Pour que fleurisse l’aubépine
J’ai en mon cœur de ruine
Une blanche aubépine
Qui en dépit du temps passé
Continue de fleurir, année après année
C’est un arbrisseau à la forme étrange
Silhouette féminine aux ailes déployées
On pourrait croire, l’apercevant, contempler un ange
De branches et de pétales immaculés
Je me souviens du lointain printemps
Où elle a éclot pour la première fois
Une unique fleur d’ivoire et de soie
Au parfum entêtant
S’était ouverte timidement
Au bout d’un de ses fragiles doigts
Contre la chaleur des étés
Fidèlement je l’ai protégé
Étendant mon ombre fraîche jusqu’à elle
Contre le vent mordant des hivers
Je lui ai fourni un abri salutaire
Me recroquevillant au-dessus de son corps frêle
Contre les tempêtes et les orages
Je me suis dressé, ignorant mon âge
J’endurais la foudre et les pluies torrentielles
Le blizzard fatal et la grêle
Tous les caprices du ciel
Pour la préserver et la revoir sourire
Au printemps
Les humains m’ont délaissé et abandonné à ma triste destinée
Je les ai reniés et oubliés
J’ai oublié leurs fêtes et leurs danses
Leurs rires, leurs soupirs, leur comédie ridicule
J’ai oublié les milliers de réminiscences
Que dans mon corps et mon âme ils ont voulus graver
J’ai oublié les nombres d’aurores et de crépuscules
Que j’ai passé à oublié
Ma mémoire commence non pas avec ma naissance
Ni avec les humaines existences qui en moi se sont jouées
Ni avec les blessures cruelles qui barrent mes flancs
Stigmates irréversibles du Temps
Ni avec les chaînes étouffantes du lierre
Qui chaque jour un peu plus m’enserre
Ma mémoire commence à l’aube d’une délicate fleur blanche
Au bout, tout au bout d’une petite branche
Immobile par nature, je ne peux que regarder et protéger
Cette belle aubépine par laquelle débute mon passé
J’aimerais lui dire tant de choses, j’aimerai lui parler des ténèbres et de la lumière
Dont elle n’a, au fond de moi, que quelques lambeaux
J’aimerai lui conter mille histoires, lui offrir des bouquets de mots
Hélas, elle est de sève et de rêve et je ne connais que le dur langage des pierres
Alors, je me contente de veiller sur cette demoiselle parfumée
Adorant chacune de ses caresses lorsqu’une brise légère la fait frôler mes murs de grès
Écoutant chacun de ses murmures incompréhensibles pour ceux qui n’ont ni feuilles ni racines
J’ai en mon cœur de ruine
Une blanche aubépine
Qui en dépit du temps passé
Continue de fleurir, année après année
Et que toujours et sans regret
Je protégerai
Dans une contrée de France, sur une colline surplombant un fleuve sinueux
Se trouve un château très vieux
Le lierre le recouvre presque entier et sa silhouette, jadis fière, est à moitié effondrée
Ses murailles sont pleines de cicatrices et de pierres descellées, souvenirs des intempéries qu’il a affronté
Mais, au milieu de ce château en décombres
Dans le donjon qui, allez savoir comment, ne paraît pas le moins du monde atteint par les crocs du Temps
Moitié au soleil et moitié dans l’ombre
Une blanche aubépine, année après année fleurit
Embellissant l’ancien château tombé dans l’oubli
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