XVIII. Ksaten - (1/2)

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Naim se tenait assise sur le petit banc depuis plus d’un monsihon. Elle surveillait le porche qui perçait le mur depuis des heures. Elle observait les allées et venues. De toute évidence, l’ambassade n’était pas un lieu fermé aux étrangers. Elle voyait autant d’Yriani que d’Helariaseny entrer et sortir par le passage. Les deux gardes ne menaient qu’un contrôle succin. Il y avait certainement de meilleures défenses à l’intérieur. Sernos n’était pas un territoire hostile, mais ils n’y étaient pas à l’abri de l’acte d’un déséquilibré. Il était vrai que d’après Deirane, une garnison y était basée.

Son attention fut un instant détourné par un enfant qui semblait trop s’intéresser à son sac, posé à ses pieds. Elle le regarda droit dans les yeux, faisant non de la tête et tapotant la belle épée de cuivre couchée en travers de ses cuisses. Cela dissuada l’apprenti voleur. Il allait faire demi-tour, quand d’un geste de la main, elle lui fit signe d’approcher. Il hésita entre la fuite et la curiosité. Il avait compris que Naim n’était pas agressive, mais elle était costaude et elle portait une épée bien grande. Elle fouilla dans sa poche et en tira une pièce d’un cel. Il était appâté. Il s’avança vers la Naytaine. Elle referma les doigts sur l’objet de sa convoitise.

— Elle est à toi si tu me rends un petit service, proposa-t-elle.

— Je dois tuer qui pour ça ?

La répartie du garçon la fit rire.

— Personne, répondit-elle. J’ai juste besoin que tu ailles vérifier quelque chose là-dedans et que tu me dises ce que tu verras dans les moindres détails.

De la main, elle désigna la porte de l’ambassade.

— Un boulot d’espion ? Pour un cel seulement ?

— Tu étais prêt à tuer pour cette somme.

— C’est pas pareil. Tuer c’est facile. Je suis petit, on ne se méfie pas de moi.

Elle lui tendit la pièce.

— Ceci n’est qu’un acompte, tu recevras la suite quand j’aurai mon rapport.

— Qu’est-ce qui me prouve que vous avez d’autres pièces ?

Sans répondre, elle fouilla dans sa poche et en tira une nouvelle qu’elle avait identifiée par la taille. Quand le garçon la vit, il ouvrit de grands yeux.

— Vous êtes sûr que je dois tuer personne ?

— Ce serait contraire aux préceptes de Meisos comme de Deimos. Les deux abhorrent le meurtre, bien que pour des raisons différentes.

Devant son air, elle regarda la pièce qu’elle avait tirée. Du fer. Elle s’était trompée dans l’identification, choisissant une pièce de cinq cels. Voilà une mission qui allait lui coûter cher. Tant pis, elle avait promis. Elle aurait dû faire plus attention.

De son côté, le garçon imaginait ce qu’il allait pouvoir faire avec une telle somme. Il aurait de quoi se nourrir lui et sa petite sœur pendant un douzain. Il pourrait même louer une paillasse et dormir avec un toit au-dessus de la tête. Peut-être qu’il pourrait acheter une robe neuve à sa sœur. Elle avait grandi depuis la dernière fois, l’actuelle ne lui descendait pas plus bas que les mollets. Cinq cels, il allait perdre un peu quand il allait changer la pièce pour obtenir de la petite monnaie. Mais il allait quand même lui en rester beaucoup.

S’arrachant au spectacle envoûtant, il fit demi-tour. Il n’hésita qu’un bref instant, avant de s’engager entre les battants ouverts, passant crânement devant les gardes. Les deux étaient edorians. Par les temps qui courraient, il faisait trop froid pour que les stoltzt restent longtemps à l’extérieur. D’ailleurs, pour les aider, un poële de fortune avait été installé juste derrière le mur d’enceinte. Ils allaient s’y réchauffer alternativement pendant que le second surveillait les badauds. Ce dernier l’interpella le garçon.

— Où vas-tu comme ça, mon garçon ?

