115 - affaire classée
Je prends mon laissez-passer pour aller jusqu’au Port déposer mes données au centre de recherche biologique. On me donne un badge vert de scientifique pour accéder à la data room où je récupère aussi de nouveaux instruments de mesures avant d’aller assister à une conférence sur l’état des lieux de la flore et de la faune sur l’île, c’est comme ça qu’elles nomment notre monde. C’est à mon tour de passer pour parler de ma zone, le pupitre affiche : « Docteur Dani L. GC34 / Suburbs ». Des illustrations de mon travail apparaissent sur un écran derrière moi, au fur et à mesure que j’en parle. Applaudissements, questions réponses, rencontre avec mes homologues au coquetèle et je me dirige vers le hall pour sortir où une dame se lève. Camélia. Elle s’approche, hésite, vérifie mon badge et semble très troublée.
- Tu es bien changée. Je n’ai pas pu entrer. C’est secret ici. J’avais plein de choses à te dire, des reproches surtout, mais là, plus rien ne me vient. Tu es si belle, tu as bonne mine, tu as l’air heureuse et épanouie, reposée, forte. En paix. Plus du tout en colère au fond de toi.
- J’ai beaucoup perdu, je continue de perdre mais je l’accepte et je me sens de plus en plus moi-même dans ma petite existence simple et confidentielle. Je suis en couple avec une jeune serveuse de bar, je l’aime plus que toutes. Et toi ?
- Je ne loupe pas une seule réception à la Mairie, les bulles sont à volonté. Ça m’aide à oublier à quel point mon travail est ennuyant. Je comprends maintenant en te voyant. Je suis sur la mauvaise voie. J’aurais dû rester avec toi et te suivre. Maintenant je vais rentrer et essayer de trouver un sens à mon existence.
Ma pauvre petite Camélia. Elle me fait pitié. Mais je sais comment elle fonctionne. Je lui fais signe de sortir et je la suis. Elle se retourne et attend que je l’invite à rester un peu avec elle, en intimité, mais :
- Bonne chance Camélia.
- On peut se dire adieu, comme il faut. Il y a des piaules, juste là.
Je cherche des arguments pour dire non. Je pèse le pour et le contre. Et puis je me rappelle de mes cauchemars. Mon instinct me dit que non.
- Ce n’est qu’un au revoir, Camélia. On est éternelles. On se recroisera un jour ou l’autre. Alors, à bientôt.
Je m’approche et je lui fais une grosse bise sur sa joue suivie d’une étreinte de bien-être. Elle ne me relâche pas. Je ferme les yeux et je savoure. Son odeur m’a manquée. Mais j’en sors pour la laisser là, seule au Port, sans regret ni remord. Je n’ai plus peur. Affaire classée.
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