Murmures sylvains
- Sylvain… ? Syyyylvaiiiin… ?
- Ah non ! NON !
- Chuuuuut. Tu vas les effrayer…
- Les effrayer ? Vraiment ? Et qui s’il te plait ?
- Les Sylvain…
- Ok donc maintenant c’est définitif, t’es complètement con.
- Oh !
- Non mais là j’ai plus d’autre terme. Tu lis « murmures sylvains » et toi tu comprends « je vais essayer d’attirer des types qui s’appellent Sylvain en chuchotant très fort » ? Non vraiment c’est officiel, t’es con. Profondément.
- Je trouvais ça marrant moi…
- Tu sais surtout pas ce que ça veut dire hein ! C’est quoi un sylvain ?
- Une divinité de la forêt non ? Et je crois que plus généralement c’est juste un habitant des bois ?
- Ah…heu…
- Haha ça te la coupe hein !
- Ce qui me la coupe surtout, c’est que tu connaisse le sens du mot et que tu choisisses quand même de commencer avec ta blague merdique là !
- J’en ai un peu marre d’écrire…tu veux pas essayer aujourd’hui ? De toute manière ça peut pas être pire que moi là…
- Je peux essayer oui. Attends…
Antoine avait quitté le sentier qu’ils empruntaient tous depuis plusieurs minutes maintenant. Il avait besoin de calme. C’était la raison pour laquelle il avait accepté, ce dimanche matin, d’accompagner ses parents dans leur habituelle randonnée en forêt de Rambouillet. Toujours la même marche, plus ou moins. Plus ou moins avec les mêmes personnes. Des vieux. Des vieux bavards. Des vieux avec des conversations de vieux. Le temps, la routine, les douleurs au corps, les petits enfants qui venaient déjeuner. Un monde qu’il n’était pas pressé de rejoindre. À 28 ans, on aspire à davantage. Antoine ne faisait pas exception à la règle.
Il s’était donc éloigné. Il avait besoin de se perdre un peu. Il n’était pas inquiet. On ne se perd jamais vraiment dans ce genre de forêt. Le papotage disparaissait au loin lorsqu’Antoine ressentit un frisson le traverser de part en part. Quelque chose de subtile, à peine perceptible, mais qui le fit néanmoins s’arrêter un instant, avant de considérer qu’il s’agissait probablement d’une réaction de son corps à la fraicheur de bois ainsi qu’à la fatigue accumulée ces dernières semaines et qui l’avait conduit là où il se trouvait désormais.
En reprenant sa marche, Antoine sentit de nouveau quelque chose le pénétrer. Plus froid. Plus fort. Quelque chose d’oppressant. Puis un sifflement se fit entendre. Puissant. Strident. Puis le silence de nouveau. L’inquiétude gagnait Antoine. Il y avait quelque chose dans ces bois qui lui était hostile. Quelque chose qui ne souhaitait pas être dérangé. Quelque chose qu’il devait fuir au plus vite. En cherchant du regard à retrouver le bout de sentier précédemment quitté, il s’aperçut avec effroi qu’aucun chemin ne semblait lui permettre de quitter l’épaisse forêt qui l’entourait. Pire encore, il lui sembla que les arbres s’étaient rapprochés les uns des autres, comme pour ne plus former qu’une immense barrière végétale. Il était bloqué ! Prisonnier de ces bois malfaisants, à la merci de ce qu’ils renfermaient.
Des chuchotements se firent alors entendre. Multiples. Sortant d’entre les feuilles frémissantes, résonnant à travers les branches entremêlées de sa prison végétale. Ses geôliers approchaient. Il n’y avait pas qu’une créature. Elles étaient des dizaines. Des centaines peut-être. Antoine, désemparé, tenta d’arracher les barreaux de sa cage à mains nues, espérant que l’énergie du désespoir lui confère la force nécessaire à son évasion. Rien. Après quelques nouvelles tentatives, il s’allongea dans l’herbe, tétanisé. La panique, liée à l’échec de ses efforts répétés, avait fait lâcher son esprit. Étendu sur le sol, les yeux rivés sur un ciel qui disparaissait peu à peu pour laisser place aux ténèbres, les murmures devenus cris, Antoine s’évanouit.
À son réveil, la forêt avait retrouvée sa forme initiale. Nulle trace de sa prison. Pas la moindre preuve de ce qu’il venait de vivre. Le calme seul régnait. Au loin, il entendit les bruits du groupe qu’il avait pourtant quitté depuis un bon moment selon lui. Sans réfléchir, il se mit à courir pour les rejoindre. Il avait tout à coup besoin du monde. Le calme et le silence ne lui semblait plus être quelque chose de vital. Il voulait parler du temps, d’arthrite et de petits-enfants. Il était même prêt à les voir en photo, pourvu qu’il puisse quitter l’enfer qu’il venait de vivre.
Des éclats de rire l’accueillirent à son retour. Tous le regardaient avec amusement, incapables de cacher leur hilarité. Sa mère s’approcha de lui, un petit miroir de poche à la main et le lui tendit. En observant son reflet, Antoine sentit la honte l’envahir. Il avait le visage peint des pires obscénités. Des crottes, des pénis, des injures étaient dessinés partout sur sa peau, jusque dans son cou. En regardant les parties de sa peau restées nues, il constata qu’elles étaient également recouvertes. Il prit sa gourde et entrepris de faire disparaitre toute trace de ces obscénités. Il était furieux.
Saloperies d’êtres sylvains !
- Bon allez c’est n’importe quoi. Demain je reprends l’écriture.
- C’est pas pire que tes murmures à la con…
- Pardon ?
- Non rien. T’as raison, demain c’est toi.
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