144 - Meg - vivre comme toi
Un bureau avec vue sur le jardin arrière. On se sent cachée, à l’abri. Derrière moi, sur la table, en pleine lumière, une machine à écrire trône, noir et or, gothique, je peux d’ici en sentir l’encre fraîche. Un défi. Que j’oublie, qui tombe au fond d’une oubliette. Il doit y en avoir une ici, quelque-part. J’entre en contact avec l’instrument. Aucune magie n’opère. Je tente de la bouger. Impossible. Trop lourde. Comme vissée. Inutile. Morte comme mon inspiration que je réserve à mes actes plutôt qu’à mes mots. Pauline me cherche et me trouve, elle est inquiète, je la rassure :
- Tout va bien, Line. C’est quoi le plan avec ce truc ?
- C’est au cas où, pour bien plus tard, si tout foire.
- On est là pour longtemps alors. Je devrai écrire quoi ?
- Le Nouveau Testament, ou un truc du genre.
- Tu crois que j’ai vraiment ce pouvoir ?
- Non, bien-sûr. Mais l’important, c’est de le faire croire. En attendant, tu veux bien être ma prisonnière ?
- Oui, je le veux, jusqu’à ce que la mort nous sépare.
- Même dans la mort je te veux à mes côtés, Megan H.
- Qu’est ce que ça fait, de savoir, qu’on peut mourir à tout instant ?
- Les mortelles sont, étaient, dans le nihilisme. Déjà à l’époque on se sentait immortelles. On faisait comme si alors que non. En fait, l’immortalité était déjà intrinsèquement dans la nature humaine. Alors que ce n’était qu’une fiction. Tu vois, on est prête à croire n’importe quoi, depuis la nuit des temps et des multivers. Mais maintenant, ici, on ne peut plus avoir peur que d’une seule chose. Vivre.
- Tu as déjà été confrontée à la mort. Ça fait quoi ?
- Ça fait mal. C’est nul. La dernière fois c’est quand j’ai perdu ma mère. Elle n’est plus la même depuis la fusion et la dé-fusion avec Alice. Je suis sûre que Alice non plus d’ailleurs. Allez, viens, on sort, j’ai envie de partager avec toi une tige rose dans le jardin.
Même la fumée est rose, et ça sent la rose. Pauline rigole en me regardant. Elle a l’air si heureuse, et fière. Ses yeux sont remplis de bons sentiments à mon égard. Qu’est ce qui peut bien lui plaire en moi ? Je ne suis plus autrice. Je ne peux lui raconter que la vérité :
- J’ai connu cette maison il y a longtemps, avant même que les Suburbs existent. Au départ, elle a été construite pour Aurélie mais elle n’y a jamais habité. Alors je venais squatter, entre deux romans. Et puis la banlieue est apparue et c’était beaucoup plus sympa à vivre. Comme toi.
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