116 - d'abord lui demander
Je la regarde travailler dans le jardin. Misha. Qui est-elle au fond ? Elle est trop jeune pour avoir eu une formation d’espionne. Mais elle est une aventurière née, en opposition avec son destin ou/et sa lignée, comme nous toutes finalement. Et sans études, elle passe sous les radars, indétectable aux compétences innées ou acquises qui nous orientent ou pas vers un rôle social utile pour la civilisation en cours. Misha, née dans les Suburbs. Quel privilège ! Elle échappe aux algorithmes qui font de nous ce que nous sommes. Elle n’a pas à se battre pour lutter contre. Quel économie d’énergie ! Elle peut la placer ailleurs, dans le jardin ou en moi. Et entre deux séances de luxures elle m’avoue :
- Je ne quitterai jamais les Suburbs. Mes parents m’ont perdue en repartant à l’aventure. Je suis née ici et je suis restée et je resterai à toi tant que tu seras là.
- Je ne veux pas retourner à l’Ouest jouer les marquises royales ou les clarisses d’ordres spirituels plus ou moins douteux. Ici je suis dans ma vérité existentielle, avec toi. J’ai revu Camélia, elle m’a prise en embuscade au Port quand je sortais de l’Institut. Il ne s’est rien passé. Je lui ai dit adieu. Elle est loin d’être disposée à venir ici, elle est complètement impliquée dans ses problèmes occidentaux. Je peux être tranquille ici, avec toi, et Victoria ?
- Je l’ai revue mais il ne s’est rien passé non plus. On est donc fidèles l’une à l’autre. On est un vrai couple. J’ai de la chance, tu es un bon parti. Moi, je ne le suis pas.
- Mais tu es bonne quand même et ça me suffit, mystérieuse Misha. On est complémentaires, pas concurrentes.
L’après-midi elle ne retourne pas dans le jardin, elle s’instruit dans les documentations scientifiques de la flore locale. Je l’aide à préparer un calendrier de plantation. On sonne. Je vais voir. Comment c’est possible ?
- Maman ?
- Danielle ? C’est toi ? On ne se ressemble plus. On a les mêmes gènes mais ce ne sont pas les mêmes qui s’expriment désormais. J’ai eu du mal à te trouver. J’ai même dû démissionner pour venir ici.
- Tu vas rester ?
- Non, c’est trop tard pour moi. Je pense même que je n’ai jamais été prête pour renoncer à l’Ouest. Tu es déjà allée plus loin que moi. Tu me laisse entrer ?
- Je ne sais pas. Je ne suis pas seule. Je vais d’abord lui demander.
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