Carnaval abandonné
(Suite du texte Éclipse)
Le corps sans vie de la jeune femme reposait sur le sable désormais jonché de cadavres mutilés. Ou du moins, ce qu’il en restait. Sa peau lui avait été ôtée entièrement, tout comme ses muscles et ses tendons. Il ne restait d’elle qu’un squelette recroquevillé, les genoux collés à sa cage thoracique apparente. Malgré l’absence de chaire, il était possible d’observer la terreur gravée dans les os de son crâne que la mort avait déformés.
La Bête se tenait seule au milieu de l’étendue pourpre, fixant le ciel dans un air de défi. Elle attendait un signe. Elle souhaitait voir descendre sur la Terre les envoyés des cieux. Elle escomptait une réponse à sa déclaration de guerre. Rien. Ils demeuraient aussi invisibles que le soleil.
Un cri s’était échappé de sa gueule. Un hurlement monstrueux strident, monstrueux. Un son encore jamais entendu. Le râle de la frustration. Le sable s’était mis à frémir, le sol à trembler, et dans un brouhaha assourdissant, les créatures s’étaient relevées, comme renaissant de la terre sur laquelle elles reposaient jusqu’alors. Le squelette de la jeune femme s’était dressé lui aussi, au milieu de ce carnaval sanglant. De son vivant elle avait été le témoin malencontreux des prémices de l’Apocalypse. Dans la mort, elle en serait l’un des acteurs privilégiés. Le Tout Puissant avait abandonné les Hommes à leur sort, comme il avait été lui-même abandonné. La Bête allait marcher sans encombre sur ce Monde délaissé.
La troupe s’était mise en marche. Les anges observaient sans broncher. Quelques sourires. Peu de larmes. Dieu seul tournait le dos à la scène. Il n’avait plus d’intérêt pour ceux qui depuis des décennies avaient fait couler le sang en son nom, sans rien retenir des enseignements du Fils sacrifié pour leur salut. Il n’y aurait aucun obstacle. Rien ne pouvait plus entraver le défilé macabre.
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