Interlude. Cité de Miles, 15 ans plus tôt - (2/2)

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La fuite de Meghare à travers la ville se passa moins bien que prévu. Le vide des rues à proximité de l’ambassade de la Nayt lui avait permis d’espérer que les soldats Yrianis avaient déserté la ville. Il n’en était rien. Ils s’étaient juste rassemblés. Et plus ils progressaient vers leur objectif, plus ils en croisaient. Les obligeant à se cacher de plus en plus souvent. Quand le capitaine l’avait compris, il était trop tard. Ils avaient presque dépassé le palais. Et revenir sur leur pas aurait pris trop de temps tant le bâtiment était immense. Sans compter les difficultés qu’ils avaient eu à traverser l’allée royale, jamais les enfants n’auraient la force de le refaire dans l’autre sens. Il se demanda quand même pourquoi l’ennemi s’était concentré dans cette partie de la ville. Et à toujours fuir pour éviter les patrouilles, ils s’étaient peu à peu éloignés de leur objectif. Atteindre l’ambassade de l’Helaria avait fait long feu. Trop d’obstacles les en séparaient.

Soudain, ce qu’il craignait arriva. Une escouade entra par-derrière dans la rue où ils se cachaient. Ceux-ci attaquèrent sans attendre, sans savoir qu’ils auraient pu capturer l’éphore de Miles et ainsi pousser Ridimel à rendre les armes. L’escorte réagit instantanément, s’interposant entre l’ennemi et la famille ducale. Mais ils étaient trop nombreux. Trente hommes, face aux huit siens. Ils n’avaient aucune chance de vaincre.

— Fuyez, glissa le capitaine.

— Pour aller où ?

— Cachez-vous dans la cave d’une maison déjà pillée. Et attendez quelques jours pour partir par la porte sud.

— Merci pour ce que vous avez fait pour moi.

Elle déposa un baiser sur sa joue impeccablement rasée.

— Je ne pouvais faire moins, j’ai voté pour le duc.

Il faisait référence à sa nomination en tant qu’éphore. C’était, comme celui d’archonte, un poste électif régulièrement remis en question. Au passage, il lui faisait comprendre qu’il soutenait le duc, quoi qu’il décide de faire.

— Sergent, prenez un homme et escortez la duchesse… l’éphore.

— À vos ordres.

Entraînées par les deux militaires, Meghare et ses filles partirent en direction du sud. Elle jeta un dernier coup d’œil vers ces soldats qui allaient se sacrifier pour lui sauver la vie.

Au fur et à mesure de leur progression, la retraite se déroula en fuite, puis en débandade. Les Yrianis sur lesquels ils tombaient continuellement les orientaient vers l’est, de plus en plus loin de leurs objectifs. Même la porte sud ne serait jamais atteinte.

Soudain, ils arrivèrent sur une place vide, au cœur d'un quartier déjà pillé et brûlé, totalement désert. Il n’y avait personne, ni ennemi ni habitant ayant survécu. Peut-être certains se cachaient-ils quelque part, mais il faudrait quelques jours avant qu’ils se découvrent. Et vu le degré de destruction, elle n’y croyait pas trop.

Le sergent avança prudemment au cœur de l’espace dégagé. Il tourna sur lui-même pour observer dans toutes les directions. Il ne remarqua rien de dangereux.

— Vous pouvez venir, lança-t-il à ses compagnons.

Meghare quitta son abri pour le rejoindre en compagnie de ses enfants. Le dernier militaire fermait la marche. Elle allait l’atteindre quand le sergent s’écroula. Une flèche sortait de sa gorge.

— À couvert ! hurla le dernier soldat ! Retournez à l’abri.

Il n’eut pas le temps d’en dire plus. Un autre tir depuis une fenêtre mit fin à sa vie. Meghare se figea sur place. Elle se retenait pour ne pas hurler. Seules ses filles lui donnaient le courage de résister.

— Tiens, mais qui voilà ! s’écria une voix ?

Elle se retourna. Un groupe de soldats yriani s’avançait à leur rencontre. Ils s’arrêtèrent à quelques pas de la jeune femme.

— On dirait la duchesse de Miles, ajouta celui qui était à leur tête, un individu dont la forte musculature compensait la taille relativement petite.

— Vous faites erreur, monsieur, répondit Meghare, je suis…

Elle n’avait pas préparé un nom de rechange. Elle utilisa le premier qui lui traversa l’esprit.

