Pour que fleurisse l’aubépine

2 minutes de lecture

J’ai en mon cœur de ruine

Une blanche aubépine

Qui en dépit du temps passé

Continue de fleurir, année après année

C’est un arbrisseau à la forme étrange

Silhouette féminine aux ailes déployées

On pourrait croire, l’apercevant, contempler un ange

De branches et de pétales immaculés

Je me souviens du lointain printemps

Où elle a éclot pour la première fois

Une unique fleur d’ivoire et de soie

Au parfum entêtant

S’était ouverte timidement

Au bout d’un de ses fragiles doigts

Contre la chaleur des étés

Fidèlement je l’ai protégé

Étendant mon ombre fraîche jusqu’à elle

Contre le vent mordant des hivers

Je lui ai fourni un abri salutaire

Me recroquevillant au-dessus de son corps frêle

Contre les tempêtes et les orages

Je me suis dressé, ignorant mon âge

J’endurais la foudre et les pluies torrentielles

Le blizzard fatal et la grêle

Tous les caprices du ciel

Pour la préserver et la revoir sourire

Au printemps

Les humains m’ont délaissé et abandonné à ma triste destinée

Je les ai reniés et oubliés

J’ai oublié leurs fêtes et leurs danses

Leurs rires, leurs soupirs, leur comédie ridicule

J’ai oublié les milliers de réminiscences

Que dans mon corps et mon âme ils ont voulus graver

J’ai oublié les nombres d’aurores et de crépuscules

Que j’ai passé à oublié

Ma mémoire commence non pas avec ma naissance

Ni avec les humaines existences qui en moi se sont jouées

Ni avec les blessures cruelles qui barrent mes flancs

Stigmates irréversibles du Temps

Ni avec les chaînes étouffantes du lierre

Qui chaque jour un peu plus m’enserre

Ma mémoire commence à l’aube d’une délicate fleur blanche

Au bout, tout au bout d’une petite branche

Immobile par nature, je ne peux que regarder et protéger

Cette belle aubépine par laquelle débute mon passé

J’aimerais lui dire tant de choses, j’aimerai lui parler des ténèbres et de la lumière

Dont elle n’a, au fond de moi, que quelques lambeaux

J’aimerai lui conter mille histoires, lui offrir des bouquets de mots

Hélas, elle est de sève et de rêve et je ne connais que le dur langage des pierres

Alors, je me contente de veiller sur cette demoiselle parfumée

Adorant chacune de ses caresses lorsqu’une brise légère la fait frôler mes murs de grès

Écoutant chacun de ses murmures incompréhensibles pour ceux qui n’ont ni feuilles ni racines

J’ai en mon cœur de ruine

Une blanche aubépine

Qui en dépit du temps passé

Continue de fleurir, année après année

Et que toujours et sans regret

Je protégerai

Dans une contrée de France, sur une colline surplombant un fleuve sinueux

Se trouve un château très vieux

Le lierre le recouvre presque entier et sa silhouette, jadis fière, est à moitié effondrée

Ses murailles sont pleines de cicatrices et de pierres descellées, souvenirs des intempéries qu’il a affronté

Mais, au milieu de ce château en décombres

Dans le donjon qui, allez savoir comment, ne paraît pas le moins du monde atteint par les crocs du Temps

Moitié au soleil et moitié dans l’ombre

Une blanche aubépine, année après année fleurit

Embellissant l’ancien château tombé dans l’oubli

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