XVIII. Ksaten - (2/2)

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La stoltzin ne répondit pas. Elle pencha la tête sur le côté. Elle devait être en train de réfléchir aux implications de ce qu’elle venait d’apprendre. Naim en profita pour détailler le corps exposé au regard. Malgré le froid ambiant, elle ne frissonnait pas. Elle n’avait pas connu assez de stoltzt pour savoir si c’était normal. Pourtant, avec les flocons de neige qui tombaient sur sa peau, peu nombreux heureusement, elle devait avoir froid, surtout maintenant qu’elle ne pratiquait plus d’exercice.

— Nous discuterons de cela plus tard, dit-elle.

— Je ne suis pas venue pour discuter des guerrières libres, orvbelianes ou helarieal. Je dois parler à Saalyn.

Elle hocha la tête, mais Naim ne sut si c’était une acceptation de sa requête ou autre chose.

— Plus tard.

Elle leva la main. Aussitôt, quatre gardes du palais s’avancèrent. L’un d’eux portait une grande cape de laine dont il enveloppa la femme. Elle la referma avec une vigueur presque convulsive, elle devait être frigorifiée pour une telle réaction. Les autres empoignèrent Naim et lui attachèrent les mains dans le dos à l’aide d’une sangle. Puis ils l’entraînèrent vers la caserne et certainement une cellule.

Il s’écoula trois calsihons avant que la stoltzin revînt. Elle entra dans la cellule où Naim avait été enfermée. La porte se verrouilla derrière elle. Ce coup-ci, elle était habillée, chaudement même. Son pantalon était en feutre épais et sur sa tunique elle portait un pull de lin tricoté. Elle s’adossa à la porte. Comme toutes les Helariaseny, elle n’était pas très grande. Et elle ne lui avait pas paru musclée dans la cour. Mais la Naytaine était persuadée qu’en cas de luttes, elle était capable de lui mettre une raclée. Sa démarche évoquait tout du félin prêt à bondir. Une guerrière assurément, et bien entraînée.

— Si nous reprenions depuis le début, dit-elle. Présentez-vous.

— Je vous ai aperçue lors de l’ambassade helarieal en Orbvel il y a quelques mois, mentit-elle.

— Je ne vous ai pas vu parmi le comité d’accueil. Je pense pourtant qu’avec votre silhouette je me souviendrai de vous.

— J’étais caché dans le harem.

La stoltzin pointa son regard sur Naim. Cette dernière avait l’impression qu’elle pénétrait en elle jusqu’à deviner ses pensées intimes.

— Les critères de sélection de Brun ont changé on dirait.

Devant cette pique sur son physique, Naim resta stoïque.

— Je m’appelle Ksaten, je suis une guerrière libre d’Helaria, basée à Jimip.

— Je m’appelle Naim. J’ai grandi à Chamry dans un petit village proche de Lynn en Nayt. À la mort de mon père, son héritier direct a soldé rapidement tous ses biens sans laisser une chance à mes frères de nous racheter. Je faisais partie de ces biens.

— J’ignorais que la Nayt avait ce genre de pratique.

— En Nayt, le chef de famille a tous les droits sur les membres de sa famille. J’aurais pu partir, mener une vie indépendante. Et mon père m’avait même mis de l’argent de côté pour que je puisse disposer de mon autonomie à sa mort. Mais il est mort si brutalement que je n’ai pas eu le temps de faire valoir mes droits. Les héritiers sont arrivés trop vite. Mes sœurs et moi avons été vendues. Un négociant orvbelian m’a acquis avec ma plus jeune sœur. Le roi Brun nous a rachetées afin que j’accomplisse quelques missions pour lui.

— Et votre sœur ?

— Une garantie pour ma loyauté et ma bonne conduite.

L’avantage de l’Helaria, comparée à d’autres pays, était que ses cellules étaient propres. Ksaten n’hésita pas à s’asseoir. Naim s’installa en face d’elle.

— J’ai l’impression que votre allégeance a changé, remarqua la guerrière libre. Vous n’êtes plus fidèle à Brun.

— Qu’est-ce qui vous a amené à cette conclusion ?

— Votre présence ici. Je doute qu’il vous ait demandé de vous livrer et ainsi de détruire cette organisation qu’il avait entrepris de créer. De plus, en nous révélant tout cela, vous vous assurez qu’il ne peut pas recommencer plus tard.

— Brun se fait passer pour un seigneur éclairé. Mais j’ai vu ce qu’il peut faire. Il a poussé une concubine à se suicider. Et aujourd’hui, il y a au palais deux petites filles qui n’ont ni père, ni mère, plus aucune famille pour s’occuper d’elle.

