Ça me fait bizarre de revenir dans mon appartement, mon refuge du soixante-treizième étage de la Tour Raymond au nord de la ville. En fait, je ne me sens plus chez moi ici. Je ne me sens plus moi. J’ai changé. Je suis venue récupérer des affaires mais rien ne semble plus m’appartenir. Tout est à Danielle. Moi je suis Dani. J’ouvre l’ordinateur central. Il n’y a plus rien qui m’intéresse là-dedans. Dans les armoires, c’est pareil. Alors je referme tout. Je regarde autour de moi les objets sur les meubles, les cadres accrochés au mur, je suis dans mon propre musée. Je vais pour partir mais je n'arrive pas à sortir. Je me sens prisonnière, de ma propre histoire. Alors je verrouille la porte, de l’intérieur, et je vais sur la terrasse. Je ferme la baie vitrée derrière moi. J’enlève mon monoplus de ma poche de pantalon, je vérifie ma position et je le range soigneusement à l’intérieur de mon blouson que je ferme jusqu’en haut. Je fais quelques étirements et je calcule la distance jusqu’à la rambarde. C’est ma première haie. Mon saut d’obstacle. Je me mets en position et j’attends le signal de mon monoplus. Bip ! C’est parti, je cours, je saute et je crie en tombant dans le vide puis dans ma navette en roulé boulé. Je me relève et je vérifie que tout est OK. Le toit se referme et j’éclate de rire. Adieu Danielle. Je rentre à la maison, chez Dani et Cam, comme désormais indiqué sur la boîte aux lettres. Je regarde le soleil se coucher à travers le hublot. En rentrant, j’allume le feu dans la cheminée et je rejoins ma Cam dans la serre ou elle s’affaire. Bisou. Elle est rassurée de me revoir :

• Moi c’est les bulles et toi c’est les sauts dans le vide.
• L’ascenseur c’est ascendant, pas descendant. Cette fois-ci j’ai pas vérifié de visu, si elle était vraiment là. Si tu arrêtes les bulles, j’arrête les sauts. Il nous restera encore les tiges.
• Arrêter les bulles, justement, j’y pensais. Voir Little Marie m’a donné des idées.
• Ça ne suffira pas, il faut aussi arrêter de fumer.
• T’as raison, je suis pas prête. Et toi ?
• Cam, je ne suis qu’une enfant. Toi aussi d’ailleurs.
• Mais comme Little, nos mères sont nées sur Terre. On est plus mûres.
• À toi de voir. Tu peux prendre la décision à chaque tige. Quoi qu’il arrive, je suis avec toi.
• D’accord, mais on a une belle existence à vivre ensemble avant de se reproduire.

Et elle commence l’entraînement, directement sur place, dans la serre où elle me jette dans la terre et enlève ses gants pour mieux me sentir me salir tout contre elle.