Chapitre 9

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Nous sortîmes de l’entreprise dans un silence pesant, chaque pas résonnant comme un jugement silencieux des spectateurs présents. Le chemin jusqu'au parking fut comme une traversée dans un champ de mines émotionnelles, chaque regard convergent vers nous augmentant la pression qui pesait déjà sur mes épaules. Je m'attendais à une explosion de colère une fois à l'abri des regards, mais rien ne se produisit. C'était encore plus sinistre : le calme avant la tempête, où chaque instant semblait prolonger l'attente inévitable de la confrontation.

Le seuil de la maison familière, où j'avais grandi avant que mon père décide que j'étais assez vieux pour vivre ailleurs, marqua le début de la fin de cette journée. À peine avions-nous franchi la porte que le coup cinglant de sa main s'abattit sur moi, comme pour marquer la répétition de ce rituel punitif. Rien n'avait changé depuis des années, aucune leçon n'avait été apprise, et ce semblant de stabilité dans l'abus était presque aussi terrifiant que la violence elle-même.

Ainsi, dans ce cercle de punition et de répétition, il semblait presque rassurant que rien ne changeât, même si chaque fois le choc et la douleur me rappelaient que j'étais toujours à la merci de mon père.

— Encore une fois, tu fais honte à la famille, cracha-t-il entre ses dents serrées.

Ses paroles claquaient comme des fouets, mais c'était le mépris dans ses yeux qui faisait le plus mal. Je baissai la tête, essayant de me protéger de ses mots acérés comme on se protège d'une pluie de grêle.

Soudain, une main ferme s'abattit sur mon épaule, me forçant à m'arrêter. La douleur physique s'ajouta à la douleur morale alors qu'il me tourna brusquement pour me faire face. Le contact brutal de sa main sur ma joue brûla autant que ses paroles.

– Qu'ai-je bien pu faire pour mériter une telle erreur de la nature ?

Ses yeux perçaient les miens, cherchant une réponse que je ne pouvais donner. Sa voix était glaciale, pleine d'une colère froide et impuissante.

Petit, je me rappelle encore combien ses mots me blessaient, bien plus profondément que les coups physiques. Les marques sur ma peau disparaissaient avec le temps, mais la douleur de ses reproches restait gravée dans mon esprit. À chaque regard déçu, à chaque critique acerbe, je me sentais plus petit, plus insignifiant.

J'avais passé des années à essayer de répondre à ses attentes impossibles, à être le fils parfait qu'il aurait voulu. Mais malgré tous mes efforts, rien n'était jamais suffisant pour lui. Ses standards inaccessibles me renvoyaient sans cesse à ma propre imperfection, me poussant à chercher une validation qui ne viendrait jamais.

Quand j'eus seize ans, il prit une décision radicale : me mettre dehors, malgré tous mes efforts désespérés pour le satisfaire. Ce jour-là, j'ai décidé de lâcher prise. J'ai choisi de vivre selon mes propres termes, même si je savais que cela ne ferait que renforcer son mépris. Les conséquences de cette décision étaient claires alors comme aujourd'hui.

— Je ne comprends pas comment une telle merde comme toi peux devenir le futur dirigeant de mon entreprise, cracha-t-il en me donnant un coup de pied dans l'abdomen. Tu as de la chance que j'aie promis à ta mère de ne pas te renier.

J'endurais ses coups, à la fois physiques et moraux, en silence. Plus c'était rapide, mieux c'était, car cela signifiait que je pourrais partir plus vite. Rien ne pouvait changer la situation. J'aurais souhaité que cela me blesse, que cela brise mon cœur comme dans mon enfance, mais désormais, cela ne m'affectait plus. À présent, seul l'agacement persistait. J'étais agacé par son sentiment de supériorité. J'étais agacé d'avoir perdu tant de temps à essayer de le satisfaire. J'étais agacé de préférer être ailleurs plutôt qu'ici.

Il me donna encore des coups avant de finalement recevoir un appel qui le poussa à me congédier. Je ne savais pas si je devais me réjouir d'être enfin tranquille ou être déçu de constater qu'un coup de fil fut plus important que son propre fils. Je préférai la première option, ainsi je ne fus déçu de rien. Il ne fallait rien attendre de mon père. Il n'était père que par le titre, pas par les actes.

J'appelai un taxi, ma voiture étant restée au bureau, mais je ne savais pas où aller. Je n'avais aucune envie de rentrer chez moi et de voir Victoria. Je donnai finalement l'adresse de Maya au chauffeur. C'était sans doute la meilleure solution. Je pouvais changer d'air et après une bonne nuit de plaisir, je serais de nouveau prêt à tout affronter.

