Bibliothèque Nocturne
Ce matin là, ce fut à Henri de tirer au sort leur prochaine escapade amoureuse. Cela faisait bientôt cinq ans qu’Elsa et lui étaient ensembles, et une année déjà que chaque vendredi, ils piochaient à tour de rôle dans trois petits bols posés sur le meuble jouxtant leur lit. À l’intérieur de chacun d’entre eux se trouvaient de petites cartes plastifiées sur lesquelles figuraient un lieu, un moment de la journée et l’activité qui devait y être pratiquée. Leur couple battait de l’aile, et cette idée, glanée au détour d’une publication instagram un soir où Elsa, une fois de plus, passait la soirée sur son téléphone, devait relancer la passion dont le feu s’était fortement atténué.
Si au départ les activités étaient multiples, donnant lieu à des fins de semaines improbables – ils avaient par exemple dû jouer au tennis dans un église en matinée – celles-ci avaient rapidement été remplacées par différentes pratiques sexuelles, jusqu’à ne plus contenir qu’une dizaine de positions différentes, nécessitant au mieux une table ou une échelle.
Henri, les trois cartes en main, annonça :
« Bibliothèque. De nuit. Sexe libre. »
Elsa ne put masquer son enthousiasme. Si l’interdit était une source d’excitation en soi, l’idée de pouvoir multiplier les situations de stresse en était une plus grande encore. Ils allaient faire l’amour dans un lieu interdit, habituellement empli de monde, dans lequel il faudrait se faire enfermer sans être découvert.
Ils iraient dès le soir. Ils ne pouvaient attendre. Elsa surtout. L’excitation avait amené avec elle l’impatience, et toutes deux pressaient la jeune femme d’assouvir au plus vite leurs pulsions. Henri et Elsa se retrouvèrent donc vers 18h à la bibliothèque Vaugirard, dans le XVème arrondissement de Paris, à quelques rues seulement de leur appartement. Ils avaient une heure avant la fermeture. Une heure pour élaborer un plan leur permettant de se trouver enfermés une fois la bibliothèque vidée de ses occupants. Ils commençaient à désespérer, voyant les minutes défiler sur l’horloge et les idées leur faire défaut, quand Elsa proposa quelque chose. Ils allaient simplement tenter de se cacher dans les toilettes au moment de la fermeture, et prier pour que le personnel ne cherche pas à savoir s’il restait quelqu’un à l’intérieur. Après tout, qui pouvait bien avoir l’idée de se faire enfermer dans les toilettes d’une bibliothèque ?
Leur tentative désespérée avait fonctionné. Les employés avaient quitté les locaux sans faire de détour par les sanitaires. Le cœur des deux aventuriers battait avec force dans leur poitrine. Henri, collé à Elsa, entama de passer sa main sous son chemisier fleuri.
« Il est seulement 19h30 tu sais, nous avons encore le temps ».
Elsa avait pris sur elle pour calmer les ardeurs d’Henri. Elle en avait envie au moins autant que lui, sa libido exacerbée par l’adrénaline qui battait jusque dans ses tempes, mais elle voulait respecter les termes de leur petit jeu. Pour l’heure, elle voulait profiter du moment.
Ils s’étaient mis d’accord pour patienter jusqu’à 21h avant de quitter leur abri. De grandes et petites discussions les accompagnèrent donc jusqu’à l’horaire prévu. Un léger frisson vint parcourir le corps d’Elsa lorsqu’elle poussa la porte pour regagner la bibliothèque. L’appréhension d’être découverts était encore bien présente. Personne. Les lieux étaient déserts. Ils étaient seuls, piégés dans le bâtiment jusqu’au passage des personnes d’entretien le lendemain matin. Elsa laissa courir son regard ça et là sur les auteurs du XXème siècle, avant de jeter son dévolu sur La Métamorphose de Kafka. Elle le prit, le feuilleta rapidement puis s’installa pour en entamer la lecture.
« Qu’est-ce que tu fous ? »
Henri n’aimait pas beaucoup les livres. Il n’aimait d’ailleurs pas la culture en général. Non, ce qu’il aimait Henri, c’était Elsa. Et elle le lui rendait bien. Leur entente sexuelle était telle qu’ils ne s’interrogeaient que rarement sur ce qu’ils pouvaient bien faire encore ensemble après tant d’années. Quand la question s’était posée, leur petit jeu avait commencé, la faisant disparaitre presque aussitôt.
« Tu vois bien. Je lis ! »
Vexé par cette réponse à une question qui n’en était pas une, Henri pris le livre des mains d’Elsa et l’envoya voler à travers la pièce. Puis, dans un geste, il la saisit par le poignet et l’emmena tout contre lui. Son regard fixe, féroce, ne laissait aucune place à la jeune femme pour entamer une quelconque révolte. L’autorité dont il savait faire preuve parfois la faisait fondre.
« Embrasse-moi. »
Elsa murmura ces mots tandis que déjà les lèvres d’Henri venaient frôler les siennes. Ils s’embrassèrent longuement, chacune de leurs mains courant avec volupté sur le corps de l’autre. Sur son visage, dans ses cheveux, sur sa peau nue parcourue de frissons de plaisir. Henri entama de descendre depuis l’oreille jusqu’au creux du cou de la jeune femme qui s’abandonnait totalement sous ses baisers. D’une main, il la prit par les cheveux et renversa sa tête légèrement vers l’arrière, découvrant totalement les lignes de son cou. Avec sa main restée libre, Henri fit rapidement disparaitre le hoodie noir qu’Elsa avait décidé de porter pour ne pas attirer l’attention quelques heures plus tôt, révélant cette poitrine dont il ne se lasserait décidemment jamais.
Le pull à capuche avait rejoint Kafka. Aucun t-shirt ou soutien-gorge n’avait suivi. Elsa ne portait ni l’un ni l’autre. Elle plongea ses mains chaudes sous la chemise d’Henri, les yeux clos pour profiter de chaque parcelle de ce corps tracé dont elle était tombée amoureuse. Puis elle fit tomber, dans une maîtrise hors du monde, sa jupe et son pantalon. Ils ne portaient pas de sous-vêtements. C’était une règle qu’ils s’étaient fixée. À genoux devant Elsa, les mains sur ses fesses, Henri faisait sentir partout contre elle son souffle chaud, marque de l’excitation qu’il ne retiendrait bientôt plus. Descendant encore un peu plus bas, il écarta ses lèvres d’un geste de la langue. Elsa poussa un léger soupire. Elle non plus n’y tenait plus.
Il était désormais 22h30 passées et la lune venait caresser de ses rayons la peau nue des deux amants totalement dévêtus. Ils allaient s’aimer. Encore et encore. Jusqu’au petit matin. Jusqu’à se trouver libérés de leur escapade nocturne.
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