128 - Meg - réinventé la pluie
Ça y est, j’ai trouvé la source. Je suis enfin en face de mes responsabilités, au bord de la falaise, pas seule mais bien accompagnée, par Brigitte Pôle Sud expatriée de l’Ouest qui me demande :
- C’est quoi ce nouveau look ? Tu es méconnaissable.
- Changement de vie. Pire : fin de vie. Mais pas à la chevalière ni à la gestation, je n’ai pas assez de courage pour ça, pas encore, alors je m’octroie cette … mue. Tu vois je commence déjà à chercher mes mots. Ça fonctionne.
- Mieux que tes livres à l’Ouest. Mais j’apprécie, ton investissement, actuel. Changer. Tout laisser tomber. Repartir à zéro. Mais cette fois-ci, tu n’es pas toute seule. Je te confisque ton ausweis. Tu es coincée ici avec nous, les prisonnières échappées de nos destins funestes et royaux. La Reine est reconnue par sa Déesse. Tu vas en devenir une aussi. Une Déesse, pas une Reine, on en a déjà une ici. Il nous manque toi. Mais pour ça, il va falloir souffrir pour être notre belle. Et renoncer à ton talent. Redevenir toi et pas la fiction que tu t’es écrite. Je ne fais pas dans les mots, je fais dans les actes, alors prépare-toi.
Il faut une sorte de cérémonie occulte pour que la magie opère vraiment, même ici dans les Suburbs, surtout ici dans la banlieue de la civilisation 4 où lorsqu’on se promène la nuit on ne se sent jamais seule, on sent des présences autour de nous, bienveillantes si on est en paix avec soi-même, malveillantes si on a quelque-chose à se reprocher. Brigitte a retrouvé au fond de sa navette échouée ses raquettes et des balles mais il n’y pas le terrain qui va avec. On doit donc l’imaginer, le visualiser, ça fait parti du jeu, c’est le processus primaire de la conjuration du sort. Les règles sont donc à nous, à la loi de la plus forte en titre qui annonce :
- Je suis préparatrice mentale. L’avantage, c’est que je te connais. Je sais donc exactement ce qu’il te faut.
C’est sur un court imaginaire qu’elle me défie, entre la plage et la verdure du quartier refuge, un endroit qui se prépare à recevoir une nouvelle végétation, là où le sol retourné et aplati a été cuit par le soleil, dans un jeu où les limites sont imaginaires, fantomatiques, faciles à franchir et à dépasser sans le vouloir, sans le savoir. Elle me passe le relais mais elle n’est plus celle que j’ai connue, ici elle ne me laisse pas gagner, elle me fait courir, elle me bat, elle m’humilie. Terrassée par l’émotion, je baisse la tête vers le sol, je suis un nuage qui se dissout et mes larmes bombardent la terre battue et sèche, avide de ma tristesse de déesse qui cherche un sens à tout ça, comme si j’avais réinventé la pluie.
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