Chapitre 28
Elle éclata de rire, un son cristallin qui sembla faire écho à travers la plage déserte. Ce rire, sincère et léger, contrastait tellement avec l’ambiance lourde et tendue de la soirée chez ses parents. C’était un rire qui allégeait l’atmosphère, donnant l’impression que, pour un instant, tout allait bien.
— C’est peut-être vrai, concéda-t-elle en souriant. Mais pour l’instant, je suis juste heureuse d’être ici, loin de tout ça.
Elle regardait l’océan, perdue dans ses pensées. Je la regardais, frappé par la force tranquille qu'elle dégageait malgré tout. Victoria avait une résilience que je n’avais jamais vue chez personne d’autre.
Nous restâmes assis là, côte à côte, contemplant l’océan sans parler. Parfois, les mots ne sont pas nécessaires. Parfois, le silence est plus éloquent. Une idée surgit alors dans mon esprit.
— Et si on passait le week-end ici ?
— Comment ça ?
— On devait rester trois jours chez tes parents, mais vu que ça ne se fait finalement pas, on pourrait rester ici trois jours… enfin, deux maintenant.
— Dans cet hôtel ?
— Oui, ou n’importe où, là où tu veux.
— Non, ici c’est une bonne idée. Une excellente idée. J’avais besoin de vacances. Malheureusement, on ne peut pas s’absenter plus longtemps, mais c’est déjà formidable.
Le bruit des vagues et la lueur des étoiles créaient une ambiance sereine. Chaque minute passée sur cette plage nous éloignait un peu plus des conflits familiaux, des attentes, des déceptions. C'était une trêve, un moment où nous pouvions être simplement nous-mêmes.
Après un long moment, Victoria rompit le silence.
— Tu sais, Thomas, depuis qu’on se connaît, j’ai toujours pensé que tu me détestais. Et je suppose que je ne t’ai pas facilité la tâche non plus.
— Je te détestais effectivement. Mais étrangement, une part de moi appréciait que tu me tiennes tête.
— C’est un peu cliché.
— Comment ça ?
— Le mec qui a toutes les filles à ses pieds mais qui préfère celle qui lui tient tête.
— Je n’ai jamais dit que je te préférais, la taquinai-je en lui donnant un coup d’épaule. Et si on va par là… toi non plus tu ne m’aimais pas.
— Je te déteste moins, si ça peut te consoler.
Nous restâmes encore un moment à contempler la mer, profitant de cette nouvelle entente entre nous. La nuit avançait, mais aucun de nous ne semblait prêt à partir. C'était comme si nous voulions profiter de chaque seconde de cette trêve inattendue.
Finalement, nous décidâmes de retourner à l'hôtel. Le réceptionniste nous lança un grand sourire en nous voyant arriver.
— Bonsoir, bienvenue dans notre hôtel. Que puis-je faire pour vous ?
— Bonsoir, une chambre, s’il vous plaît.
— Deux, me corrigea Victoria.
Je fronçai les sourcils, perplexe face à son comportement.
— Voyons, Victoria, il sait très bien qu’on est fiancés.
— Alors une seule chambre, finit-elle par répondre, hésitante.
J'attrapai la clé et remerciai le réceptionniste avant de nous diriger vers notre chambre.
Nous montâmes dans l'ascenseur en silence, laissant la mélodie apaisante de la musique d'ambiance envelopper l'espace entre nous. L'ascenseur, revêtu de miroirs et de dorures, reflétait notre image à l'infini, créant une illusion de grandeur et de mystère.
Lorsque les portes s'ouvrirent sur le palier de notre étage, nous fûmes accueillis par un couloir somptueusement décoré. Des lustres en cristal suspendus au plafond diffusaient une lumière tamisée, tandis que des tapis moelleux caressaient nos pieds à chaque pas. Les murs étaient ornés de tableaux anciens et de sculptures élégantes, témoignant du raffinement et de l'opulence de l'endroit.
Victoria semblait émerveillée par le luxe qui nous entourait, ses yeux brillants d'admiration. Je lui adressai un sourire complice, heureux de partager ce moment avec elle.
— C'est magnifique, murmura-t-elle, ses pas résonnant doucement sur le sol de marbre.
Nous avançâmes dans le couloir, explorant chaque recoin avec curiosité. Les portes des chambres étaient ornées de plaques de cuivre gravées de numéros dorés, ajoutant une touche d'élégance à l'ensemble. Nous nous arrêtâmes devant notre chambre, un sanctuaire de luxe et de confort qui semblait nous appeler.
