Chapitre 24
— Non, mais c’est une blague ? Vous vous êtes passé le mot ? bougonna Nathan en me voyant.
Je ne compris pas tout de suite, jusqu’à ce que j’entre dans l’appartement aux tons modernes, oscillant entre le noir, le blanc et le gris, tout en marbre, et que j’aperçoive Alex et Nate. Il ne manquait que Liam.
— On ne devait pas tous se rejoindre au club ? demandai-je.
— Exactement ! Alors qu’est-ce que vous foutez tous chez moi ? Enfin, pour les deux guignols là-bas, je le sais déjà, mais toi ?
— Il s’est passé des choses avec Victoria.
— Oula, positif ou négatif ?
— Un peu des deux.
Je leur expliquai tout ce qui s’était passé, les remarques de Victoria, le repas d’hier, et la blague.
— Victoria a raison, finit par s’exclamer Nate, tu es un con. Mais tu devrais être content, elle annule tout. Ce n’était pas l’objectif ?
— Si, mais je ne sais pas, je n’arrive pas à être pleinement satisfait.
— Il y a deux raisons.
— Lesquelles ?
— Soit parce que tu sais que tu t’es comporté en crétin et tu culpabilises, tu sais que tu as franchi les limites. Soit…
— Soit ?
— Soit tu l’aimes.
— N’importe quoi. Je ne la supporte pas, c’est physique.
— Tu sais ce qu’on dit, intervint Alex, il n’y a qu’un pas entre l’amour et la haine.
— Ouais, bah un pas de titan dans notre situation. Certes, elle est jolie, mais c’est tout, et plus je la connais, plus je la déteste.
— Tu l’as toi-même dit, tu as eu envie de l’embrasser.
— Parce que ça fait longtemps que je n’ai pas couché avec une fille, et physiquement, elle n’est pas repoussante, c’est tout.
J’essayai de les convaincre, mais ils n’avaient pas l’air de me croire. Moi, amoureux de Victoria ? C’était impossible. Cela n’avait aucun sens. Nous étions nés pour nous détester, nous disputer, nous faire vivre mutuellement un enfer à chaque fois que nous nous voyions.
— Mais tu penses vraiment que son père va accepter de tout annuler ? questionna Alex.
— Je l’espère, même si je sais que ce n’est pas gagné. Je suppose qu’il le fera. Victoria est sa seule fille, il voudra tout de même son bonheur.
— Mais vous avez donné l’interview en disant que vous étiez fous amoureux.
— Elle a été publiée ?
— Oui, ce matin. Tu ne l’as pas lue ?
— Je n’étais même pas au courant.
— Comment c’est possible ? Attends, tiens.
Avec tout ce qui s’était passé, je n’avais même pas pensé à consulter l’actualité pour voir si l’article était sorti.
Nathan me tendit sa tablette avec l’article.
« Aussi surprenant que cela puisse paraître, notre playboy Thomas Castez a enfin trouvé chaussure à son pied en la personne de Victoria Chan. Après des débuts houleux, nous ont-ils confié dans une interview, ils ont finalement compris qu’ils étaient amoureux l’un de l’autre, et ce depuis… un an. Eh oui, vous avez bien lu, nos jeunes fiancés sont doués pour garder leur vie privée secrète. Mais peut-on réellement leur en vouloir ? Nous vous laissons découvrir dans cet article les détails qu’ils nous ont accordés lors d’une interview exclusive. »
Je m’arrêtai de lire. L’article était à la hauteur de ce qu’on pouvait attendre. Tout le monde allait croire que nous vivions un amour de conte de fée pour enfants. Mon père allait être heureux. Du moins temporairement.
— Je ne sais pas si je dois me réjouir ou non.
— Vois le bon côté, répondit Nathan, si ton père te vire, tu as toujours la carrière d’acteur.
— Très drôle. Franchement, je te remercie pour un tel soutien en ce moment.
— Je sais. Tu serais perdu sans moi.
Les gars éclatèrent de rire et je les rejoignis.
Ils se mirent à discuter de tout et de rien, et je profitai de ce moment pour envoyer un message à Victoria.
« L’article est paru, tu l’as vu ? »
Sa réponse ne tarda pas, à ma grande surprise. Je ne pensais pas qu’elle m’aurait répondu.