— Acheter une robe pour ma sœur, répondit-il.

Il montra la pièce qu’il avait en main.

La sentinelle connaissait ce genre de gamin abandonné à lui-même. Autrefois, ils étaient rares. Mais depuis les dérèglements du climat, il y a quelques mois, ils devenaient fréquents.

— Va chez Kusalis de ma part, il te fera un prix. Et passe au réfectoire en repartant prendre à manger pour ta sœur et toi.

Le mot « manger » éveilla un bref éclair dans les yeux du garçon. Même avec de l’argent, trouver de la nourriture était difficile. Il n’allait certainement pas laisser passer cela.

— Merci. De la part ?

— Ruxen.

— Je n’oublierais pas.

Le garçon disparut dans l’ambassade, se dirigeant vers la zone commerciale.

Il mit plusieurs calsihons à revenir faire son rapport. Il portait avec un sac alors qu’il était entré les mains vides. Naim ne fit aucune remarque, les Helariaseny avaient dû lui donner de quoi manger.

— Tu en as mis du temps, reprocha Naim.

— C’est grand là-dedans. Tu savais qu’il y a plein de boutiques ?

— Je le savais oui.

En découvrant que ce qu’il prenait pour une grande révélation n’en était pas une, son sourire gouailleur s’effaça. Mais il revint bien vite.

— Alors, qu’y a-t-il derrière cette porte ?

— Des boutiques, je l’ai dit.

— Je ne t’ai pas envoyé pour espionner le quartier commercial, mais l’ambassade.

— Ah ça.

Il fit une pause, ménageant ses effets.

— Il y a une cour, avec au fond une grande maison, à droite une écurie et à gauche un bâtiment avec des soldats.

— Une caserne ?

— C’est ça.

— Et des soldats, ils sont tous dans la caserne.

— Non, il y en a dans la cour. Ils s’entraînent. Même qu’ils se sont mis torse nu pour ça.

— Torse nu, dans la neige.

Le garçon hocha la tête.

— Et il y a des femmes parmi eux. Ils se roulent tous ensemble dans la neige. Plein de gens se sont arrêtés pour les regarder. C’est dégueulasse.

— Et ils ont des armes ?

— Non. Sauf la femme qui les commandes. Elle, elle tient un grand bâton. Mais elle ne s’en sert pas.

— Ce sont des stoltzt ou des edorians.

— Je ne sais pas. Je ne sais pas les reconnaître de loin.

Le jeune homme qu’elle avait tué en Honëga était un edorian. Elle espérait que les soldats soient plutôt des stoltzt. Elle attendait plus de clémence de leur part. Même si elle doutait que cela changeât réellement quelque chose.

— Un dernier détail, combien sont-ils ?

— Je les ai comptés. Vingt-quatre. Plus la femme qui commande.

— Parfait, tu as bien gagné ton salaire. Tends la main.

Il obéit. Elle versa dedans une pluie de piécettes en os. Il regarda, surpris, le contenu de sa paume.

— J’ai pensé que de la petite monnaie serait plus facile à utiliser pour toi.

Il était déçu de ne pas avoir la grosse pièce. Mais elle avait raison. En plus, il pourrait en cacher une partie et ne garder que le minimum sur lui, pour éviter de tout perdre s’il se faisait rançonner par les plus âgés. Après avoir vérifié la somme, il fit disparaître le tout dans une poche.

— Ça a été un plaisir de travailler pour vous, lâcha-t-il.

Puis il s’enfuit en courant. En un instant, il avait disparu dans les rues entourant la place.

Naim resta encore un instant assise sur son banc à observer l’ambassade. Enfin, elle se décida. Elle n’avait pas le choix. Elle avait un mandat d’arrêt à son nom. Elle devait le faire sauter. Et les guerriers libres avaient le droit d’opérer à Sernos. Si elle restait trop longtemps à cette place, elle finirait par attirer leur attention. Et il ne fallait surtout pas que ce soit eux qui l’arrêtent.