Lorsque j'ouvris la porte, un parfum envoûtant nous enveloppa, mélange subtil de fleurs fraîches et d'essences exotiques. La pièce était spacieuse, baignée de lumière naturelle qui filtrait à travers de grandes fenêtres offrant une vue imprenable sur l'océan. Les murs étaient recouverts de tissus somptueux et de tentures soyeuses, créant une atmosphère chaleureuse et accueillante.
Au centre de la pièce se dressait un lit à baldaquin, drapé de voilages blancs qui ondulaient doucement au gré de la brise marine. Des oreillers moelleux et des couvertures douillettes invitaient à la détente, promettant des nuits paisibles et réparatrices.
Victoria s'approcha de la fenêtre, ses yeux fixés sur l'horizon lointain où le ciel se teintait de nuances dorées au coucher du soleil. Je m'approchai d'elle, captivé par sa beauté et sa grâce naturelle.
— C'est incroyable, murmura-t-elle, sa voix empreinte d'émerveillement.
Je posai doucement ma main sur son épaule, sentant la chaleur de sa peau sous mes doigts. Ce geste eut pour effet de la sortir de son émerveillement.
— On fait comment maintenant pour dormir ?
— En fermant les yeux ? répondis-je, incertain de sa question.
— Je veux dire… tu as refusé que je prenne une chambre...
— Tout le monde sait qu’on est fiancés, la coupai-je. Si on prend des chambres séparées, ça fera jaser. Excuse-moi d'essayer de préserver ce stupide mensonge.
— Je n’ai pas dit le contraire.
— Pourtant, tu avais un ton rempli de reproches.
— Parce que tu veux qu’on dorme comment ? On ne va pas dormir dans le même lit !
Je n’avais pas songé à ce problème.
— Je dormirai sur le canapé, tu n’as qu’à prendre le lit.
— Je ne peux pas te demander ça.
— Tu ne le demandes pas, je l’impose.
— Merci. Je vais dans la salle de bain.
J’acquiesçai et préparai le canapé. Il n’avait vraiment pas l’air très confortable. Je soupirai, déjà fatigué à l’idée de la longue nuit qui s'annonçait.
Victoria sortit rapidement de la salle de bain vêtue de son pyjama, qui se résumait à un short et un T-shirt. Je m'engageai dans la pièce à sa suite afin d’enlever le sable qui n'arrêtait pas de me démanger.
Je me dépêchai de sortir de la douche, n'ayant qu’une envie : me glisser sous une couette.
Lorsque je sortis, Victoria était déjà dans le lit, dos à moi. Aucun bruit ne se faisait entendre, elle devait s’être endormie.
Je me précipitai vers le canapé sans faire de bruit, mais cela était sans compter le sac que je n'avais pas aperçu dans l’obscurité et dans lequel je pris les pieds avant de me rattraper de justesse. Niveau discrétion, on repassera.
— Tu ne t’es pas blessé ? demanda Victoria dans un sursaut.
— Non, désolé de t’avoir réveillée.
— Je ne dormais pas.
— Comment ça se fait ? demandai-je en m'installant dans ce qui me servait de lit.
Je fixai le plafond, tandis que Victoria cherchait ses mots.
— Je repensais à la journée, c’est tout.
— Comme ça ?
— Laisse tomber, c’est ridicule.
— Je pense que dans le style ridicule, on a battu des sommets. Lâche-toi.
— Je ne comprends pas… pourquoi est-ce toujours mon frère qu’on choisit ? J’ai toujours eu l’impression d’être le vilain petit canard de la famille, et c’est frustrant. Même encore aujourd’hui. C’est ridicule et pathétique.
— Je ne trouve pas.
— Tu dis ça pour être sympa. Ce qui n’est pas dans ta nature. En y repensant, tu es trop gentil aujourd’hui... que t'arrive-t-il ? Tu prépares une de tes blagues pourries ?
Bien qu’elle dise cela sur le ton de l’humour, je ne pus m’empêcher d’être un peu blessé. Je savais que je l'avais mérité, que si elle avait cette vision de moi, c’était ma faute.
— Tu crois que je suis aussi mesquin ?
— J’en suis sûre.
Je ne répondis rien. Ça avait le mérite d’être clair. Elle pensait que j'étais mesquin, incapable d’être sincère sans arrière-pensée. Une part de moi lui en voulait. Je voulais qu’elle voie que cette fois, non, je ne me moquais pas d’elle.
