Chapitre 23
Lorsque nous sommes arrivés au travail, je ne pouvais me départir de mon sourire, sachant que le moment de ma vengeance était enfin venu. À peine avions-nous franchi les portes battantes du bâtiment que ma secrétaire nous a rejoints.
— Bonjour, la conférence de huit heures se tiendra dans l’amphithéâtre deux. Avez-vous une clé contenant le diaporama, Madame Chan ?
— Désolé, je dois vous laisser, j’ai un truc à faire. On se rejoint dans l’amphi deux.
— Comment ça ? demanda Victoria, perdue. Quelle conférence ? Je n’ai été prévenue de rien. Thomas !
Je l'entendais m'appeler, mais je l'ignorais. Après tout, c'était elle qui avait dit que je n'avais pas de cœur, que je n'étais qu'un connard détestable. Je ne faisais que lui donner raison. Elle devrait même me remercier. Je ne pouvais m’empêcher de sourire sadiquement en pensant à ce qui l'attendait.
On ne gagnait jamais contre moi.
Je partis dans l’amphithéâtre pour donner quelques conseils aux techniciens.
L’heure de commencer arriva. Victoria me rejoignit dans les coulisses, complètement paniquée. Je ne l’avais jamais vue ainsi : elle se tirait les cheveux, des perles de sueur étaient apparues sur son front, ses sourcils restaient froncés, et elle faisait les cent pas.
— Avoue que c’était ton idée pour te venger, Thomas, me lança-t-elle en m’apercevant.
— Moi ? demandai-je en me désignant faussement du doigt.
— Oui, toi.
— C’est exact, c’est moi.
— Tu ne le nies même pas...
— Pourquoi faire ? Tu l'as toi-même dit, non ? Je ne suis qu’un riche prétentieux détestable sans cœur, et j'en passe, non ?
Je m’approchai d’elle tout en lui jetant ces mots au visage, jusqu'à ce qu'elle se retrouve coincée contre le mur. Je voyais à quel point elle était mal à l’aise de cette situation, de cette proximité. Mais je l'ignorais. J’étais trop préoccupé par la confusion qui régnait en moi. J’étais heureux de savoir qu’elle se sentait mal, mais d’un autre côté, je voulais simplement l’embrasser.
Je finis par retrouver la raison. Je glissai une mèche de ses cheveux derrière son oreille avant de lui chuchoter :
— Montre-nous ta perfection, Miss Parfaite. Toi qui es mieux que tout le monde, va sur cette scène, tout le monde t’attend.
Je la regardai une dernière fois, un sourire en coin. Elle se contenta de me fixer sans expression avant de se diriger vers la scène ; il lui restait quelques minutes avant de devoir y aller.
J’aurais aimé être dans sa tête pour savoir ce qu’elle pensait.
J’étais un peu déçu qu’elle ne rétorque rien. Je la suivis pour assister à ce super spectacle qui allait avoir lieu, tout en étant prêt à intervenir.
J’essayais tant bien que mal d’oublier pourquoi j’avais eu cette envie presque incontrôlable de l’embrasser. Ce n’est pas comme si j'avais un quelconque intérêt pour elle. La seule explication que je voyais, c’était que cela faisait trop longtemps que je n’avais pas été avec une femme.
L’annonce indiquant que c’était l’heure de la présentation me sortit de mes rêveries. Victoria s'avança, tremblante. Elle fixait le public, complètement tétanisée. Je ne m’attendais pas à une telle réaction de sa part, je pensais qu’elle aurait dit quelque chose ou réagi, mais rien. De nombreux murmures se faisaient entendre dans la salle.
Contre toute attente, la voir ainsi ne m’apportait pas la satisfaction à laquelle je m’attendais. Elle me lança un regard rempli de haine, mais aussi de larmes.
J’étais allé beaucoup trop loin. Je l’avais vraiment blessée. J’essayais de me dire que ce n’était que la monnaie de sa pièce, mais je n’y arrivais pas. Elle avait raison, je suis un connard.
Je devais attendre encore un peu avant de la rejoindre sur scène pour la conférence, mais je me précipitai pour la sortir de là.
Je me précipitai sur scène, sentant le poids de mon erreur peser sur mes épaules. Victoria, figée, me lança un regard de détresse qui transperça mon cœur. Je pris une profonde inspiration, essayant de réprimer la culpabilité qui m’envahissait.
— Mesdames et Messieurs, je suis désolé pour ce malentendu, dis-je en prenant le micro des mains de Victoria. Elle était visiblement prise au dépourvu par cet événement impromptu. Permettez-moi de prendre le relais et de vous expliquer les défis imprévus que nous rencontrons au quotidien dans notre entreprise.