« Vraiment ? Je vais voir. »
Je ne répondis rien, attendant de voir si je recevais un nouveau message de sa part. Je ne savais pas ce qu’elle dirait, mais je pensais qu’à ce stade, nous ne pouvions pas annoncer que le mariage était annulé. Nos actionnaires et le public penseraient que nous étions tous les deux des personnes instables, et ça risquerait d’impacter nos conglomérats, par conséquent leurs profits. Les actions en bourse pourraient chuter. Sans parler de la fureur de nos pères.
Les vibrations de mon téléphone m’indiquèrent que Victoria avait répondu.
« On en parle plus tard. »
Je ne compris pas sa réaction. Je m’attendais à tout, sauf à cette réponse. Que pouvait-elle bien faire ?
J’écoutai d’une oreille distraite la conversation, alors que Nathan nous racontait comment il avait réussi à gagner le double du million qu’il avait placé grâce à un coup de maître en bourse.
— Liam ne vient pas, lança Nathan en captant mon attention.
— Pourquoi ?
— Apparemment, la mannequin avec qui il travaille fait des siennes, ce qui fait que la séance photo a pris beaucoup de retard.
— Si ça se trouve, il couche avec elle et c’est juste une excuse, rigola Alex.
— C’est quelle mannequin ? demanda Nate.
— Sérieux ? Tu ne penses qu’à ça.
— Tu n’es pas le mieux placé, Thomas, rigola Nathan. Je crois que tu es sorti avec la plupart des mannequins avec qui Liam a travaillé. D’ailleurs, en parlant de ceux qui ne viennent pas, Victoria vient toujours ?
— Aucune idée, elle est partie en début de soirée sans rien me dire.
— Tu ne t’inquiètes pas ?
— Elle est adulte, elle sait se gérer. Vous voulez toujours qu’on aille en boîte ou on reste ici et on joue ?
— Perso, je suis fatigué, je veux bien qu’on reste ici.
— Idem, j’ai un client qui m’a pris la tête toute la journée.
— Je vais prévenir Victoria qu’on n’y va plus.
— Tu devrais l’appeler plutôt que de lui envoyer un message.
— Pourquoi ?
— Sérieux, Thomas, soupira Nate, je ne suis pas souvent d’accord avec Nathan, mais il a raison, tu pourrais savoir à sa voix comment elle va. Malgré tout, tu as vraiment merdé tout à l’heure.
— C’est bon, je l’appelle.
Je partis dans la chambre d’invités afin d’être plus au calme. J’attendis que Victoria réponde, ce qu’elle fit au bout de la troisième sonnerie.
« — Quoi ?
— Je sais que tu ne veux pas me parler, mais je voulais te prévenir qu’on ne va plus en boîte. Liam a un problème sur son shooting et les gars sont fatigués, on reste chez Nathan. Tu veux que je t’envoie l’adresse ?
— Non, merci.
— Très bien. »
Nous restâmes silencieux au téléphone. Je n’osais pas raccrocher, mais je ne savais pas quoi dire non plus.
« — Écoute, Victoria, je suis vraiment désolé pour tout à l’heure.
— Je le sais.
— Je ne pensais vraiment pas que ça dégénérerait autant.
— Laisse tomber, Thomas. En revanche, avec l’article, on ne pourra pas annuler les fiançailles tout de suite. Il faudra qu’on continue en public, mais on pourra mettre au point un système pour éviter de se voir ou de se parler en privé.
— Victoria…
— Je dois y aller. À plus, Thomas. »
Je n’eus pas le temps de répondre quoi que ce soit qu’elle avait déjà raccroché. Je m’assis sur le lit tout en fixant la fiche de contact de Victoria. Je n’arrivais vraiment pas à comprendre pourquoi je culpabilisais autant ; ça s’entendait à sa voix qu’elle était vraiment blessée. Elle était si distante.
Je retournai dans le salon et retrouvai les gars en train de jouer à la PlayStation. Quand ils m’aperçurent, ils mirent tout de suite le jeu en pause avant de me regarder, attendant que je leur raconte ma discussion.
— Elle ne viendra pas.
— Et ?
— Et rien, Nathan.
— Tu es resté quasiment dix minutes au téléphone avec elle et vous avez juste dit ça ? Je n’y crois absolument pas.
