221 - l'aveuglement de son coeur
Dans l’amphithéâtre, toutes les juniorettes s’applaudissent. Les moyennes sont définitives, il ne nous reste plus que des modules à acquérir dans le prochain niveau. Je fais des signes en LSF à Gloria qui est à l’autre bout, côté littéraire. On se retrouve en haut dans le hall au coquetèle debout.
- Alors, Glo, tu vas nous pondre un roman ou une nouvelle ?
- Ça c’est pour les seniorettes, moi ce sera plutôt un article ou un essai.
- Moi c’est déjà fait, la régie au théâtre, son et lumière. Vive la ST !
- T’as de la chance, c’est du concret et vous avez déjà toutes un truc.
- T’inquiète pas ma Glo, je peux t’aider ou alors juste être ta muse.
- Mes textes ne passeront pas la censure ou la morale avec ton aide. Je dois trouver ma propre voie. Où est-ce que tu as appris le langage des signes ?
- Paulette, en répétition, c’est très pratique.
- Elle t’as apprise autre chose ?
- Glo, je vois bien que ça se dégrade, tu lis sur mes lèvres n’est-ce pas ?
- Je vais me faire opérer, au diable l’inspiration, j’ai fait mon deuil de la fiction. Tu crois que je serai toujours la même après ? Je veux dire… amoureuse, de toi.
- Malheureusement, oui. L’amour est dans le cœur, pas dans la tête.
- Pourquoi malheureusement ?
- Paulette !
Elle me pousse de l’épaule. Je la retiens parce qu’elle perd l’équilibre, aussi.
- Jenna, j’ai quand même écrite un truc avant l’opération, mais c’est juste un test pour savoir si après je peux le refaire. J’ai pas trouvé de titre, ou alors c’est juste un titre, sans autrice indiquée, anonyme.
Elle sort un livre, assez épais. Sur la couverture beige, on peut à peine lire, seulement avec des reflets : « Megan H. » Je comprends tout de suite que ça parle de moi, que de moi en fait, ou de celle qui a écrite toutes ces romances futiles. C’est le plus beau des cadeaux.
- Merci Gloria, j’ai hâte de le lire.
Ce que je fais, pendant son opération, qui s’avère être beaucoup plus longue que prévu. Il s’agit, son livre, d’une déclaration d’amour avec plein d’arguments justes. Avec plus d’esprit et moins de ressenti, elle aurait pu écrire et expliquer exactement le contraire. Mais au tiers des pages, il n’y a plus d’impression. Juste du relief. Du braille ? Je comprend le sens du message. Il s’agit de l’aveuglement de son cœur.
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