PARTIE 1 - Retrouvailles (1/2)
Novembre 2019
Aubière
Le ciel était bleu mais parsemé de nuages grisâtres qui laissaient présager un orage. Alors que les éléments n'en faisaient qu’à leur tête, un attroupement se créait sur le parking du Burger King d’Aubière. Placé au bord de la route principale, il ne pouvait passer inaperçu.
Les doux effluves de gras, de fritures et de malbouffe venaient se faufiler dans les véhicules à l’arrêt devant l’enseigne, attendant que le feu redevienne vert. Lorsqu'à l'heure du déjeuner leur estomac criait famine, ils ne trouvaient aucune autre solution que de tourner pour prendre le chemin de ce fast-food.
Amandine était assise derrière des fenêtres teintées et elle observait les gens se ruer vers les portes d'entrées. Ils ne se doutaient de rien et elle adorait ça, épier leur vie sans qu'ils en aient conscience. C'était devenue une de ses activités favorites depuis qu'elle avait travaillé dans une petite supérette. Ce qu'elle voyait en disait beaucoup sur la personnalité des gens et sur la société dans laquelle elle vivait.
Aujourd’hui, c’était dans la salle de pause de son nouveau lieu de travail qu’elle s’adonnait à cette activité. Elle regardait tous ces jeunes adolescents courir vers le restaurant pour être les premiers à goûter au tout nouveau burger sorti par la marque. Celui qu’ils avaient vu passer maintes et maintes fois à la télévision et qui les faisait saliver d’envie.
Ses doigts jouaient avec une paille en plastique, la maltraitant et la triturant dans tous les sens. Ils lui faisaient passer un mauvais quart d’heure. L’inquiétude et le stress montaient à vitesse grand V dans son corps alors qu'elle attendait impatiemment l'arrivée de son chef.
Elle avait le regard rivé sur la petite télévision qui faisait à peine vingt centimètres de diamètres. Un épisode de Plus Belle la Vie passait sur l’écran minuscule. La rouquine se fondait dans l'univers de ces gens qui avaient une vie des plus banales et aimait laisser son esprit divaguer devant ce programme. C’était la seule chose qui réussissait à la faire décompresser dans ces moments-là. Elle remerciait intérieurement Mirta et Roland de l'accueillir dans leur vie le temps de quelques instants.
Un crissement la sortit de sa léthargie et des bruits de pas résonnèrent dans la pièce. Elle se leva instinctivement. Ses cuisses se cognèrent contre les bords durs de la table qui se trouvait devant elle et qu’elle semblait avoir oublié. Elle retint un couinement de douleur et se mordit l’intérieur de la joue.
Une grande silhouette longiligne et svelte fit irruption dans la salle et pétrifia la rouquine. Elle restait bloquée devant cet homme à la prestance imposante et écrasante. Il se positionna en face d'elle et lui tendit une main qu'elle serra fébrilement. Il l'invita à se rasseoir d'un signe de tête.
Patrice Meyniel était le franchisé à la tête de l'enseigne. Un grand bonhomme au visage rondouillard et à la mâchoire carrée. Son crâne chauve brillait sous les spots de lumière. Ses yeux, taillés en amande et d'un noir abyssal, reflétaient la détermination et l'envie d'écraser tout concurrent qui pourrait lui barrer la route. Son petit nez en trompette remuait au rythme de sa respiration, ce qui lui donnait un air attendrissant. Ses lèvres étaient larges et semblaient d'une douceur extrême, toutes les jeunes de l'entreprise ne rêvaient que de déposer les leurs dessus. Il regardait la jeune femme avant de s'asseoir en face d'elle et de lui faire un de ses plus beau sourire. Amandine était encore plus mal à l'aise et sentait ses joues s'empourprer.
— Bonjour mademoiselle Bouvier, commença-t-il en éparpillant un tas de papier sur la table graisseuse.
— Bon... Bonjour, bafouilla-t-elle en essayant d'éviter son regard envoutant.
— Il y a quelques semaines, tu nous avais fait part de ton envie de devenir formatrice au sein de notre enseigne. Est-ce toujours d'actualité ?
— Bien sûr que oui !
— Bien, c'est ce que je voulais entendre, dit-il d'un air suffisant.
L'appréhension et le stress s'emparaient de plus en plus d'Amandine. Après avoir maltraité une paille, ses doigts s'acharnaient sur une serviette en papier qu'elle avait trouvé sur la banquette. Tant bien que mal, elle essayait de ne rien laisser paraître, elle se devait de se montrer sûre d'elle. Sinon, elle pouvait dire adieu à ce nouveau poste qu'elle convoitait tant.
Elle venait travailler tous les week-ends ici, et ce depuis un an. Chaque jour, chaque minute, chaque seconde, elle s'était battue contre les mauvaises langues, les ragots et les jaloux. Amandine, la petite jeune qui avait à peine la vingtaine et qui se croyait plus forte, plus intelligente et plus ingénieuse que les autres. Enfin, c'était ce que tout le monde pensait, elle ne faisait que suivre les règles et écouter ses supérieurs. Son nouveau travail l'épanouissait et la rendait heureuse et c'était tout ce qu'elle voyait.
Patrice fouilla dans ses papiers et en extirpa un qu'il tendit à la jeune femme. Elle le saisit immédiatement et détailla les lignes noires. L'excitation prit la place de l'anxiété. Elle avait du mal à croire ce qu'elle avait sous les yeux.
— Toutes mes félicitations, Amandine, tu es officiellement formatrice dans notre enseigne de restauration rapide.
— Merci de votre confiance, je ferai tout pour être à la hauteur de vos attentes, répondit-elle avec un large sourire.
Il lui tendit un stylo et lui indiqua les endroits où parapher et signer. Elle avait sous les yeux son nouveau contrat de travail qui stipulait clairement qu'elle allait devenir formatrice et qu'elle aurait une légère augmentation. Un petit sourire en coin se dessina sur ses lèvres lorsqu'elle vit à quelle hauteur serait augmenté son salaire.
À moi les virés shopping entre copines...
Après avoir signé tous les papiers et être revenus sur toutes les clauses, les droits et les devoirs qui allaient avec ce nouveau poste, Patrice lui serra tendrement la main et se leva. La rouquine le regardait pleine de reconnaissance. Elle n'y serait jamais arrivée sans son soutien et sans les quelques coups de pieds au cul qu'il lui avait mis pour la faire aller de l'avant.
Elle hocha la tête en signe de remerciement alors qu'il se dirigeait vers la porte de sortie. Amandine se leva immédiatement et balança les hanches de droite à gauche en remuant les bras dans l'air.
— Et, j'ai oublié de te dire...
Patrice s'était retourné et regardait la jeune femme. Il essayait de retenir un sourire moqueur et elle se rassit immédiatement, gênée par la situation.
— Oui ? demanda-t-elle.
— Nous avons un nouvel équipier qui fait son arrivée aujourd'hui. Nous l'avons mis en binôme avec toi. Il s'appelle Baptiste. Tu sauras gérer ?
— Bien évidemment !
— Super, il t'attend dans le vestiaire homme. Il est en train d'essayer sa tenue. N'oublie pas de toquer avant d'entrer !
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