Chapitre 16
Le monde tournait autour de nous. Le bruit du métal de la voiture qui se pliait et se déchirait, le cliquetis des ceintures de sécurité qui se tendaient, le souffle court alors que l'adrénaline envahissait nos veines. Soudain, tout s’arrêta. Le silence retombait, étouffant. Seul le tic-tac des mécanismes défaillants de la voiture nous parvenait
Je secouai la tête pour reprendre mes esprits, mon cœur battant la chamade. Je jetai un coup d'œil à Victoria à côté de moi, cherchant des signes de vie. Elle semblait sonnée mais consciente, les yeux écarquillés et la respiration saccadée.
— Victoria, tu vas bien ? m'écriai-je, étouffée par le choc.
Elle hocha faiblement la tête, les mains tremblantes alors qu'elle tentait de défaire sa ceinture de sécurité. Je fis de même, luttant contre la gravité pour me libérer de mon siège renversé.
Enfin libérés, nous nous retrouvâmes tous les deux sur le dessous de la voiture, désorientés mais étonnamment indemnes.
— Mon Dieu, Thomas, qu'est-ce qui s'est passé ? demanda Victoria, tremblante de peur.
— Une biche est apparue de nulle part, j'ai essayé de l'éviter mais nous avons percuté, expliquai-je, tentant de reconstituer les événements.
Nous nous regardâmes, réalisant l'ampleur de la situation. Nous étions chanceux d'être en vie, mais notre voiture était sérieusement endommagée et étions loin de toute aide. Il fallait trouver un moyen de sortir de cette situation délicate, et vite.
— Je t'avais dit de rouler moins vite, me réprimanda Victoria.
— Je ne pouvais pas savoir qu’une biche sortirait de nulle part !
— Tu aurais dû savoir que sur une nationale, on ne roule pas à plus de deux cents kilomètres, car c’est dangereux ! On a beaucoup de chance d’être indemnes, comment fait-on pour se sortir de cette situation ? Il n’y a jamais personne qui prend cette route, la voiture est fichue et on n’a pas de réseau. Si seulement tu pouvais être un minimum mature ! Ou juste censé ! Si tu avais un peu de cervelle, tu nous aurais évité cette situation. Bordel ! Mais tu as eu ton permis dans une pochette surprise ? Tu n’es qu’un gamin de quinze ans dans le corps d’un adulte. Ton père a tellement cédé à tes caprices que maintenant tu crois que rien ne peut t’arriver !
Je soupirai, réalisant qu'elle avait raison. J'avais été imprudent, et maintenant nous étions dans une situation délicate à cause de mon excès de vitesse.
— Tu as raison, Victoria. Je suis désolé, c'était une erreur de ma part, admis-je, ressentant le poids de la responsabilité sur mes épaules.
Elle me regardait avec une expression mêlée d'inquiétude et de colère, mais je pus aussi voir de l’interrogation dans ses yeux. Je pouvais la comprendre, je ne m’excusais pas souvent.
Même quand j’avais tort, je ne le faisais pas.
— On ne peut pas rester ici, déclarai-je, balayant du regard les environs déserts.
— Effectivement. Nous devons trouver de l'aide.
Nous évaluâmes nos options, puis nous nous mîmes d'accord pour partir à pied à la recherche d'une habitation ou d'une station-service. C'était le seul moyen de nous sortir de cette impasse.
Nous descendîmes prudemment de la voiture renversée, faisant attention à ne pas nous blesser davantage. Le choc nous avait secoué, mais nous devions rester lucides et concentrés pour trouver de l'aide.
Nous marchâmes depuis une quinzaine de minutes sans rien voir. Pourquoi étions-nous tombés sur la seule route où il n’y avait pas une habitation ?
— Je te déteste, Thomas, souffla Victoria, fatiguée.
— Je me suis déjà excusé !
— Peut-être, mais il est midi et j’ai faim. Sans compter que tu t’es certes excusé, mais c’était le minimum après avoir failli me tuer.
— Tu as mangé il y a à peine deux heures. Et j’ai failli mourir aussi.
— Tu t’es mis en danger tout seul, personne ne t’a forcé. En plus, midi c’est midi, je mange à cette heure-ci.
Je fouillais dans mes poches, il me semblait que j’avais une barre de céréales. J’aimais avoir de la nourriture sur moi, au cas où. J’en étais plutôt fier de moi dans cette situation.
— Tiens.
Elle attrapa la barre de céréales avec empressement, déchirant l'emballage avec avidité. Sa réaction m’arracha un petit sourire. On aurait dit qu’elle n’avait pas mangé depuis une semaine.
— Tu remontes légèrement dans mon estime.
— J’en suis heureux.
— Rêve pas quand même, tu es toujours très loin de la ligne où je t’apprécie. Surtout après ce que tu as fait.
