XXX. L'Embuscade - (1/2)

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Le lendemain, Saalyn et Naim se levèrent tôt. Elles s’habillèrent chaudement puis rangèrent leurs affaires avant de descendre en salle. Rafindel s’y trouvait déjà en train de prendre son repas du matin. Elle n’était pas seule. Un homme, légèrement plus âgé qu’elle, mangeait en sa compagnie. Saalyn se dirigea vers eux.

— Bonjour Saalyn, lancèrent les deux jeunes gens à l’unisson.

— Bonjour Rafindel. Bonjour…

Le prénom de son accompagnant échappait à la guerrière libre. Et contrairement à la chanteuse, il ne portait pas de bracelet d’identité qui aurait pu lui donner la réponse.

— Vous allez dans quelle direction ? demanda-t-il.

— Je vais explorer les routes minières qui permettent de contourner Karghezo.

— C’est dommage, nous nous rendons au sud. Nous aurions pu chevaucher ensemble.

— Au début peut-être. Celles que j’envisage croisent la grande route, deux longes au sud d’ici.

— Peut-être. Quand partez-vous ?

— Juste après avoir mangé. Dans trois calsihons au plus tard.

— C’est trop tôt. Rafindel pourra jamais se préparer aussi vite.

Saalyn s’assit à côté du jeune homme, invitant Naim à s’installer en face d’elle. Ce fut l’aubergiste qui leur avait donné la chambre la veille qui vint les servir. Naim n’y avait pas fait attention alors, mais il ressemblait beaucoup à Colen, il devait s’agir de son fils.

Le repas qu’il apportait était consistant, le contraire de la rapide collation que prenaient les humains dans le coin preuve que le cuisinier connaissait les habitudes helarieal. Tout en mangeant, Saalyn bavardait de choses et d’autres avec les deux jeunes gens.

Mais tout avait une fin, et quand l’assiette fut vidée, les deux femmes se levèrent.

— Cela m’a fait plaisir de te revoir, salua Saalyn, je regrette de ne pouvoir rester plus longtemps.

— Nous aurons d’autres occasions, promit Rafindel.

— Bien sûr.

Elle serra la main à la façon Yriani – paume contre paume – aux deux jeunes gens, puis elle quitta la salle.

— Qui était ce jeune homme ? demanda Naim.

— Son frère, répondit Saalyn.

— Ils voyagent ensemble ?

— Vous croyez qu’une femme se déplace sans protection sur ces routes. Même les Helariaseny ne le font pas.

— Nous le faisons bien nous ? fit remarquer Naim.

— Vous n’êtes pas seule, ironisa Saalyn. N’ayez pas peur, je suis à vos côtés.

Le temps de leur discussion, les deux guerrières libres atteignaient l’écurie. Pendant qu’elles mangeaient, le personnel de l’auberge avait apporté leurs affaires, mais les humains ne touchaient pas les hofecy. Aussi, elles durent fixer les bagages et le harnachement avant de pouvoir se mettre en selle.

— Quelle direction ? s’enquit Naim.

— Deux longes au sud, puis plein est, la renseigna Saalyn.

Une fois passée la porte de l’enceinte, elles prirent la Grande route en direction du sud, revenant sur le chemin parcouru la veille.

Malgré le soleil encore caché derrière l’horizon, la neige qui recouvrait tout le paysage rendait les lieux très lumineux. Sans aller jusqu’à dire qu’elles y voyaient comme en plein jour – quoique Naim n’exclut pas que ce fût le cas pour Saalyn qui était issue d’un peuple troglodyte – elles n’avaient pas besoin de s’éclairer pour progresser. Quand elles atteignirent le premier chemin qui bifurquait vers l’est, le disque blanc de Fenkys avait à moitié émergé à l’orient.

Saalyn s’arrêta et descendit de son hofec. Naim escomptait qu’elle examine cette voie. Mais la guerrière libre la surprit. Au lieu de cela, elle se plaça au cœur de l’intersection, ferma les yeux, écarta légèrement les bras du corps et resta immobile. Naim attendit un moment avant de s’impatienter.