— Je lui ai proposé, elle m’a dit non, il y a eu un moment de silence, je me suis excusé, et elle m’a dit qu’avec l’interview, on ne pouvait pas rompre, alors elle veut qu’on mette des règles de vie pour ne pas se voir ni se parler en privé. Ça vous convient ?
— Tu l’as vraiment contrariée.
— Non ? Vraiment ? Merci pour ta clairvoyance, Nate.
— Eh, je n’y suis pour rien, moi.
— Laissez tomber, donnez-moi une manette.
Alex me lança un regard un peu hésitant avant de finalement m’en donner une.
La soirée avançait, et les éclats de rire se faisaient de plus en plus fréquents, malgré la tension résiduelle. Nous étions tous concentrés sur le jeu, essayant de détourner nos pensées de la situation compliquée avec Victoria. Pourtant, même au milieu des blagues et des cris de victoire, je ne pouvais pas m'empêcher de penser à elle.
À un moment donné, Nathan fit une pause et se tourna vers moi.
— Thomas, tu devrais vraiment réfléchir à ce que Nate a dit plus tôt.
— À propos de quoi ? répondis-je en esquivant un coup virtuel sur l'écran.
— De tes sentiments pour Victoria. Tu ne culpabilises pas autant pour rien. Si c’était juste une histoire de fierté, tu serais déjà passé à autre chose.
Je soupirai, exaspéré par la tournure de la conversation.
— C’est compliqué, les gars. Victoria et moi, c’est comme le feu et la glace. On ne peut pas se supporter plus de cinq minutes sans s’envoyer des piques.
— Justement, intervint Alex. Peut-être que cette passion, même négative, cache autre chose. T’as déjà pensé à ça ?
Je laissai échapper un rire amer.
— Vous avez trop regardé de comédies romantiques. Victoria et moi, c’est tout sauf ça.
Nate hocha la tête, pensif.
— Peut-être. Mais si tu veux vraiment que ça marche, surtout vis-à-vis de ton père, il va falloir que tu règles ça. Sinon, ça finira par éclater et tous les deux, vous serez dans la merde.
Je n’avais pas de réponse à cela.
La soirée continua, mais je n’étais plus vraiment là. Mes pensées tournaient en boucle, cherchant des solutions à cette impasse. Finalement, épuisé par toutes ces réflexions, je décidai de me retirer pour la nuit.
— Les gars, je vais me coucher. On se voit demain.
— Pas de problème, répondit Nathan. Repose-toi bien et prends n’importe quelle chambre, comme d’habitude.
Je choisis la première chambre, celle où j’avais appelé Victoria. Je m’assis sur le lit, la contemplant, bien que j’aie dû y dormir une centaine de fois. Elle était simple, dans les tons blancs, composée d’un bureau, d’une commode, d’une télévision et d’un lit. Nathan n’a jamais aimé décorer. Chose que je comprends, j’aime décorer seulement les endroits où je passe du temps, comme ma chambre ou mon salon. Je me demande si Victoria a pris le temps de décorer la chambre que je lui ai donnée.
Je m’étendis sur le lit, le regard fixé sur le plafond. La nuit promettait d’être longue, peuplée de rêves troublés et de pensées confuses.
Je ne sais pas pourquoi je me sens aussi coupable, mais je pense que la réponse des gars est irrationnelle. Victoria et moi nous connaissons depuis des années, pas très bien certes, mais suffisamment pour que depuis le début, nous nous détestions. Ça ne peut pas changer du jour au lendemain. Non, la théorie la plus probable, c’est simplement que sa réaction, mélangée au fait qu’elle m’ait dit toutes ces vérités, m’a perturbé plus que je ne le pensais. Peu importe la raison, je dois me ressaisir et vite. Pour l’instant, c’est vrai qu’on ne peut rien annuler, mais d’ici quelques semaines, on le pourra. Je dois faire en sorte que Victoria me déteste toujours autant pour qu’elle annule tout. J’ai presque atteint mon objectif, je vais bientôt pouvoir retrouver ma vie. Je ne dois pas laisser une quelconque perturbation me détourner de mon but. Une fois que Victoria sera sortie de ma vie, tout redeviendra normal.
Annotations
Versions