— Je dois faire quoi pour me racheter ? Je me suis excusé, ce qui n’est pas dans mes habitudes. Je ne peux pas faire grand-chose d’autre.
— Aie un tout petit peu de jugeote et tu verras qu’on s’entendra déjà mieux.
Je la regardais avec amusement tandis qu'elle dévorait la barre en quelques bouchées, semblant déjà plus satisfaite.
— Tu ne cesseras jamais de m'étonner avec ton appétit insatiable, plaisantais-je.
Elle me lança un regard faussement offensé.
— Au moins, ça me donne de l'énergie pour marcher et trouver de l'aide, rétorqua-t-elle la bouche encore pleine.
Après avoir avalé sa collation, Victoria reprit sa marche d'un pas déterminé à mes côtés.
Le soleil était haut dans le ciel, chauffant nos visages et nos épaules alors que nous avancions sur la route déserte. Nous scrutâmes l'horizon à la recherche du moindre signe de civilisation. Chaque pas nous rapprochait de l'espoir de trouver de l'aide, mais l'incertitude pesait toujours sur nos épaules.
— On est dans une campagne, pas dans un désert, pourquoi n’y a-t-il aucune maison ? râlai-je.
— Je suis totalement d’accord avec toi. On n'aurait pas pu avoir l’accident à Paris ? Au moins là-bas, il y a plus d’habitants que de vaches.
— Il n’y a pas de vaches à Paris.
— Sérieusement ? Il n’y a pas de vaches à Paris ? Pas une seule ? demanda Victoria, choquée.
— Bah, je ne crois pas. J’en sais rien. Tu as des questions bizarres toi.
Soudain, au loin, nous aperçûmes un bâtiment. C'était à peine visible, mais c'était mieux que rien. Nous accélérâmes le pas, l'adrénaline montant à nouveau dans nos veines à l'idée de trouver enfin de l'aide.
À mesure que nous approchions, le bâtiment prenait forme. C'était une petite maison isolée au milieu de nulle part. Nous échangeâmes un regard plein d'espoir avant de nous précipiter vers la porte d'entrée.
Victoria frappait à la porte avec insistance, espérant que quelqu'un soit là. Après quelques instants d'attente tendue, la porte s'ouvrit enfin pour révéler un homme d'âge moyen, les cheveux grisonnants et un regard surpris.
— Bonjour, nous avons eu un accident de voiture et nous avons besoin d'aide, déclara Victoria d'une voix précipitée, le soulagement se lisant sur son visage.
L'homme nous regarda un instant, puis son expression se radoucissit.
— Entrez, entrez vite, invita-t-il d'une voix chaleureuse.
Nous franchîmes le seuil avec reconnaissance, soulagés d'avoir enfin trouvé de l'aide. La journée avait commencé de manière catastrophique, mais peut-être que maintenant, les choses commenceraient à s'améliorer.
Nous entrâmes dans ce qui ressemblait à une entrée, assez rustique. De nombreuses poutres marron étaient visibles et se démarquaient des murs blancs. La pièce était assez vide, il y avait juste une penderie, sans doute pour ranger les manteaux, et des porte-clés accrochés sur le mur à côté de la porte.
— Que vous est-il arrivé ? nous demanda le vieil homme.
Victoria me lança un rapide coup d’œil accusateur.
— Une biche est sortie de nulle part et en voulant l’éviter, on a percuté une buse.
— C’est le type d’accident le plus fréquent ici. Il suffit qu’on ait le malheur de rouler un peu vite et c’est fini.
Victoria me jeta un nouveau regard. Sympa le vieux, il m’enfonçait encore plus sans même le savoir.
— Je m’appelle Marc, ajouta l’homme.
— Victoria, et voici Thomas.
Je hochais la tête mais laissai Victoria parler.
— Auriez-vous un téléphone fixe pour nous dépanner ? Il n’y a pas de réseau.
— Bien sûr, suivez-moi.
Nous entrâmes dans un salon chaleureux et accueillant, aux murs beige et crème, baigné de lumière grâce aux grandes fenêtres. Les meubles en bois sombre, un canapé en cuir agrémenté de coussins moelleux, et une cheminée en pierre crépitante ajoutaient une ambiance rustique et confortable. Des étagères remplies de livres encadraient la cheminée, tandis que des photos de famille et des plantes en pot apportaient une touche personnelle. Une grande porte-fenêtre au fond du salon ouvrait sur une terrasse donnant sur un jardin bien entretenu.
Sa maison était la maison typique à laquelle on pouvait s’attendre pour quelqu’un vivant dans une campagne.
Dans l'ensemble, le salon dégageait une atmosphère de confort et de convivialité, offrant un refuge accueillant pour les visiteurs fatigués comme nous. Nous nous installâmes sur le canapé, reconnaissants pour l'hospitalité de notre hôte. Nous attendîmes avec impatience de contacter de l'aide pour sortir de notre situation délicate.
