UN MALHEUR N'ARRIVE JAMAIS SEUL
Une semaine s’était écoulée depuis la mort de la mère.
Kiaï n’avait laissé coulé aucune larme. Il aurait pu aussi se laisser aller à quelques jours dans l’oisiveté mais que nenni il bossait dur mais a son rythme.
Plus de mère méchante pour le harceler, plus de coups de pieds dans le derrière, plus de charges de travail de plus en plus pesantes pour ses épaules trop durcies au cours des années précédentes.
La solitude n’exerçait même pas sur lui son attraction. Il n’avait de comptes à rendre à personne, travaillait comme bon lui semblait et mangeait un peu mieux.
Certes il devait faire la cuisine même si elle n’était pas toujours à la hauteur.
A présent que la vie devenait un peu plus agréable à ses yeux, Kiaï mit de côté pour un court moment son labeur et se décida à aller à la rencontre des humains dans la cité de Aripi à plusieurs lieues de là.
Il en avait entendu parler quelques fois en laissant trainer une oreille lors d’un accord conclu entre la mère et des commerçants.
Mais pour cela il lui fallait passer par la foret noire dont la rumeur évoquait un être maléfique qu’elle abritait en son sein.
Kiaï n’avait pas été bercé dans la superstition facile. Il était un rondouillard bouseux comme on dis et chose étrange les croyances populaires si chères aux classes paysannes n’avait jamais étés évoquées dans la ferme. Juste cet être obscur dans la forêt, que personne n’avait jamais vu et dont la route ne croiserait peut-être pas, il l’espérait, la sienne.
Alors qu’il n’avait jamais visité une seule fois le village à une demi heure de la ferme depuis qu’il était né, Kiaï hésita et voulut partir en balade vers celui-ci mais la cité située à une heure de marche de là semblait plus attrayante qu’un village peuplé de gens comme lui.
Il accrocha d’une main ferme sa bourse à sa ceinture qui contenait les quelques économies de la mère.
Naïf qu’il était il ne se doutât pas un instant des dangers qui pouvaient peut-être peupler le monde ni la cupidité humaine qui en faisait partie.
Non préparé a la ballade qu’il allait entreprendre il ne prit pas soin non plus de prendre le couteau aiguisé de sa défunte mère.
Sûr de lui et dans le chemin qu’il s’apprêtait a arpenter, Kiaï partit donc d’un pas ferme et résolu vers la forêt noire ; passage obligé pour atteindre la cité.
Le soleil était absent et les nuages gris. Par habitude l’humeur générale de Kiaï ne dépendait jamais du temps qu’il faisait. Ni le froid ni le vent ni la pluie n’avaient d’effet sur lui.
Les nuages se mirent a pleurer. La pluie rendant la terre boueuse et dure à pratiquer Kiaï marcha avec difficulté mais il était décidé à visiter la cité.
Peu cultivé et ne connaissant rien de ce qui dépassait de la ferme hormis quelques marchands et autres étrangers de passage Kiaï était submergé par une pensée qui tendait vers le mystère mais aussi le doute.
Dix-sept ans et pourtant aucunes connaissances dans le domaine de la promenade ni la moindre balade excédant quelques centaines de mètres en dehors de la ferme.
Toute sa vie se résumait à celle-ci et peut-être au vieux Ogir qui ne parlait jamais, enfermé dans un silence et un mutisme inquiétant.
La forêt noire pointa le bout de son nez. Kiaï y pénétra.
Au moins la pluie cesserait avec tout ces arbres.
Il marcha un long moment et finit par arriver à une intersection. Deux chemins s’offraient à lui. L’un partant à gauche et l’autre à droite.
Un piquet portant un panneau était planté au milieu. Dessus, Kiaï vit un message dans un alphabet inconnu de lui. En effet le pauvre ne savait pas lire. Cette garce ne lui avait rien appris d’autres que maltraitance et ignorance.
- Ou j’dois aller ? Se demanda t-il.
Quel que soit le chemin qu’il prendrait il risquait de se perdre. L’impulsivité le submergea et le décida à prendre la facilité.
-Eh merde. Allez çui de droite. Et si j’vois que j’arrive pas a la cité j’rebrousserais chemin.
Soudain alors qu’il allait emprunter le sentier de droite une voix aiguë interpella Kiaï.
-Hé le boulard. La cité c’est a gauche. Tu sais pas lire ou quoi ?
Kiaï tourna la tête en direction de la présence et aperçu la première fille de toute sa vie.
Il était subjugué. Cloué sur place même. Quel idée ou sentiment venait de naître dans son esprit inculte ?