Elle se leva, fixa son épée dans le dos, enroula son écharpe étroitement autour de son cou et s’engagea à travers la place. Elle passa devant les deux gardes sans s’arrêter. Ces derniers, en voyant cette grande femme passer armée devant eux, tentèrent de l’intercepter.

— Madame, vous ne pouvez pas entrer avec une épée, s’écria l’un d’eux.

Elle les ignora, se dirigeant vers la cour et les soldats qui s’entraînaient. Il se lança à sa poursuite.

— Madame, cria-t-il, arrêtez-vous.

Elle constata en s’approchant que le garçon avait vu de la perversité là où elle était totalement absente. Bien que les soldats soient tous à demi nus, que les sexes soient mélangés et que des binômes mixtes représentent la moitié de l’effectif, elle ne remarqua aucun geste déplacé dans les successions de passes, d’attaques et de feintes. Venant de l’Helaria, elle n’aurait pas dû être surprise. Les choses ne se seraient pas aussi bien déroulées en Nayt. Mais de toute façon, dans son pays, les femmes ne pouvaient pas accéder aux fonctions militaires.

Les appels du garde de l’entrée finirent par attirer l’attention des soldats qui interrompirent leur entraînement pour observer ce qui se passait. En voyant cette immense femme approcher d’eux, ils se mirent debout, en alerte. Même désarmé, le groupe était impressionnant. La moitié était constituée de vétérans à la musculature développée.

Naim s’arrêta à une distance raisonnable, ce qui permit au garde de la rattraper.

— Vous ne pouvez pas entrer ici avec une arme, dit-il.

Elle jeta un bref coup d’œil sur lui, puis elle dénoua le lien qui retenait l’épée fixée dans son dos et la laissa glisser à terre. Le garde, surpris par cette réaction, ne savait que faire.

— Je veux voir un guerrier libre, déclara-t-elle d’une voix forte.

Les soldats se regardèrent. Puis, leur instructrice, la seule de l’escouade à être totalement habillée, s’avança vers elle. Une humaine, constata Naim avec étonnement. Elles étaient pourtant rares en Helaria.

— Vous êtes guerrière libre ? demanda Naim quand la nouvelle venue se trouva face à elle.

— Je m’appelle Deinis. Et je suis instructrice. Que voulez-vous aux guerriers libres ?

— J’ai une proposition à leur faire.

— Ils ont un bureau dans la zone commerciale, pourquoi n’y allez-vous pas ?

— Ma requête est spéciale.

Du coin de l’œil, elle remarqua que le garde de la porte, profitant de ce que la discussion retenait son attention, s’était emparé de l’épée.

— Ne partez pas trop loin avec, lui intima-t-elle, j’y tiens.

Il s’écarta juste assez pour la tenir hors de sa portée. Quand elle reporta son attention sur Deinis, ce fut pour constater qu’une des soldates à l’entraînement l’avait rejointe. Celle-là était une stoltzin. Elle était de taille moyenne, mince, et incroyablement belle. Mentalement, Naim ne put s’empêcher de la comparer à Mericia.

— Que voulez-vous aux guerriers libres ? demanda-t-elle.

— Vous en êtes ?

— Je suis Ksaten, grand maître guerrier libre. Et vous.

Ksaten, un nom qu’elle connaissait. D’après Deirane, elle avait accompagné la délégation helarieal en Orvbel, mais elle ne l’avait pas croisée lors de cette visite. Elle ignorait si avoir maintenant affaire à elle était une bonne nouvelle. Elle avait une sinistre réputation dans les milieux interlopes. D’un autre côté c’était une proche de Saalyn.

— Je suis Naim, guerrière libre.

— Nous sommes peu nombreux dans la corporation. Et je n’ai jamais entendu parler d’une Naim. Sauf sur un avis de recherche, une meurtrière porte ce nom. De quelle ville venez-vous ?

— D’Orvbel.

Le visage de la nouvelle venue se referma.

— Il n’y a pas de bureau des guerriers libres en Orvbel, aboya-t-elle.

— Les guerriers libres ne sont pas un monopole de l’Helaria, répliqua Naim. Tout le monde peut créer les siens, l’Orvbel l’a fait.

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