OBSESSION (1 / 2)
À la vue de celui avec qui il avait travaillé un mois plus tôt, Corentin s'arrêta devant la porte vitrée du Captain Jack's Tattoo, sous le regard interrogatif du gérant debout derrière le comptoir. Lorsque l'indésirable disparut de la rue, Corentin dit au revoir à son tatoueur favori et quitta les lieux. En tant que demandeur d'emploi multi-récidiviste, Corentin n'avait aucune envie de faire, à qui que ce soit, un résumé de ses quatre nouvelles semaines d'errance, emmuré dans sa « tanière », un petit appartement en plein centre ville.
Heureux de sa nouvelle tête de loup couvrant l'intégralité de son dos, enfin terminée au bout de la quatrième séance, Corentin marcha d'un pas accéléré, sans prêter la moindre attention aux filles des alentours ni aux vitrines des magasins. En chemin, il se réfugia dans ses pensées et se déplaça en mode automatique du point A au point B, comme à l'accoutumée.
De retour à l'appartement, il s'empressa de se déshabiller afin d'admirer l'œuvre complète, au milieu des trois psychés occupant la pièce principale. Nu comme un ver, il se caressait du regard, examinait chaque millimètre d'un corps que l'encre noire recouvrait désormais en grande partie. Les quatre membres, le tronc et le cou présentaient des tatouages en lien, de près ou de loin, avec le loup tels que pleine lune, empreintes de pattes, forêts, crocs et symboles celtes.
De son époque gothique, ce jeune trentenaire n'avait rien conservé hormis un pendentif en forme de pentagramme et quelques livres satanistes, « pour le fun et la déco » expliquait-il lorsqu'il se sentait forcé de justifier leur présence, fait devenu rare au vu du néant relationnel qu'il avait instauré autour de lui. Il ne cessait jamais de se répéter qu'on ne pouvait être qu'abandonné par les autres lorsqu'on l'avait déjà été par ses propres parents, alors pourquoi s'encombrer de relations ? Dans la solitude absolue, voilà comment il était persuadé de se sentir un tant soit peu heureux. Ou moins malheureux. Et tout ce temps non gaspillé dans les relations sociales, il l'utilisait pour regarder des documentaires sur ces canidés préférés et pour lire des livres sur ce même sujet.
Il s'écoula presque une heure avant que Corentin ne se décidât à stopper la contemplation de son dos, en partie rouge, et d'envisager d'ouvrir la fidèle boîte de raviolis des jeudis soir. Repas avalé, il fila se laver, après quinze minutes de plus passées devant le miroir puis passa autant de temps au sortir de la douche. Après s'être enduit le dos de crème hydratante, il se banda le tronc pour éviter d'en mettre partout, prêt pour une sieste.
Allongé dans le canapé, il ferma les yeux en repensant au loup tchèque qu'il avait repéré à la SPA, toutefois conscient que cette race de chien n'était compatible ni avec ses conditions de vie actuelles ni avec cet environnement trop étroit. Un jour, peut-être.
Deux heures plus tard, une vague de démangeaisons aux bras le réveilla, lesquelles s'intensifièrent à mesure qu'il se grattait, amplifiant de surcroît l'érythème déjà présent et gagnant en étendue au fil du temps. Corentin ne se souvenait même plus de la dernière fois qu'il avait serré la main de son médecin traitant, et ce n'était certainement pas ce problème de peau soudain qui l'y conduirait. Un tour à la pharmacie suffirait.
Au coucher du soleil, Corentin s'était transformé en écrevisse ébouillanté. La nouvelle crème qu'il était allé chercher à l'officine de la rue adjacente avait à peine atténué son prurit.
— Je sens que je vais passer une super nuit, soupira-t-il en s'allongeant dans son lit.
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