XXIII. Dënea- (2/2)

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Profitant des contacts rapprochés qu’impliquait le jeu, Dursun en profita pour frôler la domestique à plusieurs reprises. Elle ne protestait pas, mais Deirane remarqua qu’elle s’efforçait d’éviter l’Aclanli. Au bout d’un moment, elle décida d’intervenir. Au moment où Dursun allait une fois de plus caresser Loumäi, Deirane s’interposa, saisissant le bras de son amie.

— Ça suffit ! s’écria-t-elle. Tu vois bien qu’elle ne veut pas.

— Mais pourquoi elle ne me repousse pas alors ? objecta l’adolescente.

— Parce que tu es une concubine et elle une domestique. Elle est censée t’obéir.

Le soulagement de Loumäi était si visible que Dursun en éprouva du remords.

— Je suis désolé. Je croyais que…

Elle se dégagea de la poigne de son aînée.

— Mais quand vous avez fait l’amour dans les douches, c’était parce que tu lui en avais donné l’ordre ?

— Pardon ? s’écria Deirane.

— Nous n’avons jamais fait l’amour, dame Serlen et moi, la corrigea Loumäi.

— Pourtant, il s’est bien passé quelque chose ce jour-là, continua-t-elle sur sa lancée.

Elle scruta les deux femmes. Mais aucune ne lui fournit sa réponse. Quand elle comprit qu’elles ne satisferaient pas sa curiosité, elle s’éloigna déçue.

Deirane regarda tristement son amie.

— Je devrais la rejoindre, dit-elle, et lui dire que je lui pardonne.

— Non, intervint Loumäi, en retenant la jeune femme par le bras.

Elle montra les concubines qui n’avaient pas perdu une miette de la conversation. Et l’une d’elles, la chanceuse potentielle, nageait actuellement vers l’Aclanli.

Lorsque des mains se posèrent sur ses hanches, Dursun ne réagit pas immédiatement. Alors qu’elles exploraient sa taille et remontaient vers sa poitrine, elle demanda, sans trop y croire :

— Deirane ?

Mais le corps qui venait de se plaquer contre son dos ne correspondait pas à celui de la jeune femme, qui était beaucoup plus petit, ni à Loumäi d’ailleurs. Et puis, après ce qu’elle lui avait infligé, elle l’imaginait mal lui offrir un tel cadeau. Elle leva la tête pour savoir qui était en train de s’occuper d’elle. Elle reconnut la nouvelle chanceuse qui avait surveillé les enfants, celle qui avait attiré son attention justement en entrant dans le bassin. Celle qui avait aménagé dans le couloir juste avant que la maladie ne frappe le palais et qu’elle n’avait pas encore osé aborder.

— Qui es-tu ? demanda-t-elle. Cela fait presque deux douzains que tu habites près de moi et je ne connais toujours pas ton nom.

— Je sais que je te plais, répondit l’inconnue, et toi aussi tu me plais, laisse-toi faire.

L’accent, inconnu de Dursun, rajoutait à son charme. La femme était belle, comme toutes les concubines, grande, le teint olivâtre, de longs cheveux noirs qui lui descendaient au milieu du dos. Mais ce que remarqua Dursun, ce furent les yeux, de la couleur du chocolat.

Dursun voulait se retourner et embrasser ces lèvres pulpeuses, malaxer ce corps ferme. Mais elle désirait aussi que les mains qui la caressaient continuent. Elle se contenta de lever le visage vers elle, l’offrant aux baisers de cette inconnue.

Bien que ce fût du voyeurisme, Deirane ne pouvait s’arracher au spectacle de ces deux femmes se donnant du plaisir. Après tout, elles avaient commencé dans une piscine pleine de monde, elles devaient s’attendre à ce qu’on les espionne. Lesia rejoignit la concubine.

— Elle fait quoi tatie Dursun ? demanda-t-elle.

— Tu comprendras quand tu seras plus grande, répondit Deirane.

— On me dit toujours ça, protesta-t-elle.

— Sais-tu comment elle s’appelle ? demanda Deirane à Loumäi.

— C’est Dënea, la renseigna la domestique. Elle vient d’un royaume de la Vunci, mais j’ai oublié son nom.

— Elle est si différente de Dursun, tout en étant aussi exotique.

Une des naïades qui accompagnaient la nouvelle conquête de Dursun les rejoignit. Elle appartenait au même groupe que cette dernière, ce qui expliquait certainement qu’elles se soient rassemblées au harem. Toutefois, celle-là était une concubine que Deirane avait parfois croisée au cours des années.

— Nous ne pratiquons pas le commerce d’esclave. Et les Sangärens font peu de raids sur nos terres. Ils n’aiment pas traverser nos forêts. Il y en a, mais c’est rare. Nous sommes peu nombreuses sur les marchés.

— La piraterie, suggéra Deirane.

— Elle concerne nos hommes principalement. Nous, nous n’embarquons pas sur les bateaux. Quand l’une de nous voyage, c’est une personne riche ou importante et la protection est conséquente.

Deirane jeta un coup d’œil sur la dernière du groupe. Elle avait repris ses jeux avec les fillettes, tout en surveillant la discussion entre les deux concubines.

— Quelque chose me dit que vous ne vous êtes pas portée volontaire pour rien. Vous avez quelque chose à me demander, déduisit-elle.

La concubine hésita.

— Vous avez raison, dit-elle enfin, nous ne sommes pas venues juste garder les enfants. L’arrivée d’une compatriote nous a fourni le prétexte.

Deirane avait une petite idée du but de leur démarche. Elle leva la principale objection, préférant percer l’abcès immédiatement.