— Que faites-vous ? demanda-t-elle.

Saalyn leva la main, l’index tendu, pour lui intimer le silence. Puis elle reprit sa position. Au bout d’un moment, elle releva ses paupières, et regarda au loin, dans la direction du chemin. Enfin, elle retourna à son hofec, mais sans remonter en selle.

— Que faisiez-vous ? demanda Naim de nouveau.

— Je réfléchissais. C’est très salutaire comme exercice. Vous devriez essayer de temps en temps.

— Ne soyez pas sarcastique. Vous avez vous-même reconnu que je ne connaissais pas le dixième de ce qu’il faudrait pour que je sois une vraie guerrière libre.

Saalyn hocha la tête, sans s’excuser pour autant.

— C’est vrai. Votre formation se limite à tuer des adolescents dans le dos.

Ignorant la tête que présenta Naim en réaction, elle continua :

— Je m’isolais des interférences extérieures pour réfléchir posément. La neige est d’ailleurs idéale pour cela. En atténuant tous les sons, elle permet d’augmenter la concentration.

— Et qu’avez-vous déduit ?

— Cette route mène à plusieurs endroits. Je cherchais à déterminer si l’un d’eux aurait pu présenter un intérêt pour des ravisseurs.

— Et c’est le cas ?

— Hélas oui, toutes les routes présentent des avantages. Mais c’est aussi le cas de certaines qui ne l’empruntent pas.

Saalyn désigna quelques directions du bras.

— Celle-là mène à village industriel implanté dans cette désolation pour éviter de ravager les terres arables occidentales. Si on la suit jusqu’au bout, on arrive au Sangär qui peut être traversé pour atteindre la Nayt. On peut aussi contourner Karghezo, retourner sur la route du sud au nord de la ville puis longer l’Onus pour rejoindre la Nayt. Là aussi, on passe par le Sangär. Cela implique de bénéficier de l’escorte d’un clan sinon on risque de se faire rançonner. Mais plusieurs se partagent la région entre l’Yrian et la Nayt. Le principal est celui de Mudjin, mais il n’est pas le seul. Lequel s’est occupé de les prendre en charge ? Il faudrait les visiter tous pour exclure définitivement cette possibilité.

— Deirane pense que Mudjin pourrait être impliqué dans la mort de la duchesse et l’enlèvement de ses filles.

Saalyn tourna la tête vers Naim.

— C’est intéressant ça. Un nouvel indice à rajouter à ceux que je possède déjà. J’aurais bien aimé connaître cette information plus tôt.

Naim désigna le chemin de la main

— J’ai l’impression que cette route n’est pas la seule possibilité.

— Hélas non. Puisque la route de l’est longe l’Onus, les ravisseurs auraient pu emprunter la voie fluviale. Cela leur permettrait de contourner le pont de l’Onus, voire de le remonter jusqu’aux rapides qui marquent la frontière avec l’Yrian. Ils pouvaient aussi débarquer n’importe où – sauf à Sernos même – et prendre la Grande route de l’est. Et pourquoi s’engager sur ce chemin d’ailleurs ? S’ils ont utilisé la voie fluviale, ils pouvaient très bien bénéficier d’un bateau qui les aurait attendus au sud du plateau.

L’étendue des possibilités découragea Naim.

— Par quoi commençons-nous ? s’enquit Naim.

— Honnêtement ? Je l’ignore. Il existe tant d’alternatives que j’ai peur d’aboutir à une impasse, comme il y a quatorze ans.

— Et n’avez-vous pas une hypothèse qui vous semble la plus prometteuse ? On sait que, quel que soit le chemin emprunté, Ciara Farallona n’est jamais arrivée en Nayt et que son grand-père n’a pas pu récupérer la rançon.

— Ce qui implique trois possibilités : soit un pillage, soit un accident, soit le convoyeur a empoché l’argent et vendu la fillette ailleurs.