— Vu la descendance prolifique du roi Brun, les concubines doivent se bousculer pour les élever. D’ailleurs, je me demande si sa fille, née peu avant mon passage, est bien de lui.

Naim secoua la tête.

— Elle est de son frère, répondit-elle.

— J’en étais sûr. J’ignorai qu’il avait un frère. Je ne l’ai pas vu lors de ma visite.

— Pourtant vous le connaissez bien. Et pour preuve de ma bonne foi, je vais vous donner son nom.

— Que voulez-vous que je fasse du nom du frère du roi d’Orvbel, un parfait inconnu qui n’a jamais fait parler de lui ?

— Oh ! Il a fait parler de lui et vous le connaissez bien. Mais vous ignorez qu’il est prince de sang, c’est le secret le mieux gardé d’Orvbel. Brun a même fait assassiner une troupe entière de Sangären pour le préserver.

— S’ils l’apprennent, je ne donne pas cher de sa peau. Tant qu’ils sont divisés, les Sangärens ne sont pas une menace. Mais s’ils s’unissaient, ils pourraient rassembler plus de quinze mille cavaliers. Aucun État ne pourrait s’en tirer sans dommage.

— Ils ne le feront jamais.

— Ils l’ont fait par le passé. Pourquoi à votre avis n’existe-t-il aucun royaume entre l’Yrian et l’Oscard ?

— Je l’ignore.

— Brun aussi apparemment, sinon il n’aurait jamais tué de Sangären sans provocations. Alors quel est ce secret pour lequel il est prêt à risquer la destruction de son royaume ?

— Je donne l’information, mais j’ai une requête en échange.

— Quelle est cette requête ? Si j’estime que cela en vaut la peine, je l’étudierai.

— Je veux rencontrer Saalyn. J’ai besoin de son aide.

Ksaten éclata de rire.

— Mais pourquoi l’accorderait-elle à une meurtrière ?

— Quand je lui aurai révélé ce que je sais, elle m’aidera.

— Et que savez-vous exactement ?

— Je lui dirais à elle.

— Quel sujet au moins ? Donnez-moi juste un mot.

— Vous ne voulez plus connaître le secret de Brun ?

Ksaten se leva et croisa les bras sur sa poitrine.

— Vous êtes bien sûr de vous. Il doit être énorme. Qui est donc son frère ?

— Le frère de Brun, roi d’Orvbel est le prince de sang, Jevin.

— Jevin ! Comme le mercenaire ! Ou est-ce un homonyme ?

— C’est bien le mercenaire. Jevin fils de Brun, dont la mère a été exécutée pour avoir tué le roi. À cause de ça, tout le monde croit qu’il déteste l’Orvbel, mais le roi actuel est son petit frère et il fera tout pour le protéger. De plus, en exerçant hors de l’Orvbel, il permet à Brun d’agir partout dans le monde. C’est d’ailleurs le roi qui finance la troupe de mercenaires qu’il dirige.

Ksaten n’hésita pas en donnant sa réponse :

— Je vais lui transmettre votre requête. Il est clair que si on avait eu cette information il y a trois ans, les choses auraient été différentes.

— Merci.

— Mais cela ne garantit pas qu’elle vous accordera son aide.

— Je suis sûre du contraire.

— Les informations que vous détenez sont du même niveau de qualité ?

— Non. Elles sont bien meilleures.

Ksaten dévisagea longuement celle qui usurpait ce titre de guerrière libre dont elle était si fière.

— Un dernier point. Si votre allégeance ne va plus à Brun, à qui alors ?

— À une femme dont il a détruit la vie, qu’il a essayé de briser, mais qui a toujours relevé la tête. Elle s’appelle Deirane.

— Deirane. Elle a bien changé la petite oie blanche innocente que nous avons recueillie ici il y a quelques années.

— Elle est prête à tout pour s’enfuir du harem et retrouver la liberté. Et si elle doit anéantir l’Orvbel pour ça, elle le fera.

— Et jusqu’où êtes-vous prête à aller pour l’aider dans ses projets ?

— Je me ferais tuer pour elle.

— En vous livrant, c’est ce qui risque de vous arriver.

— Je connaissais les risques en venant ici.

— Bien.

Elle frappa à la porte pour qu’on lui ouvre.

— Il faudra plusieurs douzains pour qu’elle rentre. D’ici là, vous resterez ici.

Puis elle sortit, laissant Naim seule.

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