— On m’accuse d’avoir tué Dayan et Cali. Cela ne vous gêne pas de vous associer avec moi ?

— Dayan était un monstre. C’est lui qui nous a acheté pour le compte du harem. Et Cali, je ne la connaissais pas. Elle avait choisi de vivre avec cet homme alors je n’en pense pas beaucoup de bien. La mort de ces deux-là ne me tire aucune larme.

En regardant successivement les trois femmes, Deirane estima que si elles avaient été assez nombreuses, elles auraient créé leur propre faction. Mais il était vrai que les Shaabianos étaient rares au harem, pas autant que les Shacandseny, mais quand même rares. Elle pouvait compter sur une seule main celles qui provenaient de ce pays.

— Et pourquoi voulez-vous me rejoindre ?

— Lætitia ne recrute que des Naytaines. Et encore, pas de toute la Nayt. Vous avez remarqué que son groupe est composé de concubines venant des éparchies de l’est.

— Comment les reconnaît-on ?

— Ils sont plus grands, plus musclés et plus noirs de peau.

— Donc soit elle est profondément xénophobe, soit elle se constitue une armée.

Deux images qui ne correspondaient en rien à ce qu’elle savait sur la concubine. Elle jeta un coup d’œil sur Dursun. Plus que jamais, elle avait besoin de ses capacités. Mais la jeune femme était occupée.

— Je connais Lætitia et cela ne lui ressemble pas, mais admettons. Il reste Mericia et Terel, pourquoi ne voulez-vous pas vous associez avec elles ?

— Terel me fait peur. On croyait que ce serait une amélioration après Larein, mais elle est presque pire que son ancienne capitaine. Quant à Mericia, je pense qu’il vaut mieux s’adresser à Dieu qu’à ses saints.

À Dieu ? Deirane avait entendu dire que les Shaabianos ne vénéraient qu’un seul dieu. Mais même en le sachant, entendre une telle formulation restait surprenant.

— Que voulez-vous dire ?

— Tout le monde sait que vous êtes associées à Mericia. Et si vous avez encore deux factions séparées, cela ne durera pas. On ignore juste quand cela aura lieu. En revanche, on est toutes sûres de qui en prendra le contrôle.

L’idée fit sourire Deirane. Elle resservit le mensonge donné par la concubine à Brun.

— Mon alliance avec Mericia n’avait pour seul but que de faire face à Larein, expliqua-t-elle. Depuis que cette dernière n’est plus là, l’alliance n’a plus de raison d’être. Mais si cela avait été le cas, vous croyez vraiment que je serais arrivée à contrôler Mericia, et qu’elle aurait obéi ?

— C’est déjà le cas non ? J’admets qu’elle aime commander. Mais Larein est là pour lui rappeler ce qui pourrait lui arriver si jamais elle se rebellait.

— Je n’ai pas tué Larein ! s’écria Deirane.

— Si vous le dites.

L’air entendu de la concubine fit comprendre à Deirane qu’elle ne croyait pas un mot de ces dénégations. Tout le monde pensait qu’elle avait assassiné Larein pour se venger du viol de Dursun par cette dernière. En réalité, elle connaissait celui qui s’en était chargé. Mais elle ne pouvait pas révéler ce secret, les conséquences en seraient trop graves. Et comme Mericia partageait ce secret, elle savait qu’elle n’avait rien à craindre de Deirane.

— Ainsi que vous pouvez le constater, ma faction n’est pas organisée comme celles de Mericia ou Lætitia. Nous prenons nos décisions ensemble, et pour que nous vous acceptions en notre sein, il faudra que Dursun, Sarin, Ard et Loumäi soient d’accord.

— Loumäi ? C’est une domestique, s’étonna la Shaabiano.

— Loumäi fait partie de notre groupe au même titre que n’importe qui ici.

— J’ai compris. Je me soumettrai à tout ce qui sera nécessaire.

— Très bien, vous viendrez au repas de ce soir, quand tout le monde sera réuni, que les absents puissent vous connaître.

La Shaabiano observa un moment le couple que formaient Dursun et Dënea s’échanger leurs caresses et leurs baisers.

— J’ai bien l’impression que l’accord de votre amie ne représente qu’une qu’une formalité ?

— Pourquoi ? Elle la rejetterait si Dursun refusait votre intégration ? objecta Deirane.

— Regardez-les ? Vous croyez que quelqu’un arriverait à les séparer ?

En effet, elle semblait prendre beaucoup de plaisir à ce qu’elle faisait. Dursun, qui pour le moment bénéficiait de l’attention de sa compagne, était même en pleine extase. Mais Deirane la connaissait assez bien pour savoir que cette femme ne remplacerait jamais Nëjya. Si la belle Samborren réapparaissait ici, elle abandonnerait immédiatement sa partenaire actuelle pour la rejoindre. Elle prenait du plaisir avec Dënea, elle aimait Nëjya. Et même si elle éprouvait des sentiments très forts envers Deirane, même si elle ne manquait jamais une occasion de profiter de son corps malgré les rebuffades, ce n’était pas la même chose.

Heureusement, Dursun n’avait pas encore pris conscience que Nëjya vivant maintenant en dehors du harem, elle était bien plus exposée qu’elle à la maladie ou à la famine. Les deux faisaient des ravages en Orvbel alors que c’était un pays riche. Elle imaginait à peine la gravité de la situation au delà des frontières du pays. Si Nëjya était toujours en vie, Deirane comptait tout mettre en œuvre pour que les deux amantes soient bientôt réunies. Hélas, elle n’avait aucune idée de comment y arriver.

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