Chapitre 29
Victoria esquissa un sourire en coin, clairement amusée par ma réaction exagérée.
— Ce n’était pas mon intention de te tuer, je te le promets. Mais je suis désolée, vraiment.
— Promesse acceptée, dis-je en me frottant le dos. Maintenant, concentrons-nous sur notre journée. Que dirais-tu de commencer par un bon petit déjeuner et de planifier la suite après ?
Victoria hocha la tête, un éclat de malice toujours présent dans ses yeux.
— D'accord. J'ai vu qu'ils servaient un petit déjeuner sur la terrasse avec vue sur la mer. Ça te dit ?
— Parfait. Enfile une tenue confortable et on se retrouve dans dix minutes.
Je me dirigeai vers la salle de bain pour me préparer. Je ne pouvais m'empêcher de réfléchir à cette nouvelle dynamique entre Victoria et moi. La tension entre nous semblait s'être allégée. Peut-être que cette escapade improvisée serait bénéfique pour nous deux.
Lorsque je sortis de la salle de bain, Victoria était déjà prête, vêtue d'une robe légère et estivale. Elle me sourit en me voyant.
— Prêt ?
— Totalement, répondis-je en attrapant mes affaires. Allons-y.
Nous descendîmes à la terrasse de l'hôtel où un buffet somptueux nous attendait. Les tables étaient dressées avec soin, offrant une vue imprenable sur l'océan. Nous nous installâmes, savourant la fraîcheur de la brise marine et les délices du petit déjeuner. Entre les fruits frais, les viennoiseries et le café fumant, chaque bouchée semblait renforcer notre sentiment de bien-être.
— J’ai une idée, proposa soudainement Victoria. Pourquoi ne pas louer des vélos et explorer les environs ? J'ai entendu dire qu'il y a une piste cyclable qui longe la côte, ça pourrait être sympa.
— Excellente idée, approuvai-je. Une balade à vélo, un peu d'aventure, ça me plaît.
Après le petit déjeuner, nous nous dirigeâmes vers la réception pour louer des vélos. Le réceptionniste, toujours aussi aimable, nous indiqua le chemin vers la piste cyclable et nous donna quelques conseils sur les meilleurs endroits à visiter.
Enfourchant nos vélos, nous nous mîmes en route, pédalant à un rythme tranquille le long de la côte. Le paysage était à couper le souffle, avec des falaises escarpées, des plages de sable fin et une mer d'un bleu éclatant. Le chant des oiseaux et le doux murmure des vagues créaient une symphonie naturelle apaisante.
Nous nous arrêtâmes à plusieurs reprises pour prendre des photos, admirer la vue ou simplement profiter du moment. À chaque pause, les sujets de conversation ne manquaient pas. Nous parlâmes de nos rêves, de nos peurs, des moments marquants de nos vies. C’était comme si, loin des regards et des attentes, nous pouvions enfin être nous-mêmes.
— Qu’est-ce que tu aurais fait si tu n’étais pas une riche héritière ? questionnai-je.
— Pourquoi se poser la question ? La vie est ainsi, ça ne sert à rien de s’imaginer autrement.
— Allez, essaie, arrête de tout rationaliser.
— Je ne rationalise pas tout. Bon d’accord, finit-elle par concéder devant mon regard. Eh bien je suppose que… j’en sais rien.
— Waouh, beaucoup de suspense pour pas grand-chose.
— Moque-toi, mais ce n’est pas facile comme question. Essaie d’y répondre, toi.
— Bon, d'accord. Si je devais imaginer une vie différente, je pense que je serais mécanicien automobile. J'adore les voitures, tu le sais. J'aime comprendre comment elles fonctionnent, les réparer, les améliorer. Il y a quelque chose de satisfaisant à redonner vie à une machine. Je dois reconnaître que c’est ce que j’ai adoré lors de la réunion du nouveau prototype de ton entreprise.
Victoria haussa un sourcil, visiblement intéressée.
— Je t'imagine bien en combinaison de travail, les mains couvertes de graisse. Ça te va bien, en fait. Je pense que ton rôle de PDG est celui qui te correspond le mieux, mais si tu ne pouvais pas l’être, mécanicien te collerait parfaitement.
— Et toi, tu n'échappes pas à la question. Qu'est-ce que tu ferais si tu n'étais pas une riche héritière ?
Victoria réfléchit un instant, puis répondit avec un sourire.