Marc composait un numéro, sans doute celui d’un garagiste, et le tendit le le combiné. Je restais surpris qu’il ait mémorisé le numéro. Je ne pourrais me rappeler d’aucun de mes contacts.
Alors que je restais debout dans l’entrée, une femme du même âge que Marc, sans doute son épouse, apparu dans l’embrasure de la porte. Elle s’arrêta en nous voyant.
- Bonjour, que se passe-t’il ? nous questionna-t-elle.
- Oh coucou chérie, c’est deux jeunes ont eu un accident, ils marchent depuis des kilomètres. Je leur est dit d’attendre ici le temps qu’une dépanneuse arrive.
La femme, écoutait attentivement l'explication de Marc. Son visage se crispa légèrement à l'évocation de notre accident, mais elle resta calme et compatissante.
— Oh mon Dieu, j'espère que vous allez bien, s'exclama-elle en s'approchant de nous. Je suis Alexandrine, la compagne de Marc. Nous allons faire tout notre possible pour vous aider. Restez ici, je vais vous chercher de quoi grignoter, vous devez avoir faim.
Sa voix était douce et rassurante, et je sentais un poids se soulever de mes épaules. Enfin, nous étions entre de bonnes mains.
Victoria et moi-même exprimâmes notre gratitude à Marc et Alexandrine pour leur gentillesse et leur générosité. Ils nous assurèrent que tout irait bien et nous invitèrent à nous installer confortablement pendant que nous attendions que le garagiste vienne nous aider.
Alors que nous nous installâmes sur le canapé, je ne pu m'empêcher de ressentir un mélange de soulagement et de reconnaissance envers ces étrangers qui nous avaient ouvert leur porte dans notre moment de besoin. C'était dans des situations comme celle-ci que l'humanité montrait sa véritable beauté, lorsque des inconnus se serraient les coudes pour s'entraider dans l'adversité.
Nous échangeâmes des regards avec Victoria, chacun comprenant le soulagement et la gratitude que nous ressentions envers Marc et Alexandrine.
— Dans combien de temps doivent-ils arriver ? demandai-je à Victoria.
— Ils n’ont pas donné d’heure précise, juste que ce serait dans une à quatre heures, qu’on devait rester ici pour qu’ils nous rappellent au numéro quand ils seront là.
— Il est déjà treize heures. S’ils viennent dans quatre heures, il sera dix-sept heures, le temps qu’on remorque la voiture et qu’on nous prête une voiture d’occasion pour rentrer. Sans compter qu’on doit prendre une douche et se changer, on a peu de chance d’arriver à l’heure ce soir.
— On va se faire tuer par nos parents.
À cette pensée, je redoutais que mon père ne pense que c'était intentionnel de ma part et qu'il ne me fasse une remarque cinglante, si ce n’était plus. J’en étais déjà fatigué. Sans parler que demain, nous devions faire l’interview.
— On a un souci, reprit Victoria.
— Encore ?
— On dirait que ça ne s'arrête jamais.
— Je suis totalement d’accord, ça ne s’arrête jamais. Quel est le problème alors ?
— On devait aller chercher la bague de fiançailles.
— Ce n’est pas un problème, lui rétorquai-je.
— Comment ça ?
— Je peux demander à mon assistante d’aller la chercher.
Je l’appelai donc et lui demandai de la bague déposer chez moi. Le gardien la garderait le temps que je rentre.
— Tu ne la remercies jamais ? m’interrogea Victoria.
— Non, pourquoi je le ferais ?
— Peut-être parce que ça s'appelle le respect ?
— Je la paye pour ça.
— Et alors ?
— Quand tu achètes un produit, tu ne remercies pas le vendeur pour la qualité du produit ou du fait qu’il fonctionne. C’est normal qu’il satisfasse ta demande puisque tu l’as acheté, on est d’accord ?
— Oui, mais je ne vois pas où tu veux en venir.
— J’achète son travail, il est donc normal qu’elle travaille correctement sinon elle est virée, lui rétorquai-je bien que cela me paraissait évident.
— Mais toi, tu n’aimerais pas qu’on te remercie ? Qu’on valorise ton travail ?
— Non, c’est mon boulot, c’est normal que je le fasse correctement. Sans compter que des millions d’emplois dépendent de moi.
— Parfois, je ne te comprends vraiment pas.
— Comment ça ?
— Je ne sais pas. J’ai l’impression que tu vis dans un autre monde.
Alors que nous attendions avec impatience des nouvelles du garage, je laissai mon regard errer autour du salon, imprégnant chaque détail de ce refuge temporaire. Dans l'atmosphère chaleureuse et paisible de cette maison, je sentais que, malgré tout, nous allions nous en sortir.
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