219 - pour tout effacer
On vient pas souvent dans ce couloir rendre symboliquement ses livres sur les modules de cours enfin acquis. Notre niveau de juniorette va s’écouler doucement et sans heurts à présent que nos moyennes sont élevées. On va pouvoir temporiser, se détendre et s’amuser. Il y a les photos de classe sur les murs. Certaines remontent à loin. Où est la mienne ? Un visage se colle au mien pour venir épier ce que je regarde.
- Non ? C’est toi la jolie petite blondinette, là ? Section scientifique, c’était quoi ta matière de prédilection ?
- On les faisait toutes, les sciences. Avec le recul, je constate qu’on avait un super niveau, très élevé, regarde, il y a les moyennes de groupes.
- Holy crap ! Qu’est ce que t’as fait après ça, et les autres ?
- Burn out. Ça nous a vacciné pour longtemps. Il y a eu des morts même, parmi les profs aussi. Mais on a fini par être acquittés. La physicienne a survécu, je l’ai croisé longtemps après, elle était moins en forme que moi. Pagès, c’était son nom. Elle m’a demandée ce que je faisais et je lui ai répondu que j’écrivais des pages, j’ai d’ailleurs écrite son histoire. Tu vois, Gloria, l’éducation à l’époque était violente. On répercutait même cette violence entre nous et envers les autres. Il y en au moins une ou deux par classe qui s’en sont sorties mais dans ma section je n’en vois aucun qui a fait parlé de lui. Ils se sont bannis eux-même en restant sous les radars ou en changeant d’activité voire d’identité. Même moi j’ai fini par faire les deux.
Je n’arrive plus à parler, des larmes coulent sur mon visage. Elle me prend dans ses bras et je sanglote ma tristesse de cimetière dans ce couloir de la connaissance, acquise de force. C’est beaucoup plus cool aujourd’hui dans une ère à la traîne. Jenna Jenkins est ma rédemption, je suis sauvée. Plus jamais je ne répondrai au nom de Megan Honest. Je fais préparer la tombe dans la crypte des disparus et j’y dépose une fleur jaune sur mon nom gravé dans la plaque de la promotion 68, sans date de fin pour moi car les calendriers ont disparu depuis Paloma. Comme ça je ne pourrai pas me retrouver même à travers le temps en cherchant dans le passé. On ressort de là et Gloria soulève le voile de mon visage pour m’embrasser :
- Le noir te va si bien, ma Jenn que j’aime. Tu as tellement de courage, d’être revenue ici au lycée.
- Les temps ont changé. On est passé d’une ère de haine à une ère d’amour. Dès notre première rencontre, tu me l’as prouvé. J’ai su alors qu’il fallait que je recommence tout, pour tout effacer.
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