Eclipse
Elle s’était arrêtée un instant. Sa voiture garée dans l’immensité sableuse, elle observait au loin les dunes se couvrir d’une teinte étrange. Elle souhaitait être seule pour assister au miracle. Elle le regrettait finalement un peu. C’est vrai qu’il était plutôt lourd Henri, avec ses allusions graveleuses et son ton prétentieux. Mais désormais qu’elle se trouvait assise dans le coffre de sa Jeep, elle avait un peu froid, et elle n’aurait pas refusé cette proximité de corps qu’elle lui avait refusé jusqu’alors. Ou du moins une partie de cette proximité.
Elle n’avait pas immédiatement pris la mesure de ses premiers frissons. Il était 16h, le soleil brillait avec intensité et la sueur s’échappait logiquement de ses pores. Les légers tremblements de son corps devaient simplement provenir de sa fatigue. Pas de raison de s’inquiéter.
La lune avait entamé de masquer le soleil. Enfin ! Ses lunettes protectrices sur le nez, elle avait détaché son regard de ses dunes qui continuaient de l’intriguer pour profiter du spectacle. Une éclipse lunaire, ce n’est pas quelque chose que l’on peut observer souvent dans une vie. Un léger sourire était apparu sur son visage. Elle était finalement heureuse d’être seule là où elle se trouvait. Henri aurait probablement gâché la fête. Le soleil était à moitié masqué et le sentiment d’appartenir fermement au Monde gonflait en elle-même.
Un nouveau frisson venait de parcourir son corps. Elle n’avait pourtant pas froid. C’était autre chose. Un sentiment nouveau. Inconnu. Un réflexe instinctif qui lui aurait sans doute sauvé la vie si elle avait été capable de le comprendre. Les dunes autour d’elle s’étaient chargées d’une couleur pourpre dont l’éclipse ne pouvait assurément pas être tenue responsable. Plus curieux encore, elles semblaient bouger, se défaire et se reformer à loisir. Non ! Ce n’était pas les dunes qu’elle observait ! Il y avait quelque chose sur le sable ! Une multitude de choses !
Autour d’elle, des créatures semblant sortir tout droit des enfers se mélangeaient dans une orgie macabre, voyant se mêler actes barbares, coïts bestiaux et anthropophagie. Ce qu’elle avait pris pour du sable n’était en fait que ce mélange infâme de sang et de corps entremêlés, se pénétrant de toutes parts et de tous leurs membres, dans un bourdonnement devenu presque insupportable. Il n’y avait plus rien d’humain dans ce désert. Plus rien d’autre que le corps d’une femme tombé au sol et pris de tremblements, les yeux révulsés et le souffle court. Son esprit avait lâché. Sa raison l’avait abandonnée. Tout autour d’elle dansaient ces abominations envoyées par les ténèbres pour dévorer les Hommes et leur lumière. La lune avait achevé de masquer le soleil, et rien d’autre n’existait désormais dans ces dunes que les signes annonciateurs de l’avènement de la Bête. Elle avait senti les premières marques de dents sur sa peau. Les doigts dans ses cheveux. Les griffes sur son visage. Les secousses dans son antre. Puis le néant. Elle disparaissait comme allaient disparaitre tous ceux qui avaient jusqu’ici foulé la Terre de leurs pieds. Elle avait été le témoin privilégié de l’Apocalypse.
Annotations
Versions