— Je pense que je serais journaliste. J'aime écrire, et j'adore découvrir de nouvelles histoires, rencontrer des gens et comprendre leurs vies. J'aurais aimé voyager, du moins voyager réellement, pas juste des allers-retours pour le boulot. Donc je suppose qu’enquêter et écrire des articles qui inspirent et informent les gens serait formidable.
— Journaliste, hein ? Ça te correspond bien. Pourquoi tu ne l'as pas fait ? Ton frère a choisi un domaine différent de l’entreprise familiale, non ?
— Parce que lui se moque des autres. Il ne pense qu'à ce que lui veut. Je ne suis pas comme ça.
— Tu es beaucoup trop compatissante. Tu te prends aussi beaucoup trop la tête. Tu dois apprendre à vivre pour toi.
— Comme toi ?
— Exactement, rigolai-je.
Nous continuâmes notre balade à vélo, les paysages magnifiques défilant devant nous. C’était vraiment une très belle région.
— C’est intéressant, tu sais, comment les choses auraient pu être différentes, dis-je en fixant l'horizon.
Victoria acquiesça.
— Tu crois que tu aurais été différent ?
— Non. Je pense que nous sommes qui nous sommes.
— C’est très profond, se moqua-t-elle.
— Ce que je veux dire, c’est que je ne serais pas différent si je vivais autrement.
— Donc tu penses que même si tu avais été pauvre, tu serais quand même celui que tu es aujourd’hui ?
— Tu veux dire beau, drôle et intelligent ? Oui, je pense.
— Non, je veux dire : connard, prétentieux et arrogant.
— Connasse.
— Je sais, rigola-t-elle. Mais tu crois vraiment ce que tu dis ?
— Absolument. Regarde, c’est comme une voiture. Peu importe où elle roule, elle reste la même voiture. La route peut être belle ou accidentée, mais elle ne change pas ce qu'elle est. La façon dont elle gère ces routes est déterminée par ce qu'elle est dès le départ, ses composants, sa construction.
Victoria sembla réfléchir à cette analogie.
— Tu veux dire que notre caractère est comme ces composants ?
— Exactement. Les expériences de vie sont comme des routes différentes. Elles nous façonnent, bien sûr, mais elles ne changent pas fondamentalement qui nous sommes. Si j'étais né pauvre, j'aurais peut-être dû travailler plus dur pour arriver là où je suis, mais je serais toujours moi, avec mes passions, mes défauts, mes qualités. Prenons l'exemple de mes amis. Ils viennent tous de milieux différents, mais ce sont leurs caractères, leur essence qui les rendent uniques, pas seulement leurs parcours.
— Je comprends ce que tu veux dire. Mais je pense que les expériences peuvent quand même nous transformer de manière significative. Un enfant qui vit dans la misère n’évoluera pas de la même façon que s’il était dans la richesse.
— Oui, je ne dis pas le contraire, elles peuvent nous influencer, nous faire évoluer, mais elles ne changent pas notre essence profonde. C'est cette essence qui détermine comment nous réagissons aux situations, comment nous apprenons et grandissons. Regarde-toi, Victoria. Tu es forte, indépendante et passionnée. Que tu sois une riche héritière ou non, ces traits resteraient. Tu trouverais toujours un moyen de les exprimer. Ton enfant, si au fond de lui c’est un criminel, il le sera dans les deux cas. Il aura des excuses différentes, mais il commettra son crime tout de même.
— Tu as peut-être raison. Je comprends ton point de vue, même si je reste persuadée qu’on peut changer cette essence en fonction de notre environnement.
Nous continuâmes à pédaler en silence pendant un moment, appréciant la beauté du paysage et la douceur du moment. Soudain, Victoria brisa le silence.
— En parlant de défis, j’ai réfléchi à quelque chose. Tu sais, avec ton intérêt pour les voitures et ta manière de toujours vouloir améliorer les choses, tu pourrais peut-être diriger le nouveau prototype de voiture de Glamous ?
— Comment ça ?
— Je n’aime pas les voitures, je maîtrise le domaine, c’est vrai, mais je n’ai pas cette envie ni les idées qu’un passionné pourrait avoir. Tu as vu un peu lors de la dernière réunion comment tu as géré. Pourquoi tu ne continuerais pas le projet ? Je serais là pour superviser et aider puisque tu n’en as jamais fait, mais on pourrait coopérer.
— Tu es sérieuse ? demandai-je, incapable de cacher mon enthousiasme grandissant.
