XLIX. Famine - (2/2)

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Elle envisagea un instant de confier au porteur de lumières les concubines qui l’obligeaient à accomplir cette mission. Tout en imaginant les malédictions, elle tourna la poignée et entra.

Mericia était allongée sur son lit. Elle ne dormait pas puisqu’elle tourna la tête vers Deirane. Un air déçu s’afficha sur son visage.

— Bonjour Deirane.

— Bonjour, tu espérais la venue de quelqu’un d’autre ?

— J’attendais Salomé. Pourquoi n’est elle pas passée me voir ? Elle est avec Brun ? Elle a racheté ma liberté avec son corps ?

— Salomé appartenait à Brun. Il pouvait lui donner cet ordre sans passer de marché avec elle.

Mericia détourna la tête en soupirant. Deirane avait raison. Aucune concubine ne pouvait rien acheter en se donnant au roi, elles lui appartenaient toutes. Soudain, son regard se posa sur Deirane, elle avait l’air paniquée.

— Pourquoi dis-tu « appartenait » ? Brun a chassé Salomé du harem !

Deirane comprenait que la concubine soit affolée. Chasser une personne du harem signifiait en fait la livrer à une maison close. La pire punition qui pouvait leur arriver. Si seulement ça avait été le cas. La compagne d’Anders subissait un tel châtiment depuis des années. Sa situation était terrible, pourtant elle était toujours vivante et Deirane mettait tout en œuvre afin que cela prît fin un jour. Ce qui était arrivé à Salomé était plus irrévocable. Deirane secoua la tête, au grand soulagement de Mericia.

— Tes fidèles n’ont pas osé te le dire, mais…

— Mais ?

Deirane chercha comment adoucir la nouvelle. Hélas, elle n’imaginait aucun moyen d’atténuer une telle nouvelle. Peut-être, y aller franchement, sans tergiversation, était la meilleure solution. Elle comprenait pourquoi ses lieutenantes n’avaient pu trouver le courage de le lui dire. Elle se lança.

— Salomé est morte.

Pendant un moment, Mericia ne prononça pas un mot. Elle regarda fixement devant elle, sans manifester aucune émotion.

— Comment ? demanda-t-elle enfin.

— Brun l’a frappée, puis défenestrée.

Elle tourna la tête vers Deirane. La jeune femme put voir les larmes couler sur les joues.

Deirane s’assit sur le bord du lit. Elle enlaça Mericia qui se laissa aller contre la poitrine de la petite concubine. Elles restèrent un long moment immobiles.

— C’est fini, dit enfin Mericia, je ne veux plus continuer comme ça.

— Comme quoi ?

— Toute cette violence. Tous ces morts. Pour quoi ? Le contrôle d’un harem au sein d’un État minuscule. Je n’ai jamais vu le pouvoir comme une fin en soit, mais comme un moyen d’assurer la sécurité de ceux qui comptent à mes yeux. Salomé a six ans de plus que moi, après Bilti c’est la plus âgée d’entre nous. D’année en année, elle est de moins en moins fraîche, surtout face à ces jeunes qui arrivent sans cesse. Je devais faire en sorte que Brun la garde avec nous dans sa vieillesse. Maintenant qu’elle a disparu, je n’ai plus de raison de continuer.

— Que veux-tu dire ? demanda Deirane.

— J’abandonne mon poste de cheffe de faction.

— Que va devenir ta faction ? Personne n’a le talent nécessaire pour te succéder.

— Prends-la. Ajoute-la à la tienne.

— Elles ne voudront jamais.

— Je serais ta lieutenante, le temps qu’elles t’acceptent si tu le désires. Cependant, ne compte pas sur moi pour te remplacer quand tu seras défaillante. Confie cette tâche à une jeune. La nouvelle compagne de Dursun me semble volontaire. Fais-en ton bras droit.

Deirane examina la proposition de Mericia. Elle n’avait pas tort. Dursun était intelligente. Elle avait de bonnes idées et trouvait des solutions pratiques aux problèmes. L’avoir près d’elle était un véritable atout en plus de son amitié indéfectible. Mais elle n’était pas faite pour commander. Par contre, sa dernière amante semblait posséder ce qu’il fallait pour prendre des décisions et se faire respecter.

— Acceptes-tu ma proposition ? demanda Mericia.

— Si je refuse, tu quitteras quand même le contrôle de ta faction ?

— Je ne continuerais pas sans Salomé. C’est pour elle que je l’avais créée, pour la protéger. Maintenant qu’elle n’est plus avec moi, je n’ai plus de raison de continuer.

