se mit à courir en direction de sa suite. Elle monta les marches quatre à quatre. Elle était essoufflée quand elle arriva en haut. Elle prit une mèche de cheveux. Ils avaient déjà commencé à s’éclaircir. Elle devait se dépêcher, dans un instant, le sort prendrait fin.

Elle entra dans le couloir qui menait à sa suite et referma les lourdes portes derrière elle. Elle était en sécurité. Autrefois, Cali empruntait cette voie, mais depuis son décès, plus personne en dehors de ses alliés ne le traversait. Sauf les domestiques. Et les amantes de Dursun. Elle risquait encore d’être surprise. Heureusement, son appartement était le premier de l’aile. Elle se permit de le rejoindre posément. Une fois la solide porte de pin noir refermée, elle avait vraiment atteint la sécurité. Elle lâcha enfin son sac de linge et déposa son butin sur la table. Puis elle ôta sa tenue qu’elle laissa en tas sur le sol. Elle se demanda comment elle allait la faire réintégrer la garde-robe de Loumäi sans attirer l’attention de la jeune femme. Elle ne pouvait pas rependre un uniforme froissé dans l’armoire. Ni davantage la faire disparaître, elle aurait manqué à Loumäi. Elle décida de la mettre avec les vêtements sales. Plus tard, Dursun dormait sur une chaise qu’elle avait tirée devant le passage vers la chambre. Elle lui bloquait l’accès au panier à linge. Elle ne pouvait pas plus rejoindre sa penderie pour s’habiller.

Deirane s’installa à la table et examina les objets qu’elle avait rapportés. La moisson était maigre. Elle se limitait à un bracelet d’identité d’adulte signé par Larsen et un d’enfant — celui de Mericia certainement — approuvé par Ksaten. Deirane connaissait Ksaten, elle l’avait rencontré lors de sa visite au début de cet hiver volcanique. C’était une guerrière libre réputée pour sa sévérité. Elle avait prononcé quelques mots durs à son encontre avant de s’amadouer. Authentifier le bracelet d’une enfant semblait loin de ce dont on s’attendait de sa part. À moins qu’elle ait connu les parents. Cela aurait expliqué pourquoi des gens qui n’avaient jamais mis les pieds en Helaria portaient ce document. Mais qui étaient ces parents pour qu’une guerrière libre leur délivrât un tel sauf-conduit. Ces objets étaient importants pour les Helariaseny. Ils ne plaisantaient pas avec et n’en donnaient pas à n’importe qui, uniquement à ceux qui résidaient sur leur territoire et s’y installaient durablement. Voilà un mystère à proposer à la sagacité de Dursun.

Elle prit le second bracelet, plus intrigant. Il était cassé. Il n’en restait plus que les deux extrémités, maintenues en ensemble par son fermoir. Quelque chose l’avait coupé net le fil. L’habitude helarieal de fixer chaque perle par un nœud avait permis de conserver une partie du message. Bien peu hélas. Elle en était à ce point de ses investigations quand la chaise bougea. Deirane tourna la tête. Dursun s’était réveillée.

— Charmant spectacle, constata-t-elle en bâillant. Trop rare malheureusement.

— Arrête de dire des bêtises. Tu me vois tous les jours à la piscine. Aide-moi plutôt à comprendre tout ça.

Dursun ramena ses longs cheveux noirs en arrière. Puis elle entreprit de rejoindre Deirane. Cette dernière remarqua à quel point l’adolescente mignonne qu’elle était quelques mois plus tôt seulement s’était transformée en une superbe jeune femme. Une petite jeune femme, elle était à peine plus grande que Deirane et ne grandirait plus. Cela ne diminuait en rien sa beauté. Malheureusement, le boitement prononcé que son genou brisé lui infligeait en gâchait l’effet. Quand elle passa derrière elle, Deirane se raidit, mais Dursun se contenta d’une caresse légère sur les épaules avant de se tirer une chaise et de s’asseoir à côté d’elle.

Dursun avait changé. Quelques mois plus tôt, elle n’aurait pas manqué d’essayer de profiter des charmes de Deirane. Mais elle avait mûri. Aujourd’hui, elle ne tentait plus d’inciter son amie à la suivre dans ses penchants. Elle avait aussi cessé ses allusions continuelles qui finissaient par devenir gênantes. Elle se contenta, après un bref coup d’œil sur la nudité de Deirane, de s’asseoir.

— Voyons cela, dit-elle, nous avons donc un bracelet d’adulte cassé et un bracelet d’enfant intact.

— Le fermoir est brisé, lui fit remarquer Deirane.

