107 - comme ma fille
En peau à peau même, derrière moi, elle me serre alors que je fais face à Elin qui dort profondément. Je passe sur le dos puis je me retourne. Je vois ses yeux briller. J’ouvre mes bras et elle entre se blottir en moi. Elle est si chaude, si douce. Elle finit par s’endormir elle aussi. À mon tour. Au matin, leur discussion au-dessus de moi me réveille :
- Tu t'occupes de mon jardin ?
- D'accord.
- Tu veux bien veiller sur Danielle, pour moi ?
- Oui, je le veux.
Je me redresse et m'interpose :
- Qu'est-ce qui se passe, les filles ?
- Mon bébé va sortir, je vais devoir rester au CMS. C'est la procédure.
Il faut rester près du bébé en couveuse pour garder le contact psychique. Mais sur place, tout de passe différemment. Après la séparation, les constantes de Elin baissent. Je la sens partir. Dans un dernier baiser, je sens son âme passer en moi. Elin me dit adieu et s'endort. Son cœur cesse de battre, encéphalogramme plat. Son corps est placé en veille dans un cercueil autonome de préservation. Après lecture du génome du bébé, on s’aperçoit qu’elle est toujours là, c’est elle, c’est son clone, avec mes gènes récessifs tout de même. Elle est la première de l'humanité à mourir en couche et à rester tout de même immortelle par descendance. Ce sera sans doute la solution pour nous toutes si un jour les forces telluriques ne fonctionnent plus ou si l'Humanité décide de partir sur une autre planète. Je ne la pleure pas, je la sens en moi, comme dans le bébé, Elin 2, qui réclame mon sein. Je prends un traitement pour lui donner de mon lait et je l’alaite avec avec Mischa qui nous enlace, comme une vraie marraine. On est prêtes à rentrer à la maison, en famille. Greta est désespérée :
- Je continue de perdre.
- Non, rien ne se perd, tout se transforme. Elle est toujours là avec nous.
Maintenant, chacune va engendrer en connaissance de cause avec ce risque ou cette réalité de passer le relais à son bébé. Je comprends maintenant pourquoi Elin ne voulait pas donner de prénom. C'était tout simplement le sien. Quelque part, elle savait. Elle savait aussi que je n'allais pas rester seule à gérer tout ça, grâce à la présence de Mischa. C’était le bon moment pour sa transition et cette nouvelle chance de tout recommencer à zéro. Elin n’a pas pris possession de mon annexe par hasard. Finalement, je peux continuer d’aimer Elin, comme ma fille.
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