Chapitre 5 : Un matin d’octobre à Pitlochry - Partie 3 : Mère et fille. (nouvelle version)
L’Aston Martin offerte à Harold pour ses cinquante ans descendait l’allée du parc encadrée de sapins blancs. La jeune femme au volant franchit l’imposant portail d’entrée, de style baroque, en fer forgé avec deux vantaux. Des lanternes, alimentées par des panneaux solaires reposaient sur les deux colonnes. Il était loin le temps où on allumait les bougies une par une avec une allumette les soirs de réceptions.
La voiture bifurqua à droite en direction de Pitlochry. La petite route longeait la River Tunnel. Les clients de la distillerie appréciaient le charme de ce chemin, comme si les propriétaires des lieux avaient voulu depuis bien longtemps la dissimuler aux curieux.
– Heureusement que je n’avais pas besoin de conduire en France, commença Céléna.
– Pourquoi ? Il n’y a rien de plus compliqué que chez nous.
– Même sur mon vélo, j’avais du mal à tenir la droite.
– C’est une question d’habitude.
– Sûrement, mais de toute façon le deux roues c’était plus sympa pour aller en cours, précisa Céléna.
– Comment vont tes amis Alexandre et Betty ? Ont-ils fini leurs études ? s’enquit la passagère.
– Bien, Alexandre a eu son diplôme de vétérinaire et Betty voudrait être chirurgienne en pédiatrie, aussi il lui reste trois années universitaires. D’ailleurs, je ne t’ai pas dit, ils vont prendre un appartement ensemble d’ici la fin de l’année. Fini pour eux la colocation, le grand début de la vie en couple.
– Et toi ? demanda Isabel du bout des lèvres.
– Oh, je retrouve avec plaisir mon Ecosse, ma maison aussi pas d'urgence.
– Non, je voulais parler de ta vie à deux.
– Oublie maman, la supplia-t-elle.
– Mais, que devient Martin ? Tu ne m’en as pas parlé depuis plusieurs semaines.
– Ce crétin, il ne mérite que mon mépris.
Isabel fut surprise par le ton de sa réponse, cela ressemblait si peu à Céléna.
– Il avait l’air pourtant charmant, quand tu nous l’as présenté à Noël. Vous aviez l’air si bien ensemble.
– Du flan tout ça. Rien du prince charmant et il s’est transformé en crapaud baveux.
– Pourquoi ne m’en as-tu pas parlé ?
– Parce que ce n’était pas important.
– Il t’a brisé le cœur ? insista Isabel.
– Oui, mais heureusement j’ai ouvert les yeux à temps et pris conscience que ce n'était pas l’homme avec qui je voulais partager ma vie.
Isabel,décontenancée, ressentait la colère de sa fille. Devait-elle continuer sur cette voie où s’en tenir à ce que Harold lui avait suggéré, attendre ? Céléna se gara sur le parking proche du centre ville, arrêta le moteur et descendit de la voiture. Elle avait besoin de prendre l’air. Isabel la rejoint, posa une main sur son épaule et lui dit :
– Allez, viens. La coiffeuse nous attend. Un petit soin nous fera du bien.
– Oui maman. Pardon, si je t’ai heurtée avec mes propos. Si tu veux bien, nous en reparlerons plus tard.
Les deux femmes remontèrent la rue principale, chacune plongée dans leurs pensées. En pénétrant dans le salon, elles furent accueillies par la pulpeuse Caroline, une trentaine d’années et enceinte de sept mois.
– Lady Mac Craig, ravie de vous revoir. Soyez la bienvenue.
– Bonjour Caroline, comment se portent la future maman et son petit ?
– À merveille, il bouge beaucoup. Prenez place dans les deux fauteuils proches de la fenêtre, leur suggéra-t-elle.
Céléna et Isabel se mirent à l’aise. Leurs manteaux trouvèrent une place de choix sur deux jolies patères en forme de chardon. La coiffeuse leur servit une tasse de thé. La boutique, de taille modeste, était cosy. Les murs de couleurs pastels mettaient en valeur les cadres photos. Caroline participait régulièrement à des concours et sollicitait ses clientes pour jouer au modèle. Ravies de cette attention, elles se prêtaient volontiers à l’exercice.
– Céléna, tu es de retour au pays ? dit Caroline heureuse de la retrouver.
– Je suis rentrée hier et je pose mes valises en ces terres pour de longues années.
– Raconte-moi, c’était comment ces dix derniers mois ? Tu n’as pas dû croiser de coiffeur en France ? dit-elle en passant ses mains dans les longues mèches de sa cliente.
– J’avoue que je n’ai pas pris le temps. Je n'avais pas beaucoup de temps. Sinon cette période a été sympa à plusieurs égards et épuisante pour d’autres.
Caroline s’était installée à Pitlochry juste après son mariage avec son mari qui prenaient ses fonctions au Fisher’s Hotel. Au cours d’une réception à l’Hôtel, elle avait rencontré Isabel qui lui avait présenté sa coiffeuse de l’époque. La gérante souhaitait prendre sa retraite. De fil en aiguille, elle avait pu reprendre le fond de commerce.
