Portail

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 Les yeux entrouverts qui filtrent difficilement la lumière qui pénètre la pièce. Le chant timide des oiseaux venus voleter près de la fenêtre par laquelle s’engouffre la brise matinale. Un long soupir. Des membres qui s’étirent. Des articulations qui craquent un peu. Un sourire qui se dessine sur des lèvres charnues. Le plaisir de sortir du songe de soi-même, sans être bousculé par le son détestable du radioréveil, synonyme d’une nouvelle journée de travail. Ainsi avait débutée la dernière journée de Paul.

 Il habitait un coquet appartement en lisière de forêt, dans une de ces petites villes de province où il fait bon vivre pour peu que l’on exerce un métier suffisamment enrichissant pour oublier les plaisirs des grandes villes. C’était en tout cas ce dont Paul s’était convaincu en quittant la vie parisienne pour venir s’installer ici. Il avait monté sa propre agence immobilière, un marché qui à cette époque ne connaissait pas la crise. On était lundi, jour de fermeture de l’agence, et Paul tenait à cette journée, plus encore qu’à ses dimanches. C’était l’occasion pour lui d’éviter, au moins un peu, l’agitation relative du weekend. Il sortait à la boulangerie à l’angle de sa rue, prenait un croissant et une baguette et remontait boire son café, préparé en amont et qui possédait un gout qu’il ne retrouvait aucun autre jour de la semaine. Le gout du plaisir de la liberté. Des albums de jazz accompagnaient ses petits-déjeuners. Thelonious Monk, Charlie Parker, John Coltrane, Bud Powell ou encore Fats Waller ajoutaient à cette matinée une saveur particulière. Tout était parfait.

 Une fois l’album choisit terminé, Paul quittait sa chaise, laissait les affaires sur la table et enfilait ses bottes et son imperméable. Il aimait l’idée de ne ranger qu’à son retour de promenade. C’était sans doute son unique « folie » dans une vie plus que rangée. Une fois dehors, il prenait la direction de la forêt, d’un pas léger, profitant de l’air venu caresser sa peau nue. Là, il aimait se perdre, quitter les chemins tracés, découvrir des morceaux de verdure qu’il s’imaginait encore vierges de tout passage humain.

 Paul marchait depuis plusieurs dizaines de minutes lorsqu’une senteur particulière attira son attention. Un mélange de souffre et de sucre. Une odeur forte. Une odeur qu’il ne pouvait ignorer. L’odeur de la curiosité. Il quitta le sentier sur lequel il se trouvait pour s’enfoncer à travers les arbres encore feuillus. Après quelques minutes, l’odeur devint insupportable, tant et si bien que Paul dut se masquer le bas du visage à l’aide de son pull et de son imper. Mais il n’arrêta pas sa marche pour autant. Il devait connaitre l’origine de ce parfum. C’est là qu’il les vit. Cinq pierres gigantesques, de plusieurs mètres, disposées d’une manière étrange, semblant représenter des doigts sortis du sol. Intrigué, ignorant le frisson violent qui venait de le parcourir, Paul fit un premier pas vers les pierres. Puis un autre. Et avant de pouvoir le comprendre, il se trouva en leur centre. Il fut bien incapable d’anticiper la suite. Tout comme il fut incapable de réagir lorsque le sol s’ouvrit sous ses pieds, libérant des flammes noires qui l’entrainèrent dans les entrailles de la Terre. Puis le portail se referma, sans laisser la moindre trace. Un hurlement de terreur. Un cri qui n’avait plus rien d’humain. Un silence de mort. Tels furent les derniers instants de Paul. Un homme sans histoire dévoré par un sanctuaire d’un autre temps. L’absurdité de l’existence à son paroxysme.

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