SAINT-AIMÉ (1/3)

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— Vas-y, mets la pêche ! cria Camille, imitant l'avion avec sa main, vitre baissée.

Jérémy s'exécuta. Le véhicule vibrait au son de Mother tongue, du groupe Bring me the horizon. Complices, ils chantaient en chœur et dansaient sur leur siège, en route vers leur prochaine randonnée. Comme lors des concerts, le carré plongeant de Camille virevoltait sans retenue puis marquait une pause, le temps de dévorer « son mec » de ses yeux jaspés, vert-de-mer. Elle n'aurait pas été contre un deuxième coup de la panne, mais elle connaissait son Jérem' sur le bout des doigts, plus raisonnable qu'elle. « Le trop tue le bien ». Aussi se contenterait-elle d'un désir aérien, voilé par la noirceur de ses lunettes de soleil.

Jéremy freina puis se gara sur le bas-côté, sous un grand tilleul bourgeonnant.

— Tu fais quoi ? demanda-t-elle, coupée dans son entrain musical.

— T'as pas vu le panneau ?

— Euh, non. Du genre ?

— Du genre « site à visiter ».

— Ah ? Demi-tour, alors. On peut toujours aller voir vite fait. T'as vu un nom ?

— Saint quelque chose.

— C'est parti ! termina Camille en effleurant des doigts la nuque de son chauffeur.

Ce dernier manœuvra au milieu de la route déserte afin de s'engager sur la communale menant à Saint-Aimé, village protégé. Les frondaisons esquissaient des fresques d'ombre et de lumière sur la carrosserie du Duster brun cajou. La pureté de l'air interpellait toujours le nez de Jérémy lorsqu'ils partaient en vacances. Rien à voir avec celui de Rouen. Il n'avait qu'une seule hâte : déménager, se retrancher à la campagne, fuir la folie urbaine.

Deux kilomètres plus loin, une barrière leur bloquait l'accès. Les deux comparses se regardèrent, partagèrent un silence espiègle, puis dodelinèrent de la tête. Il en fallait davantage pour dissuader ces deux aventuriers, adeptes des escapades en pleine nature. Falaises abruptes, avens mystérieux, chemins interdits… À leurs yeux, toute source d'adrénaline méritait d'être explorée, quitte à devoir payer une amende. Tel était parfois le prix d'un souvenir impérissable.

— Les biscotos, c'est pas moi qui les ai, mon amour, rappela Camille, d'un ton flatteur.

— J'ai compris, soupira Jérémy, incapable de refréner un sourire amusé.

Barrière refermée, deux bornes encore les distançaient du village. Par souci de discrétion, Camille coupa la musique. S'ils appréciaient le « rock fort », ils se délectaient tout autant des bruissements de feuilles en parfait accord avec le chant des oiseaux.

Ils arrivèrent enfin à destination, forcés de poursuivre à pied. Jérémy gara « Teuteur » à l'entrée fleurie de Saint-Aimé. Son regard se posa sur un chat écaille-de-tortue en train de se lécher la patte au beau milieu de la rue, aucunement dérangé par l'arrivée de touristes. Hormis le félin, pas une âme à l'horizon.

Une fois les sacs à dos extirpés du coffre, Camille et Jérémy entamèrent la visite des lieux. De vieilles masures faites de blocs de pierre rouge se dressaient de part et d'autre des pavés bombés de la voie piétonne. Ce décor leur évoquait Collonges-La-Rouge. Les échoppes semblaient fermées. Il n'était pourtant que 16h15.

— C'est beau, mais qu'est-ce que c'est mort ! pointa Camille, surprise. Waouh, t'as vu la glycine là-bas ?

— Ah ouais, elle est pas toute jeune celle-là. T'inquiète, un jour, on aura notre jardin à nous. Loin de la banlieue, du bruit et de la pollution. Plus jamais cette vie de fou.

— J'y compte bien, monsieur Valet. J'y compte bien.

— Et je pourrai dès lors vous honorer sous notre superbe pergola, chère madame Louvière.

— Ça aussi, j'y compte bien !

Ils rirent en accord, occultant leurs problèmes quotidiens. Jérémy s'agenouilla dans l'espoir d'attirer le matou, qui daigna s'approcher. Ce dernier roula sur son dos et exhorta, en quelque sorte, l'ami des bêtes à lui grattouiller le ventre. Camille captura la scène. Hélas, le bruit du flash apeura l'animal, qui déguerpit derrière un mur.

— Oups, laissa-t-elle échapper, devant une paire d'yeux dardant de silencieuses réprimandes.

— Fessée en rentrant.

— Si tu insistes…, conclut-elle avant de photographier la mine réjouie de Jérémy à l'aide de son téléphone.

Rire encore. Rire toujours. Cela faisait partie intégrante de leur vie de couple.

Alerté par leurs éclats, un vieillard voûté, canne en main, glissa un œil à travers les volets partiellement rabattus.

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