177 - les jours de service
Comment un baiser peut soudain donner du sens à tous les clichés ? C’est comme si elle m’avait poussée dans une autre dimension, l’originale, celle de vérité. Celle-la même d’où je viens, de là-bas à l’Ouest où je m’évadais avec mes fictions. Je me suis réveillée dans mes rêves accomplis. Tout prend du sens, voilà pourquoi j’ai été choisie. Finies les conneries. L’annexe m’attend au tournant. Adélaïde va retrouver le sommeil. Il ne s’agit donc plus de refaire le tour de la tribu pour exciter les âmes. Et oserais-je un jour retourner à la chefferie ? En faire le moins possible pour le moins oublier. C’était son propre conseil. Je le sais. Elle le sait. Alors quand je la croise à nouveau par hasard au détour d’une inauguration au Port :
- Tu n’as pas peur de tout perdre ?
- J’ai déjà tout perdu et je ne veux rien de plus.
Une question et une réponse qui nous correspondent à toutes les deux. Mais elle n’a pas l’air de comprendre. Elle réfléchit, cherche une raison, mais elle ne la trouve pas dans son esprit. Il va donc lui falloir écouter son cœur.
- Je ne pensais pas connaître à nouveau une telle émotion.
- Ni moi, non plus.
On pense la même chose. Ce n’est pas un dialogue, c’est une pensée commune. Comme si elle commençait des phrases et que je les finissais. Elle est mon écho et je suis sa raisonnance. Mais je n’ai rien à craindre. Parce que j’appartiens à Pauline. Parce que j’ai ma tribu. Et que je suis l’élue. Alors…
- C’est l’heure de promener Médo.
L’alibi. L’excuse. La raison du cœur pour ne pas dire du… mais on n’en est pas encore là. Pas encore. Je me veux chez elle à l’espérer arriver tôt à l’heure du thé, ce partage sacré qui nous a révélées. Aussitôt voulu, aussitôt vécu, l’horloge universelle nous indique la temporalité disponible à l’exploration commune des plaisirs de nos corps qui se cherchent et se trouvent dans une communion des sens donnant aussi un sens à notre esprit, une direction à nos cœurs et une incantation de nos âmes qui chantent en plaintes et en rythme, de refrain en refrain pour parvenir enfin à s’oublier ensemble et à ne faire plus qu’une dans l’absolu plaisir de notre étreinte où nos fluides circulent dans le même monde que forme désormais notre couple illégitime, immoral et sincère. La boucle temporelle de nos existence se charge d’espoir du lendemain, de lumière et de chaleur pour servir nos vices à l’heure du thé tous les jours de service.
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