Frisson
- ‘Fait pas chaud hein ?
- Vraiment ?
- Quoi ?
- Tu veux vraiment partir là-dessus ? Il fait pas chaud, « frisson », et hop t’as ton texte ?
- C’est pas une bonne idée… ?
- Bien sûr que non ! C’est convenu ! D’autant qu’on est en octobre et qu’il doit bien faire 25° dehors donc clairement ça fonctionne pas.
- Je fais quoi alors ?
- Qu’est-ce qui fait frissonner ? C’est à ça qu’il faut réfléchir.
- Le froid…
- À part le froid ! C’est déjà compris dans le mot ! Étymologiquement ça vient de frigere, qui a donné frictio, puis frisson. Donc tu oublies le froid !
- D’accord…
- T’as vraiment rien d’autre ?
- La peur ?
- Oui la peur c’est bien. Quoi d’autre ?
- Le désir ? Le plaisir ?
- Ouais c’est bien aussi.
- D’accord. Bon attends j’ai peut être un truc.
Ils venaient de descendre du VTC qui les avait déposés à l’entrée de son immeuble. Elle ne savait pas bien pourquoi elle avait accepté de le suivre jusque chez lui. Il n’était pas particulièrement beau garçon et manquait d’humour. Ou du moins possédait un humour bien trop terre-à-terre. À plusieurs reprises dans la soirée elle avait tenté le sarcasme ou l’ironie, sans succès. Il s’était même vexé lorsqu’au moment de monter dans la voiture elle avait affirmé dans un sourire qu’elle préférait finalement rentrer chez elle à pieds. Étrangement, c’était ce qui l’avait décidée à accepter de monter chez lui prendre ce fameux « dernier verre », le plus souvent synonyme d’invitation à une proximité de corps avancée et que l’on propose parfois lorsque l’on manque de courage. Il y avait quelque chose d’enfantin chez lui, derrière son air absurdement viril, qui l’avait touchée. Quelque chose se trouvait au-delà de la façade qu’il donnait à observer, et elle en était intriguée.
Le hall d’entrée avait accueilli leurs premiers baisers. Leurs premières caresses. C’était elle qui avait fait le premier pas, alors qu’il s’apprêtait à poser son index sur le chiffre 7 de son digicode. Elle avait attrapé son autre main et l’avait posée sur sa poitrine, plongeant son regard dans le sien. Elle l’avait vu se figer un instant, avant de faire courir ses doigts le long de sa joue. Il l’avait regardée un instant, puis l’avait embrassée. Timidement. Les lèvres simplement posées contre les siennes. Elle avait senti un frisson parcours tout son corps. Elle ne s’était pas trompée. Il n’était pas celui qu’il essayait de faire paraitre au Monde. Il y avait bien quelque chose de fragile dissimulé derrière la carapace de confiance illusoire. Un petit sentiment de fierté avait suivi. Puis tout s’était évaporé. Il venait de passer sa main dans ses cheveux et de l’embrasser à nouveau, plus vigoureusement cette fois. La satisfaction avait laissé place à l’abandon.
- Bon voilà. Le reste leur appartient. C’est de leur intimité qu’il s’agit, je ne veux pas déranger.
- Je comprends.
- T’avais raison en tout cas. C’est un meilleur frisson celui-ci.
- Différent. Le frisson du froid hivernal peut être agréable aussi. Un paysage enneigé, le silence, la nature qui se fait discrète, le sentiment d’appartenir à quelque chose de merveilleux. C’est beau aussi.
- Alors pourquoi tu m’as pas laissé écrire là-dessus ?!
- Parce qu’il fait 25° en octobre bordel !
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