Chapitre 8 : Passage de témoin - Partie 4 : Whisky  (nouvelle version)

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Harold se dirigea vers la maison d’un pas léger. Sa casquette en tweed ancrée sur sa tête protégeait le bandage qui recouvrait les points de suture. Restée à la distillerie, Céléna attrapa le balai et ouvrit en grand la porte à double battant et toutes les fenêtres.

Cette pièce avait conservé le charme du siècle passé. Au centre, le bar composé de fûts de chêne pour les pieds, formait un bel ovale. Sur les tonneaux reposait un superbe plan de travail de marbre blanc. Dans un coin, de vieux fauteuils en cuir couleur bronze étaient recouverts de plaids verts. Dans cet espace très cosy, Rory et Harold appréciaient le calme du lieu. Tous deux se retrouvaient ici pour discuter, établir des plans et de nombreux élixirs y avaient vu le jour.

Le clou du spectacle, accroché au mur, captivait les visiteurs. Chacune des bouteilles était exposée comme des tableaux. Chaque Whisky avait sa propre théâtralisation.

Les voûtes donnaient encore plus de mystère à la salle et accentuaient la hauteur de plafond. Céléna avait arpenté l’espace à chaque fois que l’occasion se présentait. La fillette avait grandi dans ses murs. Là où les ses copines jouaient dans leur chambre aux princesses, de son côté, elle apprenait à sa poupée à reconnaître les odeurs et les couleurs des alcools. Elle lui racontait des histoires dans cet univers qui la captivait. Et combien de fois, s’était-elle endormie dans les grands fauteuils parce qu’il était hors de question pour elle de rentrer sans son père.

Harold arriva avec un panier joliment dressé, on reconnaissait sans mal la minutie de sa mère.

– Parfait, s'enthousiasma-t-elle. Il ne manquait plus que toi. Nous sommes fins prêts à accueillir nos visiteurs.

Les voitures se garaient sur le parking quelque peu encombré par les squelettes des sapins. Céléna et Harold s’empressèrent d’aller recevoir leurs invités pour leur faire oublier au plus vite le paysage lunaire. Une surprise attendait notre jeune oenologue. Parmi les acheteurs, se trouvaient Christophe, Monsieur Garnier et Monsieur le Directeur, les deux derniers accompagnés de leurs femmes.

– Céléna, ma chère, nous avons été très peinés d’apprendre ce que vous avez dû endurer cette nuit, dit Monsieur Garnier.

– Comme je suis heureuse de vous voir ici parmi nos visiteurs du jour, répondit Céléna. Merci à vous pour votre sollicitude. Nous sommes tous en bonne santé, le reste n’est qu’un détail.

– Mademoiselle Mac Craig, je vous reconnais bien là, votre enthousiasme et votre optimisme sont contagieux, ajouta le Directeur.

Après les présentations de rigueur, tous les clients suivirent Harold et Céléna dans la distillerie et commencèrent la visite du lieu. Père et fille parlaient à l’unisson, sans pour autant avoir eu le temps de se concerter au préalable.

En les voyant œuvrer, rien ne laissait présager qu’il s’agissait là de leur première expérience en duo. Leur belle complicité était touchante. Tout le monde tomba sous le charme de la visite.

Céléna prit la parole, Harold laissa la main à l’experte.

– Permettez-moi de vous inviter à un voyage sensoriel. Nous entrons dans la salle des cinq sens. Je vais vous demander de vous laisser aller et de ne fermer aucune porte. Installez-vous le plus confortablement possible.

La lumière tamisée donnait aux bouteilles au mur, des allures de phare dans cette douce obscurité. Les récipients éclairés avec subtilité, mettaient en valeur la couleur de leur robe, dorée, cuivrée, bronze, vert ou ambre.

– Je vais d’abord vous demander de vous laisser guider par votre regard. Quel écrin vous attire spontanément ? Choisissez-en trois par ordre de préférence. Il y a un symbole sur chacune d’entre elles et revenez vers nous. Vous avez tout votre temps.

Rory et Harold se tenaient également prêts.

– Les verres à whisky, ne sont-ils pas plus large d’ordinaire ? demanda Madame Garnier.

– Contrairement aux idées reçues, mieux vaut ne pas opter pour un verre large. Préférez un verre à sherry, ou comme je vous le propose aujourd’hui celui en forme de tulipe.

– Vous n’ajoutez pas de glaçons ? lança un client.