Les murmures dans la salle se dissipèrent progressivement tandis que je commençais à parler. Victoria recula lentement, les larmes aux yeux, avant de quitter précipitamment la scène. Mon cœur se serra, mais je continuai, tentant de sauver la situation.
La conférence se déroula sans encombre, bien que mon esprit fût constamment tourné vers Victoria. Je terminai en remerciant l’audience pour leur patience et leur compréhension, puis quittai la scène en hâte pour la retrouver.
J’espérais qu’elle ne soit pas rentrée à la maison, que j’aie le temps de m’excuser et de vérifier qu’elle allait bien. Son regard rempli de larmes ne cessait de me hanter.
Je la trouvai dans le couloir, assise sur un banc, la tête entre les mains. La culpabilité me rongeait, chaque pas que je faisais vers elle était lourd de remords.
— Victoria… commençai-je doucement en m’asseyant à côté d’elle.
Elle ne releva pas la tête, ses épaules tremblaient légèrement.
— Je suis désolé, Victoria. Vraiment désolé. Je ne pensais pas que ça te mettrait dans cet état. J’ai été un imbécile.
Elle resta silencieuse un moment, puis redressa lentement la tête, ses yeux rougis me fixant avec une intensité que je n’avais jamais vue auparavant.
— Je vais rentrer.
— Victoria, attends.
— Non. Jusqu’ici tu n’étais qu’un crétin, tu n’étais toujours pas tendre dans nos disputes, mais moi non plus. Mais là, tu as exagéré. Tu as été trop loin. Beaucoup trop loin, Thomas.
— C’est toi qui as commencé.
— Donc c’est de ma faute ? Ce que je t’ai dit hier était peut-être injuste, c’est vrai, je le reconnais et je m’excuse. Mais ça ne méritait pas ce que tu viens de faire. Tu viens de m’humilier devant toute ton entreprise. Je viens de passer pour une incapable. Il y a une différence entre se disputer en privé et faire ce que tu as fait, Thomas. Si tu ne vois pas la frontière, alors peut-être que je ne m’étais pas totalement trompée hier en disant que tu ne pensais qu’à toi.
Sa voix se brisa à la fin de sa phrase. Cette blague n’avait absolument pas eu l’effet escompté. Du moins pas totalement. J’avais réussi à la blesser, l’objectif était atteint, mais je ne m’attendais pas à me sentir si mal en la voyant pleurer ainsi.
— Laisse-moi te raccompagner. Tu n’es pas en état de prendre le volant.
— Non. Je pense qu’on devrait éviter de se parler désormais. Nous allons nous contenter des apparitions officielles, mais chacun restera dans son coin. C’est le mieux pour tout le monde. Quand nous irons au week-end chez mes parents, je leur annoncerai que j’annule les fiançailles. Tu as gagné. J’espère que tu peux au moins attendre jusque-là. Je voudrais déjà finir mon dossier, et j’aurais peut-être besoin de l’aide de mon père. Je voudrais éviter qu’il mette mon projet à l’eau sous la colère.
Elle s’essuya les yeux avant de se lever.
J’avais gagné. Elle allait tout annuler. Pourtant, je n’avais pas l’impression d’avoir gagné quoi que ce soit. Au contraire, je ne m’étais pas senti aussi mal depuis des années.
Je restai assis là, comme l’imbécile que j’étais, essayant de comprendre comment j’en étais arrivé là. Que s’était-il passé pour que je me sente aussi mal ? Que m’avait-il échappé ? Quelle pièce du puzzle me manquait-il ?
— Monsieur ? surgit ma secrétaire. Tout va bien ?
— Oui. Allons-nous préparer, on a du travail. L’artiste doit venir aujourd’hui.
— Oui, à treize heures.
— Très bien.
L’heure était arrivée, l’artiste que j’avais repéré devait venir nous rencontrer. La matinée était passée au ralenti, la culpabilité était bien plus présente que je ne l’aurais imaginé.
Je pris une profonde inspiration, essayant de chasser mes pensées tourmentées. Je devais me remettre au travail et m’assurer que cette rencontre se passe sans accroc. Il devenait de plus en plus difficile de trouver quelqu’un avec un vrai don de nos jours.
L'artiste, un jeune homme nommé Alex, avait un talent brut et une énergie créative qui me rappelaient pourquoi j’aimais ce métier. Il entra dans le bureau avec une attitude détendue, ses vêtements artistiques décontractés contrastant fortement avec l'atmosphère corporate de notre entreprise.
— Bonjour Alex, je suis Thomas. Ravi de te rencontrer.