Le trajet passa rapidement, perdu dans mes pensées qui alternaient entre Victoria et notre mariage, mon père, l'entreprise et mon futur.

Devant la porte de Maya, j'hésitai à frapper pour la première fois depuis que nous étions ensemble. Un débat s'imposa en moi. Certes, je ne la voyais que comme un plan cul, même si elle était en théorie ma petite amie, mais je savais qu'une fois qu'elle serait au courant pour Victoria, j'aurais droit à une scène. Devrais-je tout lui dire maintenant ou bien je la laisse le découvrir aux informations ? L'officialisation de mon mariage, ça me faisait toujours bizarre d'y penser, n'était prévue que dans une semaine maintenant. Je réalisais que le temps Je prenais conscience que le temps s'était écoulé rapidement.

Je finis par frapper à la porte. Maya l'apprendrait à la télévision, pas besoin de le lui dire deux fois.

— Thomas ? Que fais-tu là ? s'étonna-t-elle. On devait se voir ? Et qu'est-ce qui est arrivé à ton visage ?

— Je réponds à quoi en premier ? lui demandai-je, agacé par toutes ses questions.

— Ton visage.

— J'ai pris un coup.

— Je suppose que je n'aurai aucune explication plus approfondie ? soupira-t-elle.

— Exactement. Tu comptes me faire dormir sur ton paillasson ?

— Non, désolée. Entre. Tu veux une bière ?

— C'est comme demander à un aveugle s'il veut voir.

J'entendis son rire, bien que je ne comprisse pas ce qu'il y avait de drôle dans ma réponse, et m'assis sur son canapé. Vu le nombre de fois où je venais chez elle, je me permis de faire comme chez moi. J'inspectai les lieux en attendant qu'elle revînt. Son appartement n'avait pas changé, tout était très coloré et des dessins de bâtiments ornaient les murs. Elle était architecte.

— Tient, me lança-t-elle en me donnant la bière. Alors, pourquoi étais-tu là ?

— Je voulais te voir.

— C'est vrai ?

Je ne pus m'empêcher de penser, "oui, mais pas comme tu le penses, c'est ton corps que je voulais voir."

Une lueur s'alluma dans son regard. J’aurais pu la demander en mariage, elle aurait eu la même réaction. Une partie de moi ne put s'empêcher d'avoir pitié d'elle. Pourquoi croyait-elle autant que je l'aimais ? Je ne faisais pourtant rien qui lui donnât cette impression. Je venais la voir seulement pour assouvir mes besoins quand je n'avais personne d'autre sous la main. Bon, je le reconnaissais, elle était sympa et c’était un excellent coup, mais elle n'aurait jamais plus que la place d'une pote à mes yeux. Une amie, si vraiment j’étais de bonne humeur, car lorsque j’étais défoncé, il m'arrivait de me confier à elle. Elle était au courant pour mon père. Je le lui avais dit un soir après une de nos éternelles disputes. J'avais été dans un bar, le barman ne voulait pas que je conduise, les taxis ne circulaient plus, je l'avais appelée. Elle commençait à s'agacer, m'insultant d'irresponsable. Pour la faire taire car elle aggravait mon mal de tête, je lui avais dit pour mon père. L'effet escompté, j'ai eu ce que je voulais, elle s’était tue sous le choc, puis j’avais eu plus, sans doute par pitié. Elle m'avait offerte son corps pour me consoler. Une chose était sûre, je n'avais plus eu mal à la tête après.

— Bien sûr, finis-je par lui répondre.

— C'est moi ou mon corps que tu viens voir ?

— Sûrement un peu des deux.

Elle esquissa un sourire en coin, comme si elle n'était pas surprise par ma réponse.

— Thomas, tu es vraiment direct.

— Pourquoi tourner autour du pot ? On sait tous les deux ce qu'il en est entre nous.

Elle s'approcha et s'assit à côté de moi, posant sa bière sur la table basse.

— Tu ne te lasses jamais de cette routine ?

Je haussai les épaules en prenant une gorgée de ma bière.

— C'est simple, ça ne me prend pas la tête. On se détend, on profite, et chacun repart de son côté après. Aucun engagement, aucune complication.

Maya me regarda d'un air pensif, comme si elle essayait de comprendre quelque chose au-delà de nos interactions physiques.

— Tu es comme une énigme que j'essaie de résoudre, poursuivit-elle. Je sais qu'il y a plus en toi que ce que tu veux bien laisser paraître. Si seulement tu me laissais entrer un peu plus dans ta vie. On est en couple depuis un an, tu ne crois pas qu'on devrait passer à la vitesse supérieure ?

