Interlude : Cité de Miles, 14 ans plus tôt - (1/2)
Sortir du palais par l’aile ouest s’était révélé une bonne idée. Vlad et sa famille ne croisèrent que quelques patrouilles yrianis qu’ils purent éviter facilement en se cachant dans les ruelles sombres. Ce quartier était demeuré relativement intact, les cachettes y étaient nombreuses. Ils progressaient vers la porte et la sécurité. Vlad avait confié Claire à sa sœur afin de pouvoir s’occuper de Rene. En temps normal, elle n’aurait éprouvé aucun problème à les suivre. Mais elle était proche du terme. Elle aurait dû se reposer au lieu de crapahuter dans une ville en flamme. Heureusement, autour du palais, les rues étaient pavées, elle n’éprouvait pas de difficultés à marcher. Surtout depuis que Vlad l’avait débarrassée de son sac.
Malheureusement, leur passage vers la liberté se retrouva bloqué. Il aurait dû s’y attendre, une patrouille surveillait la porte. Et tous ceux qui s’en approchaient étaient repoussés sans pitié. Ceux qui insistaient étaient abattus. Ils ne pouvaient pas s’enfuir par là. Il revint vers sa famille. Pendant sa reconnaissance, Rene s’était allongée sur la chaussée, soulageant son dos.
— Que fait-on ? demanda Rene.
— Laisse-moi réfléchir.
— Eh bien, réfléchis vite parce qu’il arrive.
— Maintenant ! Tu ne peux pas attendre un peu ?
— Ça ne se commande pas. Les enfants naissent quand ils veulent.
Voilà qui changeait la donne. Il ne devait plus trouver un moyen de sortir de la ville coûte que coûte, mais découvrir une cachette où Rene pourrait accoucher en toute sécurité et se reposer le temps de reprendre des forces. Au palais, la duchesse lui aurait laissé tout le temps nécessaire pour récupérer. Mais dans le contexte actuel, il s’estimerait heureux s’il arrivait à lui ménager deux jours.
— Dercros pourrait nous aider, suggéra Palmara.
Vlad la regarda, un sourire aux lèvres. En temps normal, il aurait pensé qu’elle était tombée sous le charme du beau stoltz. Mais en l’occurrence, elle avait n’avait pas tort.
— Tu as raison, l’ambassade d’Helaria nous accueillera.
Il aida Rene à se redresser.
— Je vais aider ta mère à marcher, dit-il à Claire. Tu restes avec Palmara.
La fillette hocha tête.
Lentement, pour épargner son épouse, et pour être sûrs que leurs deux compagnes suivraient le rythme, ils se remirent en route.
Ils avaient à peine progressé de quelques centaines de perches quand soudain Claire se libéra de la poigne de la jeune femme et se précipita en direction d’une ruelle sombre.
— Que fais-tu ! s’écria Vlad, reviens !
Il n’osait hausser la voix de peur d’attirer une patrouille.
— J’ai entendu quelqu’un, répondit la fillette.
— Justement, c’est dangereux.
Mais Claire n’écoutait pas. Il n’aurait jamais dû la confier à un autre que lui. Il savait bien que les enfants n’avaient aucune conscience du danger. Il aida sa femme à s’adosser à un mur et il s’élança à la poursuite de sa fille.
Quand il la rejoignit, elle regardait un cadavre allongé par terre. Il lui prit la main pour l’emmener.
— Laisse-le, on ne peut plus rien pour lui. Il est mort.
— C’est Ksaten ! répondit-elle d’une toute petite voix.
Vlad se retourna brusquement et examina le corps. Elle avait raison. C’était bien la guerrière libre. Elle avait mené le dernier combat de sa vie et elle l’avait perdu s’il en jugeait pas son état.
— Nous dirons aux Helariaseny où la trouver quand on atteindra l’ambassade.
— Mais elle n’est pas morte puisque je l’ai entendue.