– Céléna que souhaites-tu ? Soin et coupe ? demanda Caroline en déposant une noisette de shampoing aux délicates effluves de chèvrefeuille.
– Je dirais la totale ! Si tu as le temps.
– Pour toi, toujours. Et vous Isabel ?
– La même chose, répondit-elle en souriant.
– Et bien, c’est parfait.
Céléna avait une longue chevelure brun moka, avec de belles ondulations. Isabel, brune et très coquette, aimait changer de style, toujours partante pour servir de modèle à Caroline.
– Caroline, est-ce tu peux me faire un dégradé ? Je voudrais aussi une mèche large, je ne supporte plus cette frange, supplia Céléna.
– Tu veux que je te montre quelques modèles pendant que je m’occupe de ta maman. Ainsi le soin pourra agir par la même occasion.
La coiffeuse s’affairait et les conversations allaient bon train entre les trois femmes. Isabel optait pour un carré plongeant court et lisse.
– Maman, tu es magnifique. Cela te ressemble tellement, classe et féminin, applaudit Céléna.
– Toi aussi ma douce, cela te change. On peut enfin voir tes beaux yeux verts.
Les clientes saluèrent et remercièrent Caroline. Isabel lui adressa une dernière recommandation avant de franchir le pas de la porte :
– Ne force pas inutilement, si tu ne veux pas que le bébé arrive plus tôt que prévu.
Mère et fille remontèrent la rue jusqu’à la boutique Scottish Lady qui se trouvait dans la Maison de Bruar. La neige de la nuit avait fondu avec l’arrivée du soleil. Les deux femmes s'arrêtèrent devant la vitrine.
– Oh regarde maman, c’est parfait, dit Céléna enthousiaste.
Le mannequin, vêtu d’une jupe en tweed vert typiquement écossais, était parée d’un sporran joliment brodé d’un chardon et de deux roses blanches.
– Un tantinet classique ? la taquina Isabel.
- Sûrement, et pourtant elle sera idéale.
– Entrons et demandons à Madame Mac Naam si elle a le modèle dans ta taille.
Isabel poussa la porte. Au son de la clochette, une dame d’une soixantaine d'années apparut, ses lunettes posées sur le front.
Cela amusait toujours Céléna. À peine entrée dans une boutique, un restaurant ou tout autre lieu de Pitlochry, sa maman était accueillie avec joie. Il était difficile pour les Mac Craig de passer incognito, avec la notoriété de la distillerie. Le plus impressionnant encore, la réciproque était tout aussi vraie. Sa mère connaissait beaucoup de monde et surtout prenait toujours le temps de s’intéresser à eux.
– Bonjour Madame Mac Naam, votre mari va-t’il mieux ? s’enquit Isabel dès le seuil franchi.
– Oui, merci. Il est rentré de l’hôpital hier. En attendant que puis-je faire pour vous et votre fille ?
– Céléna est tombée sous le charme de la jupe dans la vitrine.
– Votre fille a toujours eu très bon goût.
– Est-ce que vous l’auriez éventuellement dans sa taille ?
– C’est un exemplaire unique, mais je pense qu’elle lui ira comme un gant.
À ces mots, Madame Mac Naam se dirigea vers la vitrine, pour déshabiller le mannequin.
– Mademoiselle Mac Craig, veuillez passer en cabine.
Céléna se glissa derrière le rideau, et en se regardant dans le miroir, elle eut un mouvement de recul. Le souvenir de Martin lui revint en plein visage comme une gifle. Ils étaient tous les deux dans cette même boutique à Noël dernier. Elle essayait une robe et il était là juste derrière le rideau, essayant de la regarder.
– Céléna tout va bien ? demanda Isabel.
– Oui, maman, répondit-elle. Je finis de m’habiller.
Pourquoi ce salopard refaisait surface là maintenant ? Elle croyait l’avoir rangé dans la case “affaire classée”. Il semblait être là comme un fantôme errant derrière elle. Peut-être devrais-je en parler à maman ? Cela me soulagerait. Je le garde depuis trop longtemps en moi, songea-t-elle.
Céléna franchit le rideau, et se présenta dans sa tenue.
– Tu es magnifique. Tu avais raison, elle est faite pour toi, lui dit Isabel.
– Je l’adore. Madame Mac Maan, est-ce possible de l'agrémenter d’un pull à col roulé dans des tons crèmes ?
– Vous allez faire tourner bien des têtes mademoiselle, annonça la couturière.
Céléna vira au blanc. Isabel s’en aperçut et s’inquiéta à nouveau, mais se garda bien de tout commentaire. Une fois la patronne partie dans le fond de la boutique, Céléna s’approcha de sa mère, se pencha et lui glissa à l’oreille avec un trémolo dans la voix :
– Maman, il faut que je te dise quelque chose.
– Ici ? Maintenant ?
– Non, après.
– Tu veux que nous rentrions à la maison.
– Non, emmène-moi à Cluny House Gardens comme quand j’étais petite.
– Excellente idée, nous prendrons un pience-n-chips en passant.
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