OBSESSION (2 / 2)
Le croissant de lune qu'il scrutait à travers la vitre donnant sur sa chambre lui permettait de penser à autre chose, de rêver, d'imaginer mille et un scénari. Mais aux démangeaisons s'ajoutèrent des douleurs maxillaires semblables à celles provoquées par la sensibilité dentaire. Sous son crâne résonnait sa volonté de ne pas succomber à l'envie de perdre des heures entières aux urgences, sûrement pour quelque chose de tout à fait bénin.
— Allez, courage ! Ça passera comme c'est venu.
Aux premières lueurs du matin, Corentin commença à réviser ses convictions. Le sang commençait à zébrer son corps tant il se grattait. Faute de voiture, il ne lui restait plus qu'à marcher une bonne trentaine de minutes avant d'atteindre le CHU, vêtements trempés puisque déjà en sueur au moment de quitter l'appartement. Le thermomètre n'avait pourtant pas révélé de température anormale.
Arrivé au bout de la rue en cours d'éveil, Corentin s'arrêta et fixa la grille fermée du cimetière.
Je pourrais gagner pas mal de temps en passant par là... Mais faut que j'escalade, fais chier.
Ah ! Tant pis, j'en peux plus !
Coup d'œil à droite, coup d'œil à gauche et voilà qu'il montait sur un arbre dont les branches l'aidèrent à passer le mur. Chaque mouvement devenait presque laborieux, comme si la machine avait perdu toute son huile et quelques pistons en cours de route.
Je vais pas y arriver. Je vais pas y arriver. J'ai trop mal, putain !
Tel un vieillard frappé d'arthrose sévère en une nuit, Corentin claudiqua le long des monuments, se refusant quelques haltes qu'il jugea plus nocives que bénéfiques. À présent, chaque minute comptait.
Le cimetière se composait d'une partie ancienne et d'une extension moderne encore plus grande. La traverser s'avéra une véritable épopée, mais Corentin y parvint tant bien que mal. Ne lui restait qu'à franchir un dernier mur. Par chance, la structure accueillant les déchets verts lui faciliterait la tâche. Lorsqu'il se lâcha pour retomber de l'autre côté, la douleur fut telle qu'il s'effondra ainsi qu'un pantin désarticulé, insoutenable au point de ne plus parvenir à se relever.
Les gémissements devinrent des cris ; les cris, des appels à l'aide suffisamment puissants pour attirer une poignée de travailleurs matinaux eux aussi à pied. Un coup de téléphone plus tard, arriva à vitesse grand V un véhicule du SAMU. Les premiers examens de terrain s'enchaînèrent, accompagnés des premières hypothèses sur un cas décrit comme atypique. Direction les urgences.
— Vous tachycardez un peu, mais sinon rien de grave niveau constantes, souligna le médecin. Vous avez une idée de la cause de cette dermatite fulgurante et de ces douleurs ?
— Nan. C'est... monté... comme ça.
— Allergie à une nouvelle crème ?
— J'ai toujours utilisé la même. Sauf celle que j'ai acheté en pharmacie hier, mais ça montait déjà.
— Bizarre. Pas de contact avec un nouveau tissu ?
— Non plus. Je... me suis juste fait faire... un nouveau tatouage dans le dos. Mais... je pense pas que... Aaaah !
— Sur une échelle de un à dix, un étant le moins douloureux...
— Huit. Neuf.
— OK. Pas de réactions connues aux anti-douleurs, morphiniques ou autres traitements ? Monsieur ? Oh ! Restez avec nous ! Monsieur !
Corentin venait de sombrer. Les constantes s'affolèrent. Tachycardie accrue. Fibrillations. Déclenchement des procédures d'urgences et de réanimation. L'équipe, au sang froid caractéristique du métier, s'affairait autour du corps poilus, rouge vif et sanguinolent. Plusieurs minutes s'écoulèrent avant que le cœur ne relancât ses battements.
— C'est bon ! Il est revenu et il a l'air stable !
— Et il ronfle en plus ! s'amusa l'apprentie tandis qu'il approchait de l'entrée des urgences.
— Je dirais même qu'il gro...
Le conducteur entendit alors des hurlements déchirants à l'arrière du véhicule, combinés à de fortes secousses et au bruit du chaos. Inquiet, il se dépêcha de se garer, attendu par l'équipe de soignants. Il courut ouvrir les portes arrières. Surgit alors, en appui sur ses quatres membres, tout recouvert de sang, un jeune homme au regard hostile tenant un lambeau de peau entre les dents, fraîchement prélevé sur le visage du médecin urgentiste, gisant au sol, à l'image des autres occupants. Ni une ni deux, l'homme enragé s'enfuit telle une bête enragée, exposant au passage le magnifique loup tatoué dans son dos.
Une semaine plus tard...
— Sans transition, nous venons d'apprendre que le loup qui rôdait en périphérie d'Amiens a enfin été capturé. Il n'était pas identifié et personne à ce jour ne peut expliquer la présence d'un tel animal dans cette zone. Selon les informations qui nous sont parvenues, il semblerait que le zoo d'Amiens se soit proposé pour le prendre en charge en dépit des attaques menées contre plusieurs habitants, attaques qui justifiaient en première intention une euthanasie. Mais il s'agirait d'une race de loup à ce jour inconnue.
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