– Une fois pour toute, la réponse est non, la glace est l’ennemi du whisky. Son effet anesthésiant est radical sur les papilles gustatives et fige les arômes du whisky à cause du choc thermique, s’agaça Rory.

– En revanche, en bon Écossais, nous ajoutons quelques gouttes d’eau de source pendant la troisième étape de la dégustation, de manière à abaisser très légèrement son intensité alcoolique pour faire ressortir toute la palette aromatique, ajouta Céléna pour ne pas froisser l’auditoire.

Céléna, Rory et Harold versèrent une petite quantité dans les verres, afin que chacun puisse faire tourner le liquide. Avec trois centilitres, le whisky pouvait exprimer au mieux toutes ses caractéristiques.

– Est-ce qu’il y a des règles, si on goûte plusieurs whiskies à la suite comme aujourd’hui ? s'intéressa Madame Garnier.

– Il est prudent de placer les whiskies tourbés à la fin. La tourbe reste longtemps en bouche et de ce fait efface les arômes floraux et fruités, précisa Harold.

Céléna prit à nouveau les choses en main, afin d’expliquer les étapes suivantes. Elle tenait le verre à l’aplomb de son nez.

– Cela permet ainsi de laisser aux arômes le temps de monter. C’est le premier contact olfactif avec le produit, ce que nous appelons le premier nez. La première impression. Vous allez ressentir les premières exhalations tout en laissant votre nez s’habituer au degré d’alcool. Une fois que vous êtes adaptés, rapprochez le nez petit à petit à l’intérieur et vous apprécierez les effluves plus primaires, terreux, épicés ou boisés.

Tout en gardant son verre à l’horizontale, Céléna commença à effectuer un mouvement de bas en haut.

– Ce geste vous permet d’aérer le malt, on le nomme le deuxième nez. Il va vous aider à confirmer ou pas votre première impression. Vous allez pouvoir apprécier les différentes strates d’arômes maltés, épicés et terreux qui se trouvent en bas du verre. Plus vous montez, plus les parfums sont légers et volatiles comme les épices douces et les fruits secs qui s’en dégagent.

Chacun, tout en la regardant imitèrent ses gestes en essayant de garder la parfaite représentation. Les trois petits groupes, particulièrement silencieux, respectaient l’instant solennel, tous admiratif face à l’expertise de la jeune femme. Céléna ne voulut pas briser la magie du moment, passa dans chaque groupe et déposa un carnet avec un stylo.

– Je vous conseille de prendre des notes, leur murmura-t-elle. Écrivez ce que vous sentez et ressentez pour vous constituer un livret que vous pourrez compléter au fil de vos nouvelles expériences en dégustation.

Chaque client portait le verre à ses lèvres, il était temps de laisser le liquide se déposer. La première gorgée était brève et crachée assez vite, elle servait à la préparation de la bouche. Elle faisait monter à bonne température le palais et anesthésiait légèrement les joues.

Les papilles gustatives restaient ainsi excitées pour apprécier au mieux la seconde gorgée que l’on gardait plus longtemps en bouche, développant la mémoire sensorielle avec le sucré, le salé, l’acide et l’amer. La troisième fois, on se posait les questions suivantes : était-elle puissante ? charpentée ? légère ? plate ?

Céléna reprit la parole, après avoir laissé chacun découvrir l’harmonie des goûts :

– La finale est le point d’orgue de la dégustation, une fois la gorgée avalée, son intensité s’exprime en caudalie. Plus la perception est longue entre vingt et vingt-cinq secondes, plus c’est un signe de qualité des caractéristiques du malt. Il y a alors une rétro-olfaction, c’est-à-dire un retour aromatique du nez à la bouche.

Une fois la dégustation du premier verre réalisée, il fallait l’observer. L’alcool s’évaporait et le verre exhalait ses arômes provenant des extraits secs du whisky.

– Plus il est vieux, plus ces arômes seront intenses, précisa Harold.

– Ils vont vous transporter dans les chais de la distillerie. Alors la dégustation touche au sublime, ajouta Céléna.

Chaque groupe poursuivait ainsi la découverte des différents produits qu’ils avaient sélectionnés. Malgré la présence des douze convives, la pièce était toujours aussi calme, tous prenaient leur temps pour déguster chaque gorgée laissant les effluves tapisser leur palais.Chaque élixir avait sa propre signature.

Il était dix-neuf heures quand les invités partirent. Tous remercièrent vivement Céléna pour son expertise, Rory pour sa bienveillance et Harold pour sa gentillesse et sa disponibilité. Ils avaient particulièrement apprécié de partager avec eux cette belle expérience.

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