Vlad s’accroupit auprès d’elle. Il posa la main sur sa poitrine. Claire avait raison, son cœur battait et elle respirait encore. Son adversaire ne l’avait pas achevée. Il avait préféré la laisser agoniser en pleine rue. Parce qu’il ne se faisait pas d’illusions. Le temps qu’ils aient rejoint l’ambassade et qu’ils aient envoyé une expédition, elle aurait rendu son dernier soupir.
— Nous devons la sauver, déclara Claire avec l’intransigeance de l’enfance.
Vlad réfléchissait à toute vitesse. Elle avait raison, il ne pouvait pas l’abandonner là, pas après ce qu’ils avaient vécu ensemble, autrefois. Les meilleurs souvenirs de son adolescence, c’était elle qui les lui avait offerts. Mais en l’emmenant, il risquait la vie de sa famille. Il examina la guerrière libre. Son adversaire l’avait mise dans un piteux état. Ils devaient être plusieurs, un seul n’aurait jamais réussi à la vaincre. Son bras droit avait été tranché au niveau du coude, ainsi qu’un pied. Il trouva le premier à quelques perches, les doigts toujours serrés sur la poignée de l’épée. Et son corps portait de multiples plaies. La main qui l’avait touchée était poisseuse de sang. Elle en avait tant perdu qu’il se demandait comment elle pouvait encore vivre.
La priorité était d’arrêter l’hémorragie. Il décrocha sa ceinture, une simple cordelette de chanvre tressée. Il put en séparer facilement les trois brins. Avec il posa un garrot sur la jambe et un autre au bras. Avec le troisième, il refixa son pantalon. Il valait mieux éviter de le perdre en fuyant. Pour le reste, il aviserait quand ils auraient atteint la sécurité.
— Père des dieux, pourquoi ne m’avez vous pas fait égoïste ? murmura-t-il avant de la saisir par les épaules.
Elle gémit quand il la souleva. Elle devait atrocement souffrir. Il pensait qu’il aurait du mal à la retenir sur son dos, mais elle referma son bras valide autour de son torse. Réflexe ou geste conscient. Il n’aurait su le dire. En tout cas, elle lui parut aussi légère que dans ses souvenirs, bien plus que ce que sa silhouette suggérait. À taille égale, les stoltzt étaient plus légers que les humains, on lui avait expliqué que c’était une histoire d’os creux,
— Prends son épée, ordonna Vlad.
Il aurait cru que le morceau de chair mutilée aurait dégoûté Claire, mais elle déplia les doigts sans états d’âme et souleva l’arme.
— C’est lourd, fit-elle remarquer.
Elle la tenait à deux mains, presque religieusement. Il lui sourit. Il avait déjà manipulé l’épée de Ksaten et elle lui avait paru singulièrement légère, plus que les outils qu’il utilisait dans son champ ou la selle d’un cheval. Il avait d’ailleurs été surpris à l’époque, quand il l’avait soulevé dans ses bras pour l’allonger sur le lit.
— Tu la donneras à Palmara. Et vous aiderez ta mère à marcher.
Ils rejoignirent Rene. Toujours appuyée contre le mur, elle avait passé les mains sous son ventre pour le soulager de son poids. Curieuse, elle examina la charge que transportait son mari.
— Qui est-ce ? demanda-t-elle.
— Ksaten.
En se redressant, elle lâcha une grimace. Vlad ne sut dire si elle était due à son état ou à son opinion sur la guerrière libre. Malgré toutes les preuves d’amour qu’il lui avait donné ces dernières années, elle n’avait pas oublié que la stoltzin avait été la première femme que Vlad avait connue dans sa vie.
— En route, maugréa-t-il.
Claire tendit l’épée à Palmara et lui saisit la main. Puis ils reprirent tous ensemble leur progression vers l’ambassade. Vlad espérait juste qu’il ne l’atteindrait pas en transportant un cadavre.
Annotations
Versions