Le Tilleul
Il y a de cela bien longtemps
Lors d’un lointain printemps
J’émergeai de la terre féconde
Aux abords de la lisière d’une forêt
De chênes, d’érables et de châtaigniers
D’abord frêle, je me fortifiai,
Plus haut encore m’élevai,
Désireux de toucher le ciel
Et de déployer mes jeunes feuilles au soleil
L’été vint, je grandis
Profondément dans la terre racines je pris
Bien déterminé à vivre et résister
À la froide saison qui ne saurait tarder
L’automne la forêt proche embruma
De feu et d’or nos chevelures para
La chaleur estivale s’en était allée
La fraîcheur commençait à s’installer
Mes deux feuilles, mes deux feuilles dorées
À mon pied sont tombées
Ma sève ralentit
Et, avant l’hiver, je m’endormis
Je ne me souviens que brièvement
Du froid manteau blanc
Qui tomba des nuages
Et recouvrit le paysage
Le printemps revint, la douceur aussi
Je me réveillai enfin, de mon sommeil sortis
Les saisons passent et reviennent, moi je croîs et grandis
Arbre solitaire près de la lisière d’une forêt, sentinelle de ces bois
Les jours défilent, comme les nuits
Les jours s’allongent et raccourcissent, inversement pour les nuits
J’ai vu bien des aubes et des crépuscules
Des levés de soleil, des levés de lunes
J’en ai vu passer des nuages et des oiseaux
Des orages et des animaux
J’ai regardé maintes fois les étoiles argentées
M’extasiant devant leur tendre beauté
J’ai écouté maintes fois les vents
Mugir ou murmurer
J’en ai vu des ciels ; ciel d’hiver, ciel d’été
J’en ai vu des fleurs éclorent à mes pieds
Et tout autour de moi, dans ces plaines de campagne inviolées
Pour finalement, à l’automne faner
Les années ainsi ont passées
Plus largement mon ombre j’ai étalé
De quinze ans je suis désormais âgé
Et le printemps, une fois encore, est arrivé
Les hirondelles l’ont annoncé
Les hirondelles, premières arrivées
Fendent les airs de leur vol rapide
Vont et soudain virent, flèches agiles
Mes fleurs s’ouvrent, les abeilles viennent et m’entourent
Bourdonnent à m’en rendre sourd
Les oiseaux dans ma chevelure bien fournie
Construisent leurs nids
Été, chaleur et orage reviennent
Puis passent, comme toujours, l’automne amènent
Les œufs ont depuis longtemps éclos, les oisillons depuis longtemps ont pris leur envol
M’abandonnant, moi, qui suis enchaîné au sol
Les hirondelles sont reparties
Vers de plus chauds pays
Là où la neige n’existe pas
Mes feuilles se dorent, prennent la teinte de l’automne roux
Puis tombent doucement, une à une ; soumises au vent fou
Elles s’enfuient loin de moi, portées par la brise
Quand d’autres à mon pied gisent
L’hiver arrive, la neige s’étend
Blancheur glacée que je contemple distraitement
Moi dont la sève a ralenti et qui somnole en attendant
Que toujours revienne le printemps
Les hirondelles sont de retour, ma saison natale aussi
Les jours, jadis trop courts, reprennent le pas sur les nuits
Les abeilles bourdonnent, venant se repaître du pollen de mes fleurs
Le froid devient plus doux et, l’été arrivant, devient chaleur
À la lisère de la forêt je me dresse toujours, fier
Je me sens majestueux, couronné de mon feuillage vert
Mais l’hiver approche, une fois encore, guettant patiemment dans la pénombre étoilée
Des derniers jours d’été
L’automne revient, ma frondaison s’effeuille
Lentement, feuille après feuille
Les jours raccourcissent, les nuits s’allongent
L’automne en hiver se change
Et la neige bientôt se met à tomber
Flocon après flocon, tout devient immaculé
Je suis maintenant chauve et endormi,
Recouvert du blanc manteau de l’hiver gris
Un renard au vif pelage
Passe sous moi puis continue son voyage
Ne laissant de lui que ses traces dans la neige
Ainsi qu’une touffe de poil, dans mon écorce prise au piège
Le renard a disparu et moi j’attends, comme toujours, que renaisse le printemps
Qu’il ramène avec lui les hirondelles et le beau temps
Cette année, après du printemps le retour, deux jeunes gens près de moi s’allongent
Des humains, je songe
Ce qui est rare par ici
Les amoureux revirent chaque année après ça et gravèrent même
Sur mon tronc rugueux un cœur où était écris « je t’aime »
Ils revinrent une année avec un bébé
Et l’année d’après encore
Et celle qui suivit
Comme moi, lorsque jeune pousse j’étais, l’enfant grandit
Je le regardais, attendri
Puis, lorsque les trois humains s’en retournaient
Je soupirai et le printemps, impatiemment attendait
Mais, l’année suivante ils ne vinrent pas
Et un village, sur la colline voisine poussa
Le village, au fil des ans, grossit et s’étendit
De moi sans cesse se rapprocha
D’un muret je suis finalement entouré
Quand d’autres de mes frères forestiers
Sont cruellement coupés
Une maison de pierre émerge à côté
Et je deviens l’arbre domestique d’un couple de retraité
Je rêve dans les premiers temps de ma liberté
Pense à la noble sentinelle de la forêt que longtemps j’ai été
Cependant, les saisons continuent leur ronde discrète
Me faisant oublier mon passé à la lisière de la forêt
Les hirondelles, les abeilles, les nids dans mes cheveux
Les oisillons, leur envol, l’été, les orages coléreux
Les feuilles dorées, les feuilles qui tombent, les nuits qui s’étirent
La neige, le froid, le retour des hirondelles qui volent et virent
Les étoiles, les crépuscules, les aurores
Le temps passe, entraîne mes pensées dans son sillage
Le temps passe jusqu’à que j’en oublie moi-même mon âge…
Au fond d’un jardin d’herbes folles, un vieux tilleul veille encore
Contemplant des saisons l’éternel recommencement
Et attendant que la neige, une nouvelle fois, laisse place au printemps
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