Aurélie nous explique le protocole :

• Là-bas, pas de statut ni de ID Card. Juste vous, Bri et Izzy.

Je regarde Izzy pour voir, pour savoir, si elle est toujours partante. Elle sourit, elle me sourit, elle me réchauffe l’âme, la femme de ma vie. On est prises en charge par Pauline, au Port. Jamais je n’étais allé aussi à l’Est. Mais c’est au Sud qu’elle nous dépose, dans une zone résidentielle indiquée par un panneau d’entrée : « Les Suburbs ». On n’est pas là pour un nouveau départ. Il s’agit plutôt d’une nouvelle arrivée. Sans sport. Sans spiritualité. Ici, les valeurs sont autres. Et nous voilà main dans la main, face au néant de l’océan où le temps mortel se perd. On est comme des drapeaux dans nos robes amples et légères qui flottent au vent. À gauche et à droite la plage se fait plus sauvage mais dans la largeur de la banlieue un sable blanc nous invite à la baignade. Mais je recule devant les vagues. Je ne suis pas prête. Izzy non plus, elle s’abrite derrière moi. On rentre dans notre maison attribuée pour se faire un câlin sous la douche. Quand on se sèche devant le grand miroir je prends une décision :

• Je ne me plaît plus. Je veux être plus femme. Avec plus de formes et les cheveux longs. Une nouvelle Brigitte, avec des yeux plus clairs et des taches de rousseur. Et du maquillage, dans mon regard et sur ma bouche. Toi tu es déjà si belle, ne change rien.

Elle ne dit rien. Elle n’a rien à dire. Elle a juste l’air apaisée, libérée, reposée, sans aucun avis, l’esprit ouvert et clair dans un corps qui ne demande que des caresses et de la tendresse. C’est comme si nos vies faites de fictions étaient tout d’un coup tombées dans la vérité, ici, là et maintenant. Débarrassée de tous mes artifices, je me suis réveillée nue dans les bois, seule, en me rendant compte que la plus belle partie de ma vie était celle où j’étais celle de Izzy. Je me suis levée, j’ai mis une nuisette fantomatique sur mon corps nu et je suis allée la voir à son école des arts. Quand elle m’a vue et qu’elle a compris que j’étais vraiment là, elle a su tout de suite de quoi il s’agissait.

• Bri ? C’est bien toi ? Je t’attendais, depuis longtemps. Ma valise est prête. On y va.
• Où ?
• Ailleurs, loin de nos destins, ensemble.

Elle a laissé son école aux artistes comme j’ai laissé mon Pôle Sud à Isa Love et nous voilà réunies, et nous voilà parties pour arriver ici, dans les Suburbs, le refuge ce celles qui ne restent pas au Port, les âmes perdues.