VIRGINIE (1 / 1)

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De retour de congés, Ugo revêtit sa tenue d'aide-soignant, referma son casier puis se rendit en salle de transmissions. Lorsque tout le monde fut réuni, l'équipe du matin fit un rapide topo à celle de l'après-midi, avant dispersion générale. Ugo apprit alors qu'une nouvelle tête avait rejoint les rangs de l'aile ouest.

Un soleil radieux avait invité le trois-quarts des résidents dehors, aussi Ugo décida-t-il de faire plus ample connaissance avec Virginie, hospitalisée six jours plus tôt, à la demande de sa mère, dépassée par les événements. Dans un premier temps, Ugo survola les grandes lignes de son dossier médical : dix-neuf-ans, retard mental, psychose infantile, tentatives de suicide. Une note au stylo rouge, souligné d'un double trait, piqua sa curiosité : NE JAMAIS LUI RETIRER SON MIROIR. RISQUE DE CRISE SEVERE.

Ugo héla son collègue, de passage dans le couloir :

— Eh JB ! T'en sais un peu plus sur cette histoire de miroir avec Virginie ?

— D'après ce que la mère nous a dit, c'est un cadeau que sa grand-mère lui a fait peu de temps avant de décéder. Elle nous a également confié que chacune des TS de sa fille se sont produites après qu'on lui a pris son miroir. Donc pas touche ! Tu vas voir, elle fait des trucs bizarres avec. Toi aussi, tu risques d'avoir droit à ton cadeau personnalisé, s'amusa-t-il. Je ne t'en dis pas plus. Suspense !

Jean-Baptiste retourna vaquer à ses occupations. De son côté, Ugo rangea le dossier dans le tiroir coulissant puis pénétra à l'intérieur de la salle principale où se retrouvaient tous les résidents autorisés à déambuler librement.

Ugo épia de loin l'adolescente, assise à une table, en pleine séance de coloriage. Une vingtaine de feutres trônaient devant son visage figé, et particulièrement laid. Malingre, front plongeant, yeux globuleux, dents du haut saillantes...

L'observateur sursauta soudain lorsqu'il sentit une main se poser sur son épaule, une farce qui lui fit avaler sa salive de travers. Sébastien, un jeune patient schizophrène, rigola bêtement avant de s'enfuir.

La quinte de toux du soignant attira l'attention de la dessinatrice en herbe, qui redressa la tête. Pour la première fois, les prunelles d'Ugo rencontrèrent les siennes, presque noires. Aussitôt, la jeune femme pivota de centre-quatre-vingts degrés puis leva un miroir circulaire encadré par ses cinq doigts étiques. Elle l'orienta de façon à pouvoir scruter Ugo avec insistance. Au bout d'un certain moment, elle restaura sa position initiale et se mit à dessiner nerveusement sur une feuille vierge.

Ugo ne la quittait pas des yeux. Elle l'intriguait.

Dix minutes plus tard, elle posa ses feutres, se leva, dessin en main, et marcha maladroitement vers Ugo, circonspect. De la bouche hideuse jaillit un son à mi-chemin entre gémissement et grognement, suffisant pour enjoindre le destinataire à saisir le dessin tendu.

Instantanément, le trentenaire se sentit mal, proche du malaise.

Virginie retourna s'asseoir à sa place, suivie de près par Ugo, lequel se positionna dans son dos. La feuille A4 gênante termina en boule au fond d'une poche de sa tunique. Puis il détailla scrupuleusement les autres dessins en bord de table.

Le premier : un personnage souriant, de forte corpulence et roux, entouré d'avions, ce qui correspondait parfaitement à Christopher, l'un des infirmiers de l'équipe n'ayant de cesse de parler de ses vols sur Flight Simulator et de son imminente acquisition du permis de pilotage.

Jean-Baptiste entra dans la salle.

— Alors, t'as vu ça ? C'est incroyable ! s'extasia ce dernier en désignant le second dessin qu'Ugo examinait. Je ne lui ai rien dit. Elle l'a fait dès qu'elle m'a vu. Bon, c'est sûr que c'est même pas du Picasso, mais on reconnaît l'essentiel. La guitare électrique, les chevaux, et mon sourire dévastateur.

— Elle t'a aussi regardé dans le miroir avant de dessiner ?

— Moi, et tous les autres. Idem avec les résidents. Et le tien, pas encore fait ?

Virginie émit derechef le son hybride avant de désigner la poche bombée d'Ugo.

— Oh le petit cachottier ! Fais-moi voir ça !

Ugo repoussa violemment l'invasive main de son semblable :

— Je… Excuse-moi, mec… C'est juste que ce dessin me rappelle des trucs du passé que j'ai pas forcément envie de déterrer.

— Euh… Ok. Je ne pouvais pas savoir.

Ugo s'éclipsa, s'enferma quelques instants dans les toilettes du personnel. Penché au-dessus du lavabo, il envoya de l'eau froide sur sa mine écarlate, puis tomba sur son reflet. Du moins, sur un reflet dont il n'était plus le seul à percevoir les invisibles nuances. Il ne fallut que quelques secondes à son esprit pour tisser le proche avenir de Virginie. Restait à savoir quand et comment, mais de toute évidence, ce serait fait dans les plus brefs délais. Urgence oblige.

De retour dans la salle principale, Ugo constata que la perturbatrice, ainsi que son collègue, avaient disparu. Sur la table gisait la copie conforme de l'offrande qu'il avait fourrée dans sa poche, réalisée pendant sa courte absence.

Jean-Baptiste réapparut au niveau de l'accès aux chambres des résidents et arriva à hauteur d'Ugo, l'air hostile.

— J'ai ramené Virginie dans sa chambre. En passant, j'ai demandé à Chantal si tu avais l'habitude d'être très très gentil avec elle, si tu vois ce que je veux dire. Et devine ce qu'elle m'a répondu, sale petit enfoiré de merde ?

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