— Mais où ? Elle n’est pas au harem d’Orvbel.

— Toutes les esclaves vendues en Orvbel ne finissent pas concubine dans le harem.

— Mais si elle avait été présentée sur le marché de ville, Brun l’aurait su. Une esclave de cette importance, elle devait valoir son pesant de noix de beurrier.

— Qui vous dit qu’il ne sait pas où elle se trouve, suggéra Saalyn. Il a très bien pu en garder une et mettre l’autre en vente. Vous en avez parlé avec lui ?

Naim réfléchit à cette hypothèse. Saalyn avait raison. Personne n’avait d’idée sur ce que savait Brun de cette affaire. Il pouvait très bien avoir négocié la vente des deux sœurs et n’en conserver qu’une.

— Si elle a été vendue en Orvbel, seule l’étude des dossiers de Brun pourra nous le révéler, et je n’y ai pas accès.

— Vous pourriez les voler.

— Je suis désolée, mais je ne remettrais pas les pieds dans cette ville. Vous ignorez ce qu’ils m’y ont fait subir.

Naim avait oublié.

— C’est Jergo le jeune, pas Brun, qui vous a torturé.

Pour toute réponse, Saalyn lui renvoya un sourire cruel, comme elle n’en avait jamais vu sur le visage de la stoltzin.

— Le bureau de Brun est très bien protégé, reprit enfin Saalyn. Il est situé au cœur du palais, avec un accès direct vers la caserne des gardes rouges et équipé de portes et fenêtres sécurisées. Même si je le voulais je ne pourrais pas y entrer. Les Légendes pourraient peut-être, mais je n’en suis pas sûre.

— Donc l’accident ou le pillage.

— Le problème de l’accident c’est que la personne recherchée est souvent décédée. Notre quête serait alors sans objet. Il est préférable d’analyser l’autre possibilité en premier vu que c’est la seule qui puisse arriver à un résultat satisfaisant.

Naim hocha la tête. Elle comprenait le problème.

— Où aurait lieu l’attaque, si on part sur cette hypothèse ?

— Je ne vois pas beaucoup d’endroits possibles. La navigation sur l’Unster est relativement sûre. Il ne reste donc que les voies terrestres. Soit en traversant le Sangär, soit sur la grande route, que ce soit celle de l’est ou du sud.

— On commence par quoi ?

— Le Sangär me semble le plus prometteur. Mais c’est grand. Il y aura du travail. Cinq clans sur lesquels enquêter. Et ce sont des nomades, les trouver ne va pas être évident.

Naim était restée en selle pendant toute la discussion. Ce fut ce qui leur sauva la vie. Plus grande et plus haut perchée que Saalyn, Naim décela un mouvement suspect à l’horizon.

— Attention ! s’écria-t-elle.

Du pied, elle repoussa Saalyn qui tomba à terre. Furieuse, la guerrière allait se relever quand une flèche se planta dans ses fontes, pile à l’endroit où elle se trouvait un instant plus tôt. Elle s’immobilisa, toujours allongée sur le sol pendant que le hofec se tournait vers la menace en poussant un grondement sourd.

— Vous avez vu d’où ça vient ? demanda-t-elle.

— Du nord, un gros rocher à une centaine de perches de nous.

Naim n’était pas restée bien en vue. Elle s’était jetée à bas de sa monture, comptant sur la neige et l’entretien de la route pour amortir le choc. Pas assez vite malheureusement, et une hampe dépassait de son épaule.

Une autre flèche atterrit près d’elles, mais comme les irrégularités du terrain les cachaient maintenant, l’archer avait décoché au jugé et les avait raté.

— On ne peut pas rester là, murmura Saalyn, tôt ou tard, il nous atteindra par hasard.

— Il ne tire pas vite, je trouve.

— Il ignore notre position exacte, il économise ses munitions.

— Comment on part de là sans s’exposer ? À quatre pattes ?

— La neige, ça glisse.

Saalyn attrapa la queue de son hofec.

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