— N’éprouvais-tu pas un peu d’ambition dans ton désir de diriger une faction ?

— Quelle ambition ? Si au moins ça m’avait permis d’atteindre le titre de reine. Brun a douché nos espoirs quand il a organisé le nouveau gouvernement. Aucune de nous ne le deviendra jamais.

Même si Brun ne l’avait pas clairement dit, c’est ce que Deirane avait compris aussi.

— Maintenant, laisse-moi seule, réclama Mericia.

Deirane étreignit brièvement la belle concubine. Puis elle se leva.

— Désires-tu que je t’envoie quelqu’un ?

— C’est inutile. Je veux rester seule.

La jeune femme obéit. Elle referma soigneusement la porte derrière elle, laissant Mericia seule.

Mericia se retourna dans son lit. Elle essaya de retourner son oreiller. Ses deux mains bandées la désarçonnèrent. Elle avait oublié qu’elle était maintenant handicapée, totalement dépendante de son entourage. Elle poussa un cri de rage qui se transforma en sanglot. Toutes ces années, elle s’était montrée loyale au Seigneur lumineux. Elle avait été le plus fidèle soutien du roi. Et tout ça pour quoi ? Brun avait fait d’elle une invalide, puis il lui avait retiré Salomé. Il allait payer ce qu’il lui avait infligé.

Deirane trouva les concubines de la faction de Mericia, sa faction maintenant, dans le salon. Elles attendaient que la jeune femme revienne de sa rencontre avec leur ancienne cheffe.

— J’ai appris la nouvelle à Mericia, annonça-t-elle. Je ne vous remercie pas. C’est votre cheffe, c’est vous qui auriez dû vous en charger.

— Je sais, on a entendu.

Deirane essaya de se souvenir du nom de celle qui venait de répondre. Missel ou Misel, quelque chose dans le genre.

— Si vous avez écouté à la porte, vous êtes au courant de sa proposition ?

— Oui, répondit Misel. On accepte, aussi longtemps que Mericia restera ta lieutenante. Si elle disparaissait ou démissionnait nos factions se sépareraient à nouveau.

Deirane soupira de soulagement.

— Dans l’immédiat, c’est à vous de prendre soin de Mericia. Elle vient de perdre une personne qui comptait beaucoup pour elle. Elle va avoir besoin de tout votre soutien.

— On sait que Salomé et elle étaient très liées, même si on ignorait pourquoi.

— Mericia est arrivée à six ans dans ce harem et c’est Salomé qui l’a élevée, expliqua Deirane.

Cette raison laissa les concubines un instant sans voix.

— Je comprends mieux son chagrin, fit enfin remarquer Misel. Nous prendrons soin d’elle. Et Brun ?

— Quoi Brun !

— C’est lui qui a tué Salomé. Qu’allez-vous faire ?

— Salomé appartenait à votre faction. Normalement, c’est moi qui devrait vous poser cette question.

Misel soutint le regard de Deirane.

— J’en ai le désir, mais je suis incapable de mener une telle action, avoua-t-elle. Et personne parmi nous. Nos meneurs étaient Mericia et Salomé. Sans elles, nous ne sommes plus rien.

L’air dur de Deirane se transforma en sourire.

— Mericia était une guide efficace. Elle vous a bien protégées. J’étais comme vous en arrivant. J’ai appris.

Devant l’air hagard de son interlocutrice, elle ajouta :

— Ne vous inquiétez pas. Je m’en charge. Croyez bien qu’il ne s’en tirera pas si facilement.

Misel s’avança d’un pas et présenta son bras à Deirane à la mode naytaine, bien qu’elle ne provint pas de ce pays. Sa peau cannelle et sa stature évoquait plutôt une origine plus orientale. La jeune femme lui rendit cependant son salut.

— À la vie, à la mort, promit Misel.

— À la vie, à la mort, confirma Deirane.

Misel s’écarta.

— Je te laisse un an pour tenir tes engagements.

— Un an ! s’écria Deirane.

— Brun est roi, il n’est pas facile à atteindre.

— J’espère aboutir bien avant, la contredit Deirane.

— Si tu as besoin de nous, n’hésite pas.

— Je n’y manquerai pas.

En se dirigeant vers la sortie de la suite, Deirane serra toutes les mains, embrassa toutes les joues, qui se présentaient à elle. Une fois libre de cet océan d’étreinte pas toujours très fraternelle – après tout, Dursun n’était certainement pas la seule à aimer les femmes – elle put enfin souffler. En marchant vers ses propres quartiers, elle se demanda si Brun avait prévu que sa faction et celle de Mericia s’uniraient contre lui.

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