— Je pense que tu peux être mesquin...
— J’ai compris, Victoria.
— Ferme-la et laisse-moi finir. Oui, tu peux être mesquin, voire même méchant. Mais je pense aussi que tu peux être quelqu’un de bien. La preuve : aujourd’hui. Étrangement, la journée a été moins pénible que d’habitude. J’ai toujours cette impression de vide en moi, d’être une moins que rien, mais aujourd’hui non. Et c’est grâce à toi. Donc merci d’avoir été présent et d’avoir pris ma défense. Tu as été le premier à le faire, dit-elle, sa voix faiblissant au fil du discours.
À peine le dernier mot prononcé, elle s’endormit. Elle devait être épuisée. Je repensais à ses propos tout en cherchant une position confortable sur ce canapé aussi mou que de la gélatine. Et dire qu’on payait une fortune pour cette chambre...
Après ce qui me sembla une éternité, je me redressai, résigné. Impossible de dormir sur ce truc difforme. Je jetai un coup d'œil à Victoria, qui semblait dormir paisiblement, lovée dans ce lit qui ressemblait à un véritable paradis.
Je me levai, bien décidé à trouver une solution. Le canapé était un supplice pour mon dos, et le sol en marbre n'était clairement pas une option. Mon regard revint vers le lit. Victoria dormait profondément, sa respiration régulière emplissant la pièce d’une sérénité presque apaisante.
Peut-être que je pouvais m'allonger à côté d'elle sans la réveiller. Mais si elle se réveillait, elle risquait de me tuer sur place.
Je m’approchai silencieusement du lit, chaque pas me rapprochant de la tentation. La douceur des draps semblait m’appeler, promettant un confort inégalé. Je me glissai doucement sous la couette, retenant ma respiration pour éviter de faire le moindre bruit.
Dès que je m’installai, une vague de soulagement m’envahit. Le matelas était moelleux, épousant parfaitement chaque courbe de mon corps. Enfin un vrai lit. Je restai immobile, bercé par le doux clapotis des vagues et la respiration tranquille de Victoria.
Elle bougea légèrement après quelques minutes, se retournant dans son sommeil. Son bras effleura le mien. Mon cœur s’emballa un instant, mais elle ne se réveilla pas. Le sommeil finit par m’emporter à mon tour.
Je fus brutalement tiré de mes rêves par une douleur vive. Je gisais désormais au sol, sonné par le choc.
Victoria, debout sur le lit, me regardait avec de grands yeux.
— T’es malade ? Pourquoi tu m’as poussé du lit ? m’exclamai-je, encore groggy.
— Qu’est-ce que tu faisais dedans ? répliqua-t-elle, visiblement paniquée.
— Le canapé était vraiment inconfortable ! Mais ce n’est pas une raison pour me balancer par terre !
— J’ai paniqué, OK ? Je me suis réveillée et j’ai senti une présence dans mon dos.
— Et tu n’as pas pensé à regarder qui c’était ? Ou simplement à t’éloigner ? Non, toi, directement, tu pousses ! Franchement, quel kidnappeur dort paisiblement à côté de sa "victime" ?
— J’ai jamais prétendu être rationnelle quand j’ai peur !
— Évite de devenir militaire, alors...
Victoria fit une grimace d’enfant contrariée tandis que je me relevai avec difficulté.
— Grimace tant que tu veux, c'était clairement une tentative de meurtre, grommelai-je.
— T’exagères. T’es tombé de même pas un mètre, tu n’allais pas mourir.
— Et tu es médecin pour en être si sûre ? J’aurais pu mal me réceptionner !
— Peut-être... Mais là, t’es vivant, non ? Donc ça va, pas de quoi faire un drame.
— Ah oui, et si j’étais mort, tu te serais dit quoi ? "Oh zut, il est décédé. Bon bah tant pis, allons déjeuner" ?
— Peut-être pas à ce point...
— Menteuse.
Non mais sérieusement, elle aurait pu me tuer. Elle ne réalise pas à quel point le monde aurait souffert de ma disparition.
Je me tournai vers elle, toujours lovée sous la couette.
— Bon, on fait quoi aujourd’hui ? Enfin... quelque chose qui ne risque pas de me tuer. Même si, franchement, j’ai l’impression que c’est ton objectif...
Victoria éclata de rire, un éclat sonore qui chassa les tensions de la matinée.
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