Chandelle éternelle
J’aurais pu te dire qu’à notre rencontre mes genoux tremblaient. Que l’excitation était à la hauteur de l’appréhension ressentie. Que j’avais peur. Peur de ne pas te plaire. De ne pas être à la hauteur. Peur de trop parler. Ou pas assez. Peur de ne pas savoir t’écouter. Et peur de mes manies. Regarder ma montre non pas parce que l’ennui me guette mais parce que j’ai parfois besoin de connaitre l’heure qu’il est pour me rappeler que j’existe et que j’habite ce Monde. De ne pas regarder l’autre dans les yeux quand je lui parle. Peur de mes digressions. De mon esprit qui souvent vagabonde et peine à trouver le chemin du retour.
J’aurais pu te raconter mille histoires, te perdre dans les récits romancés d’événements issus d’un passé monté de toute pièce. J’aurais pu me mettre en avant, me vendre comme un vulgaire produit sur le marché de l’amour. Ne montrer que le beau. Cacher le reste d’un coup de balais sous le tapis de mes fantasmagories. J’aurais pu m’inventer.
J’aurais pu maintes fois baisser les bras. Abandonner l’idée d’un avenir commun. Retourner nager dans les eaux tumultueuses desquelles tu m’avais extrait. J’aurais pu me résoudre à trouver ailleurs ce que je savais pourtant à ma portée. Accepter que parfois les routes se croisent sans se rejoindre, laissant l’illusion d’emprunter un temps le même chemin, de marcher côte à côte dans la même direction. J’aurais pu arriver sereinement à destination.
J’aurais pu faire tout cela. Et vivre en buvant chaque jour à la source de mes regrets. Mais je n’en ai rien fait. J’ai masqué mes peurs. J’ai enfilé mon costume d’honnêteté, depuis trop longtemps laissé au placard, et j’ai sauté la barrière qui me séparait de ton chemin de terre. J’ai soigneusement retiré chaque pierre avant que tu n’y poses le pied. J’ai arraché les ronces en bord de route, chassé les nuisibles venus cueillir les fleurs qui poussaient ça et là. Je l’ai fait pour moi aussi. Pour pouvoir te regarder marcher. Encore. Je t’ai portée lorsque tes jambes ne pouvaient plus le faire. Je t’ai nourrie lorsque tu n’en avais plus la force.
Puis un jour, tu m’as demandé de te poser sur l’herbe bordant notre chemin. Tu m’as indiqué que tu avais besoin de repos. Et j’ai compris. J’ai compris que désormais il me faudrait marcher seul. Qu’il m’en faudrait trouver la force. Compris que ton voyage prenait fin. Je t’ai pris la main jusqu’à ce que tu t’endormes. J’ai tenté de dissimuler mes larmes. Tu as eu la pudeur de ne pas me dire que tu les avais vues.
Alors j’ai allumé à l’endroit même ou nous nous sommes arrêtés tous deux une bougie qui brûle désormais sans discontinuer. Elle est ma lumière lorsque les ténèbres m’envahissent. Mon phare lorsque je ne sais plus où aller. À l’image de notre amour. Une chandelle éternelle.
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