— Daisuren.

L’homme s’humecta les doigts d’un coup de langue puis essuya les joues de Meghare. La jeune femme essaya d’échapper au contact répugnant. Un autre soldat derrière elle la retint.

— Vous avez une peau bien sombre pour une Osgardienne, constata-t-il. Vous êtes Meghare de Miles, fille du vidame Serig de Burgil et de Silke de Tarla.

— Vous allez me livrer au roi d’Yrian ? s’enquit-elle.

— Au roi d’Yrian ! Certainement pas. Il a tellement dépensé pour cette guerre qu’il n’a plus d’argent. Il ne paye pas assez à mon goût. C’est mon uniforme qui a dû vous tromper. Mais je ne suis pas un soldat. Je ne suis même pas Yriani.

Voilà qui expliquait son accent. Meghare croisa les bras sur sa poitrine. Apparemment, il n’était pas missionné par le roi. C’était un mercenaire qui agissait pour de l’argent. Et l’argent, elle n’en manquait pas. Miles était ruinée et ne pourrait la sauver. En revanche, Burgil était une des villes les plus riches de la Nayt et son père en était le maître. Pour racheter sa fille et ses petits enfants, il serait prêt à débourser une fortune.

— Combien voulez-vous ? demanda-t-elle.

— Combien pour quoi ?

— Pour me laisser partir.

— Soyez sérieuse. Vous n’avez plus un rond.

— Mon père ne manque pas d’argent. Il paiera.

— Mais il a déjà payé.

— Il a…

Sous l’étonnement, elle ne put terminer sa phrase.

— L’avantage de notre monde sur celui des feythas est que les communications y sont lentes. Les informations voyagent longuement. Votre père croit que la ville est tombée il y a plus d’un douzain. Mon lieutenant a donc bénéficié de tout le temps nécessaire pour négocier la rançon.

Étrangement, Meghare sentit l’espoir remonter en elle. Son père avait payé pour la récupérer. Le mercenaire aurait pu empocher l’argent et se tirer avec. Mais Serig était un vieux routier de la politique. Il avait dû prendre les précautions pour se prémunir contre une trahison. Et cet individu serait obligé d’honorer son contrat.

— Je suppose que vous avez un moyen de quitter cette ville, suggéra-t-elle.

— J’en ai un, confirma le mercenaire.

— Alors ? Comment allez-vous procéder ?

— C’est assez simple. Les Yrianis peuvent entrer et sortir facilement de la ville avec des prisonniers. Surtout si ce sont des enfants, ils ne sont même pas contrôlés. Quelques soldats ont fait preuve de pitié, personne ne sera surpris que certains sauvent des enfants.

Meghare sentit un frisson secouer son corps.

— Des enfants ! Vous envisagez de ne faire sortir que les enfants !

L’homme lui adressa un sourire cynique.

— Je n’ai malheureusement rien prévu pour vous. Vous être trop connue. Vous seriez arrêtée aux portes de la ville. Et moi avec vous. Et même si nous passions, mes compagnons voudraient partager mon butin avec moi. Et l’un d’eux aurait fatalement compris qui vous êtes. Je n’ai aucun moyen de vous faire quitter Miles vivante.

Meghare soupesa ces paroles un instant.

— Si vous me garantissez que mes filles seront remises à leur grand-père, cela me convient.

— Je me suis engagé, protesta le mercenaire.

— Puisque je n’ai pas le choix, je vous les confie. Je vais rejoindre mon mari et périr à ses côtés.

Le mercenaire la détrompa aussitôt.

— Je ne serais jamais rentré dans une ville en proie à une telle violence pour un seul contrat, déclara-t-il enfin. J’ai reçu une autre offre. Je dois revenir à Sernos avec la preuve de votre mort et celle du duc.

— Quoi ! Une preuve ! Laquelle ?

— Votre tête.

— Ah quoi bon ? Je ne finirais pas la journée vivante.

— Je sais. Mais je dois quand même la ramener. Sinon je ne serais pas payé.

Il dégaina son épée. Une épée simple, sans fioriture, mais de bonne facture. Un moment, elle envisagea de le supplier. Mais elle renonça. Puisqu’elle devait mourir, que ce soit ici ou ailleurs en ville ne changerait rien. Il allait voir de quel bois était faite une fille de vidame. Elle se redressa, le menton levé, la poitrine sortie, fière, prête à affronter son destin.

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