Je détournai le regard, évitant de m'engager dans une conversation plus profonde. Les pensées de Victoria, de mon père et de l'entreprise tournaient dans ma tête, et je n'avais pas envie de m'attarder sur des sujets plus personnels.

— Maya, je t'apprécie beaucoup, tu le sais, non ? Mais j'ai pas mal de choses à gérer en ce moment. On peut en parler une prochaine fois ?

Elle hocha la tête, semblant accepter le changement de sujet, bien qu'une lueur de déception orna ses yeux verts. Je lui sortais la même excuse à chaque fois, pourquoi s'étonnait-elle encore ? Comment pouvait-on être aussi naïve ? Je devais bien l'admettre, au moins, mon mariage avec Victoria me permettrait d'être tranquille avec elle pendant un an. Elle engageait ce genre de conversation de plus en plus souvent, faisant descendre ma libido en flèche. Au moins, quand elle apprendrait que je suis marié, pour un an du moins, et après sa petite crise, elle me laisserait la mettre dans mon lit tranquillement.

Elle baissa la tête, et je m'approchai d'elle pour la réconforter un minimum. Je n'étais pas un connard malgré tout. Ou peut-être un peu. Mais juste un peu.

Quand elle releva la tête, je remarquai que son regard avait changé, à mon plus grand plaisir. Elle avait autant envie que moi de passer une bonne soirée. Pour le moment, rien ne nous empêcherait de profiter.

Je lui lançai un sourire entendu, et elle se mit sur mes genoux. Je glissai ma tête dans son cou et commençai à la mordiller alors qu'elle ondulait des hanches. Le plaisir monta en flèche jusqu'à ce que mon téléphone sonnât. Je grognai dans le cou de Maya, ce qui devait la chatouiller, puisqu'elle rit. Au bout du troisième appel, mon agacement eut raison de moi, et je poussai doucement Maya pour voir qui m'empêchait de m'envoyer en l'air.

Lorsque le surnom de Victori, soit « Miss Parfaite » apparut, mon agacement redoubla. Sauf qu'à cet instant, je dirais même qu'il tripla.

— J'espère pour toi que tu es morte et que ce sont les flics qui m'appellent pour me dire que je suis débarrassé de toi, répondis-je au bout du quatrième appel.

— On n'a pas fini notre dispute. Je ne sais pas où tu es, mais reviens immédiatement, je veux récupérer mes poissons.

— Tu m'empêches sérieusement de baiser pour tes putains de poissons ?

— Rentre, Thomas.

— Cours toujours.

J'éteignis complètement mon téléphone pour être tranquille et me jetai violemment sur Maya. J'attrapai ses lèvres que je torturai, mais cela n'avait pas l'air de la déranger, puisqu'elle glissa ses mains sous mon tee-shirt. Elle finit par me pousser doucement. Je stoppai tout mouvement et la regardai, cherchant dans son regard une quelconque information.

— Est-ce que tout va bien ? me demanda-t-elle.

— Euh, oui, pourquoi ? répondis-je complètement perdu.

— Cet appel... Tu as vraiment l'air énervé.

— Ne t'inquiète pas.

J'allais recommencer à l'embrasser, mais elle tourna la tête. Je posai ma tête sur son épaule en lui demandant ce qu'il y avait. Pourquoi fallait-il qu'elle s'inquiète pour mes états d'âme ? Je voulais juste m'envoyer en l'air, moi.

— Tu es sûr que ça va ? insista-t-elle.

— Oui, Maya, je te l'assure.

— C’est qui pour qu’elle t’énerve autant.

Et merde, la boulette. Maya n'étant absolument pas jalouse, n’allait pas me faire une crise. Si seulement l'ironie pouvait se transformer en réalité. Je me redressai, prêt à subir ses foudres.

— Comment tu sais que c’est « elle » ?

— Tu me prends pour une idiote ? Le surnom est au féminin et j’ai entendu sa voix. D’ailleurs pourquoi elle parlait de poisson ?

— Laisse tomber, c'est un boulet que mon père m'a mis sur le dos. Je dois travailler en collaboration avec elle. Tu connais mon père, quand il s'agit de me pourrir la vie, il a toujours de nouvelles idées.

Je fus surpris de sa réaction. Elle acquiesça et ne me demanda rien de plus. Elle se leva et se dirigea vers sa chambre. Je m'attendais à ce qu'elle me dise de partir, mais à la place, elle enleva son haut et me sourit.

— Tu comptes venir ou je dois me débrouiller seule pour la suite ?

Il ne me fallut pas un mot de plus pour la rejoindre. Plus rien ne nous empêcherait de passer une bonne soirée.

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