Mike posa la lettre sur le bureau et marcha pour se dégourdir les jambes et reprendre contact avec le présent. L’écriture sincère, les mots si forts l’avaient bouleversé mais il lui tardait de poursuivre.

« Aujourd’hui, j’ai fêté mes vingt ans, avec Papa et Maman, nous avons partagé une belle semaine de vacances sur l’île de Lewis and Harris. Comme je comprends Maman, ton besoin de revenir plonger dans tes souvenirs sur les terres de ton adolescence chez ta grand-mère. Je suis tombée sous le charme de ce lopin de terre qui ne peut laisser indifférent. Puis, nous sommes allés à Gearrannan parce que j’ai ressenti l’appel de ce lieu. À ma façon, je voulais rendre hommage aux Orphelins déportés, j’ai appris leur histoire au cours de mes années d’études et de mes différentes recherches. Je voulais marcher dans leurs pas, suivre leurs traces. Au travers de leurs histoires, j’ai pris conscience de la chance que la vie m’avait offerte et qu’ils n’ont pas eue. J’espérais juste qu’ils avaient pu découvrir à nouveau l’amour de parents bienveillants. Tous ont vécu dans des conditions parfois terribles. Pour ma part, j’ai connu le confort d’un Castle où l’on m’a accueillie les bras grands ouverts. Quand ils se sont refermés sur moi, ils m’ont recouverte de douceur et de sécurité comme je n’en n’avais jamais connu. Je vous suis tellement reconnaissante Papa et Maman qui m’avaient donné la vie. Vous ne saviez pas de quoi seraient faits vos lendemains. En me laissant vous m’avez permis de m’envoler et de devenir la femme que je suis. Vous, papa et maman, qui m’avez ouvert la porte de vos cœurs, vous m’avez guidée pour que je me construise sans peur.

En venant ici, je ne savais pas ce qui m’attendait. Et là, j’ai croisé ton chemin Ophélie. Tu étais perdue, seule, cherchant un peu de réconfort sur cette plage. Tu m’as rappelé d’où je venais et tu m’as surtout montrée que comme moi tu étais au début de la route et qu’il te fallait juste quelqu’un pour t’écouter et te rassurer. Quand tu liras ces quelques mots, j’espère que tu auras été accueillie à ton tour dans une famille aimante et que tu leur laisseras la chance d’avoir une place dans ton cœur. Chacun de nous mérite de connaître le bonheur. J’espère que les Orphelins déportés auront pu aller dans la vie, libres en temps et en heure.

Maintenant, je sais qui je suis et suis particulièrement fière de regarder loin devant moi, prête à relever tous les défis qui se présenteront.

Merci à vous Papa et Maman d’hier, vous aurez toujours une place dans mon cœur. Je vous serai pour toujours reconnaissante, soyez heureux.

Papa et maman d’aujourd’hui, je serai toujours là fille que vous vouliez et ferai de mon mieux pour vous offrir en retour autant d’amour que vous m’en avez donné jour après jour. Vous êtes à mes côtés pour toujours.

De votre fille devenue femme aujourd’hui pour les parents de sa vie. »

Mike debout, face à la fenêtre encore ouverte, humait le filet d’air frais. Des larmes glissaient sur ses joues, les battements de son cœur ralentissaient. Il venait de lire les derniers mots et ne pouvait pas se défaire du contact du papier.

Il ne savait plus où il se trouvait, comme s’il était retourné sur la plage de Gearrannan avec Ophélie. Il voyait la petite fille et avait la sensation qu’elle lui tenait toujours la main. Puis, Il se demanda tout à coup, s’il ne devrait pas rapporter la lettre et la reposer dans le cairn, à la seule place où elle devait être.

Troublé, au fur à mesure, Mike prenait conscience qu’il aurait pu écrire ce genre de lettre, pas aussi bien mais les mots exprimèrent ce qu’il ressentait depuis trop longtemps. Lui aussi avait tout perdu en une nuit et avait eu la chance de se reconstruire auprès de ses grands-parents qui l’aimaient tant.

Pourquoi était-elle en sa possession ? Et les mots d’Ophélie revinrent à son oreille comme s’il pouvait sentir sa présence:

– Conserve cette lettre, peut-être qu’un jour tu verras la fée et tu pourras lui dire que je suis heureuse et que je la remercie.

Pourquoi lui, comment pourrait-il croiser sa route ? Il avait bien quelques indices, bien maigres, des initiales CMG, qu’il s’agissait d’une femme qui devait avoir son âge, vingt-quatre ans.

Mike s’endormit sur cette dernière pensée.

À cent quatre-vingt-dix kilomètres de là, Céléna s’assoupit à son tour.