— Tout à fait sérieuse, répondit-elle en souriant. Je pense que tu pourrais apporter une nouvelle perspective au projet. J’ai remarqué depuis quelques années une baisse au niveau de la satisfaction des protos proposés. Tes compétences en management, combinées à ta passion pour les voitures, pourraient vraiment faire la différence. Et puis, ce serait une excellente occasion pour nous de travailler ensemble de manière plus étroite. Jusqu’ici, on s’est contenté de faire le minimum l’un pour l’autre dans l’entreprise, mais peut-être que si on voyait au-delà de notre rancœur, on pourrait réussir à nous positionner encore plus haut.
L’idée commença à prendre forme dans mon esprit.
— Ce serait un sacré défi, mais j’aime les défis. Ça pourrait être vraiment intéressant. Je pense aussi que s’entraider pourrait être une bonne idée.
— Exactement. Lorsque nous divorcerons, les actionnaires risquent d’être moins réticents s’ils voient qu’on collabore toujours ensemble. Et puis, je pense que ce projet a besoin de quelqu’un qui puisse y mettre son cœur et son âme. Quelqu’un qui puisse voir au-delà des chiffres et des statistiques, et qui puisse réellement comprendre ce que les gens veulent dans une voiture.
Je réfléchis un instant, pesant le pour et le contre. C’était une opportunité en or, mais cela demandait beaucoup de travail et de dévouement. Finalement, je souris à Victoria.
— D’accord, je suis partant. Travaillons ensemble sur ce projet.
— Fantastique ! s’exclama-t-elle, visiblement ravie de ma décision. Je suis sûre que nous ferons une équipe du tonnerre.
Nous continuâmes notre balade à vélo, discutant de nos idées pour le prototype et de la manière dont nous pourrions collaborer. Plus nous parlions, plus je me sentais excité par ce nouveau défi.
En arrivant à une petite plage isolée, nous décidâmes de faire une pause. Nous nous assîmes sur le sable, regardant les vagues déferler doucement sur le rivage.
— J’ai faim, s’exclama Victoria.
— Comme d’habitude. Mais j’approuve, j’ai faim aussi. Il y a un marchand de glace là-bas, ça te tente ?
— À ton avis ? Bien sûr que oui.
— Au fait, je serai absent de mercredi à vendredi soir.
— Pourquoi ?
— Je dois voir un client en Chine.
— Celui avec lequel on a eu des problèmes d’approvisionnement ?
— Oui. Je pars avec les achats pour négocier un nouveau contrat suite à ce qu’il s’est passé.
— Tu veux que je vienne ?
— Non. Enfin, je veux dire qu’on ne peut pas s’absenter tous les deux, repris-je devant son expression blessée.
— Tu n’as pas tort.
Nous approchâmes du marchand de glace. Il proposait de nombreux parfums qui me donnaient tous envie. Cela faisait des années que je n’en avais pas mangé. Je crois que la dernière fois, c’était avec ma mère quand j’étais enfant.
— Thomas ? m’interrogea Victoria.
— Quoi ?
— Tu veux quoi ?
— Euh… un cornet pistache et vanille, répondis-je en jetant un rapide coup d’œil à la carte.
Victoria commanda ensuite une boule de chocolat et une boule de fraise dans un cornet à deux boules. Nous nous installâmes sur un banc près du marchand de glace, savourant chaque bouchée tout en regardant les gens passer.
— À quoi tu pensais ? me questionna Victoria.
— À ma mère.
Son visage trahit sa surprise. Elle me fixait comme si j’avais annoncé le scoop de l’année. Elle finit tout de même par reprendre ses esprits et posa son regard sur l’horizon, bien qu’elle restât sous le choc, cela se voyait. Mais pourquoi l’était-elle ? Parce que je pensais à ma mère ?
— Pourquoi es-tu aussi surprise ?
— Je ne m’attendais pas à ce que tu me répondes.
— Comme ça ?
— D’habitude, tu me dis toujours « ça va », « mêle-toi de tes affaires » ou rien du tout.
— Ah. Bah oublie alors.
— Non ! Enfin je veux dire, non. Ce serait dommage.
— Pourquoi ?
— Parce que j’ai envie de te connaître. Pourquoi pensais-tu à ta mère ?
Je la fixai, ne sachant pas si je devais lui répondre ou me taire. Je ne parlais jamais de ma mère. Avec personne.
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