222 - contre son épaule
Affalée sur la table haute de la cuisine, je commence à m’endormir lorsque je sens une présence qui me parle :
- Tu as des mèches rouge maintenant ?
- C’est en hommage à Danielle, c’est juste une trace d’elle, en moi.
Auguste. Il a l’air fatigué. Assez pour faire le bilan de notre relation historique manquée.
- Avec tes deux passages au lycée, on se sera loupés deux fois, ça commence à faire beaucoup pour l’éternité.
- Et c’est pas fini. Ce n’est que le début. Trop tôt ou trop tard, pour être ton élève. Au fond, par deux fois, j’ai toujours été une scientifique. C’est la violence de l’époque qui a fait de moi une littéraire. Toi, tu es toujours resté le même, quelque soit le contexte, un professeur sympathique, gentil, aimant, amant. Je suis sûre que tu seras encore là à la prochaine ère. Pas moi.
- Tu n’es pas sûre, Jenna, tu es certaine.
- Excellent. Ce sera mon épitaphe. Jenna Jenkins : « Elle n’était pas sûre, elle était certaine. A.D. »
Il repart, dans la couche de Pénélope. Je sors sur la terrasse regarder l’horizon noir et menaçant. Je souffle ma fumée blanche dessus avant de rejoindre ma convalescente à l’Hôpital de Laguna pendant Auguste me cherche et me traque dans son éternité qui n’est pas la mienne. Dans le couloir de la chambre de Gloria, quelqu’une attend, inquiète. Paulette, toute maigre, trop grande, toute blonde, le regard azur sous la frange qui cache son front trop grand. Une idée amusante me vient à l’esprit, je la lui partage pour la distraire en la recoiffant comme avant les répétitions au théâtre.
- Tu ne serais pas la fille de Pénélope par hasard ? Sans ta frange tu lui ressembles beaucoup.
- Elle n’a eu que des garçons. Je suis la fille de Ulysse. Elle voulait que mon prénom commence par « P » et qu’il sonne un peu comme elle. Tu peux garder le secret ? Je ne veux pas être traitée comme une Raymond. Toi tu me vois telle que je suis et tu m’aimes bien, pour ce que je suis, non ? C’est dans l’anonymat qu’on reconnaît ses vraies amies.
- À qui le dis-tu ? Je suis Megan Honest. C’est la deuxième fois que je fais le lycée. Tu peux garder le secret ? Gloria sait qui je suis bien-sûr parce qu’on s’aime et qu’on est un couple. Elle aussi a quelque chose à régler avec sa « notoriété ».
On la regarde à travers la vitre. Paulette me prend la main. On est inquiète pour elle, même. Je la tire vers moi et je pose ma tête contre son épaule.
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