— En effet, mais le sceau est toujours présent.

Elle le tourna vers elle pour le lire.

— Varsen, déchiffra-t-elle.

— Larsen, corrigea Deirane.

— Désolée. Je confonds constamment le L et le V. J’ai déjà entendu ce nom.

— C’est un joaillier helarieal assez réputé. Je suis sûre que parmi tes bijoux tu en possèdes au moins un signé de sa main. C’est aussi le père de Saalyn.

— Nous pouvons donc affirmer que ce bracelet appartenait à un apprenti bijoutier.

— Pas forcément un apprenti, informa Deirane. Même un maître doit faire valider son bracelet par un autre maître. Calen m’a raconté un jour que si Wotan en personne avait validé le bracelet de Ksaten, c’était parce que celui de Vespef l’avait été par Saalyn.

— Un échange sœur contre apprenti en somme.

— C’est cela. Mais ce n’est pas le plus intéressant. Ce que je cherche à savoir, c’est le nom du porteur.

— Avec ce qui reste, comment veux-tu que je trouve ? On n’a plus que les deux dernières lettres.

Dursun l’examina un instant.

— Montre-moi le tien.

Deirane lui passa son poignet gauche. Dursun tourna le bracelet de façon à lire le texte encodé par une suite de perles de forme et de couleur différentes : l’alphabet helarieal ancien.

— Aucune de ces deux lettres ne figure dans ton nom. Ce n’est pas évident.

— Mais la dernière apparaît dans le nom de mon père.

— Tu as raison. Mais avec un S, on ne va pas aller loin. Je connais au moins une dizaine de prénoms stoltzal qui se terminent par S. Et puis, rien ne dit que le porteur venait d’Helaria. Toi même, tu en as un.

— Essayons l’autre, il est en meilleur état, proposa Deirane.

— Je vois des lettres en commun, on devrait y arriver.

Elle poussa sa chaise pour se lever.

— J’y vais, l’interrompit Deirane, dit moi ce que tu veux.

— Juste de quoi écrire.

Deirane se leva. D’un tiroir de son buffet, elle sortit une chemise cartonnée qui contenait quelques feuilles blanches et un crayon. Quand elle était arrivée au harem, un tel objet n’existait pas. Lors de son expédition en Helaria, Naim en avait ramené quelques-uns. Brun les avait distribués aux maisons de négoces en vue de le reproduire. Et c’était Venaya la première à y être parvenue. Et s’ils ne présentaient pas la perfection de ceux que fabriquait la Pentarchie, ils étaient fonctionnels.

Deirane retourna sa place. Dursun étala une feuille blanche devant elle. Elle reprit le poignet de Deirane dans la main et commença son déchiffrage.

— La première lettre, on la retrouve six fois dans le mot. Et elle figure également sur le tien. C’est un A.

Elle dessina six fois la lettre sur la page en laissant des espaces pour compléter le mot.

— La suivante elle est chez toi aussi. On le rencontre aussi à la fin du nom.

Elle traça la lettre N dans un trou et tout à la fin du nom.

— La suivante, on l’a déterminée sur l’autre bracelet, c’est un S. Deux fois. Puis nous avons un I et un R.

Deirane regarda le nom commençait à prendre forme : ANAS-ASIA -ARA---N.

— Il manque des lettres, fit remarquer Dursun, mais le mot me semble évident.

— Anastasia Farallon, compléta Deirane. C’est donc son bracelet personnel.

Dursun examina les deux bracelets.

— Il ne reste plus qu’à comprendre pourquoi l’Helaria a donné un tel bracelet à Mericia.

— À Anastasia, pas à Mericia, corrigea Deirane.

— J’ai une idée, intervint Dursun. Saalyn et Mericia partagent beaucoup de points en commun. Saalyn fréquentait beaucoup la cité de Miles et était amie avec la famille régnante. Or tu possèdes un recueil des chansons de Saalyn. Tu devrais chercher si un texte ne se rapporte pas à Mericia. Elle a peut-être pu évoquer leur lien dans ses créations.

— C’est une bonne idée, reconnut Deirane.

Elle se leva et se dirigea vers l’étagère qui accueillait les rares livres qu’elle possédait. Elle en sortit un qu’elle commença à feuilleter.

— Tu devrais t’habiller d’abord, suggéra Dursun.

Deirane rougit. Elle rangea le livre.

— Je prends la salle de bain en premier, déclara-t-elle.

Elle s’enfuit en direction de la chambre, ramassant au passage la tenue de soubrette qui traînait toujours sur le sol.

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