— Salut Thomas, le plaisir est pour moi. J'ai entendu beaucoup de bien sur votre entreprise.
— Vraiment ? Dans ce cas, j’espère être à la hauteur de tes attentes.
Je lui offris une poignée de main ferme avant de l'inviter à s’asseoir. Nous commençâmes à discuter de son travail, de ses inspirations, et de la manière dont il envisageait une collaboration avec notre marque. Malgré ma distraction mentale, je parvins à rester impliqué dans la conversation, intrigué par ses idées novatrices.
La discussion fut enrichissante et stimulante. Alex avait des perspectives fraîches et une approche non conventionnelle qui pouvaient vraiment apporter une touche unique à nos produits. Alors que nous parlions, je réalisai que cette collaboration pourrait être un tournant pour notre entreprise, une opportunité de redéfinir notre image. Il était dans le street art, un art qui émergeait de plus en plus, surtout depuis Banksy, que j’aurais d'ailleurs vraiment aimé avoir dans notre agence. Malheureusement, malgré tous nos efforts, nous n’avions jamais découvert qui il était.
Après environ une heure, nous avions convenu des grandes lignes de notre partenariat. Je sentais un regain d’enthousiasme en moi, une énergie nouvelle qui me faisait momentanément oublier les tensions avec Victoria.
— Merci pour ton temps, Alex. J’ai hâte de voir ce que nous allons créer ensemble.
— Moi aussi, Thomas. À très bientôt.
Après le départ d'Alex, je me retrouvai de nouveau seul avec mes pensées. L'interaction avait été une bouffée d'air frais, mais les problèmes avec Victoria revenaient rapidement à l'esprit. Je fis tout de même abstraction de tout cela. Je n’avais rien fait de plus que me défendre, après tout. J’avais hâte de pouvoir assister à la soirée avec les gars tout à l’heure ; je sentais que ce serait une vraie bouffée d’air frais pour moi.
Cependant, je n’arrivais pas à me plonger correctement dans mon travail, ce qui me frustrait particulièrement. Je décidai de rentrer ; ça ne servait à rien de forcer, je n’obtiendrais qu’un travail bâclé, ce qui serait encore pire.
En rentrant, je trouvai Victoria debout dans la cuisine, un verre d’eau à la main. Elle sursauta en me voyant, ne s'attendant visiblement pas à ce que je rentre si tôt. Comme elle l’avait dit plus tôt dans la journée, elle m'ignora.
J'acquiesçai de la tête en silence, encaissant cette attitude. Je l’avais mérité, mais tout de même, elle aussi s’était mal comportée, et pourtant je n'en faisais pas tout un cirque.
J’enfilai rapidement ma tenue de sport et partis dans ma salle pour évacuer toute cette colère, cette culpabilité. Cet énorme nœud d’émotions que je ne comprenais pas.
Ma séance s’éternisa ; j’avais passé plus de deux heures, tout y était passé : les tractions, la course, le sac de boxe, etc. J’étais épuisé, j’avais mal partout, mais au moins j’étais détendu. Allongé sur le banc, je dus fournir un effort surhumain pour aller prendre une douche et me préparer pour la soirée.
Une fois habillé, je remarquai sur ma montre qu'il était déjà l'heure du repas. Tout cela m'avait fait passer le temps rapidement ; je ne pensais pas qu'il était déjà si tard.
Je filai dans la cuisine, m’attendant à voir Victoria cuisiner, mais je ne l’aperçus pas. C’était pourtant son jour. Je regardai partout pour voir s’il y avait une quelconque trace de son passage, mais n’aperçus rien.
Lui aurais-je coupé l’appétit ?
J’attrapai de quoi préparer rapidement le repas. Ce soir, ce seraient les restes. Je n’avais pas envie de cuisiner.
J’allais mettre une assiette pour Victoria, quand cette dernière sortit de sa chambre. J’observai chacun de ses mouvements. Elle enfila sa veste et ses chaussures avant d’attraper ses clés et de sortir.
Où pouvait-elle bien aller à cette heure ? Ce n’était pas dans ses habitudes de sortir. Je ne suis même pas sûr qu’elle ait quelqu’un avec qui sortir. Je ne l’ai jamais vue accompagnée d’amis.
Je rangeai l’assiette, tout en me posant plein de questions.
La maison était calme, comme avant l’emménagement de Victoria. Je ne saurais dire si j’appréciais ou non. En temps normal, j’aurais dit oui. Mais le repas d’hier avait été agréable.
Je mangeai rapidement avant de rejoindre Nathan chez lui. Nous devions nous retrouver à la boîte, mais j’avais vraiment besoin de parler à quelqu’un.
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