- Bah qu’est-ce qu’y a ? Ta jamais vu de fille ou quoi ?
Bien que terrassé par la vision qui s’offrait a lui, l’orgueil prit le dessus et Kiaï répondit du tac au tac sans réfléchir.
-Bien sùr que si. T’es pas la première. Des filles j’en vois passer tous les jours ! Et des plus jolies que toi.
- Mais oui bien sûr et c'est pour ça que tu vas visiter la cité parce que t'es jamais sorti de ton trou hein !
- Quoi ??
La jeune inconnue avait coupé net la répartie du jeune Kiaï et surenchérit encore plus.
- Tu te crois seul au monde boulard ? J’connais c’coin comme ma poche. Le vieux Ogir et ta mère qu’est morte.
- Comment tu sais ça toi ?
-Et a part ça tu vois des filles a la pelle tous les jours dans ton trou perdu hein ? Ha ha ha !
La fille lui avait cloué le bec et Kiaï en ressentit de la frustration. La frustration de ne pas pouvoir répondre, d’avoir perdu comme une sorte de duel.
L’envie de lui foutre un gnon dans la tronche le gagna et sa colère monta d’intensité.
Mais pour une raison qu’il ignorait, Kiaï ne la touchât pas et se retenu de la frapper.
Comme si une sorte de code moral ou une force le retenait, s’imposait a lui l’arrêtant dans son intention.
Mais la frustration elle redoubla encore.
Kiaï décida alors de l’ignorer et tourna les talons en empruntant le sentier de gauche.
La petite jura et lui déclara toutes sortes de mots affectifs mais Kiaï s’en foutait. Seule comptait la cité à ses yeux.
La petite assistant a l’ignorance de Kiaï, qui est peut-être moins percutant qu’un juron mais plus subtil sur le plan humain, lui décocha par pur orgueil ou alors pour se rendre intéressante la méchanceté ultime.
-C’est ça fout le camp orphelin.
Kiaï stoppa son pas comme si le juron lui avait transpercé le coeur comme une flèche.
-Qu’est-ce ta dis là ?
-Tu t’es jamais demandé pourquoi ta mère t’avais jamais donné d’affection hein ?
Tout le monde au village le sait que t’es orphelin. Ta mère comme tu l’appelais c’était pas ta mère. Ta été recueillis boulard.
Soudain le doute le submergea puis tout devint clair dans son esprit.
Kiaï repensa alors à toutes les méchancetés et les brimades que lui infligeait la mère depuis qu’il était tout petit.
C’était une évidence.
Hélas le secret qui entourait ses origines était mort avec elle.
Au bout de quelques secondes, une larme coula le long de la joue de Kiaï. Ce dernier ne sanglota pas. Juste une larme.
La fille s’en aperçut vite et attrapa comme des remords comme si elle prit conscience de sa bêtise.
Merde ! J’ai été trop loin pensa t-elle.
La fillette qui elle aussi avait été élevée dans l’indifférence ne sut s’excuser auprès du jeune fermier et repartit donc en silence vers le village.
Kiaï resta un long moment en silence dans la forêt noire, immobilisé par la révélation. Sa journée qui s’annonçait de bonne augure venait d’être détruite par une petite pécore prétentieuse. Il savait que la vie pouvait être dure et que pour affronter l’avenir il valait mieux le faire avec fermeté.
Envahi par le chagrin et la colère il emprunta le sentier de gauche comme cette pécore lui avait dis.
Marcher lui ferait du bien. Marcher et ne penser a rien d’autre.
Il hâta le pas. La gigantesque cité était visible au loin, perchée au bord d’une falaise et que les vagues féroces en contrebas voulaient submerger.
Kiaï marcha quelques minutes sur le chemin menant à la cité puis enfin, lui fit face. Cité industrielle et marchande érigée dans un coin perdu de la région après la grande guerre. Elle pouvait apporter la fortune comme la mort.
Les marchands et les voleurs pullulaient de toute part comme de la vermine.
Kiaï fit face à une porte en métal massive haute de 5 mètres de haut composée de barreaux épais et d’apparence indestructibles.
Cette porte pouvait, à coups sûr, résister aux géants.
Nul doute que dans la bataille celle-ci défendait ses occupants.
Vers la droite, à la base de la porte, placé derrière une fenêtre composée de barreaux et assis sur un petit tabouret un être de petite taille faisait face au jeune homme et lui demanda la raison de sa venue dans la cité.
Kiaï était abasourdi. Il n’avait jamais vu de personne d’une telle taille.
L’anormalité du crane et les petits yeux de fouine du Nain lui provoquèrent un rire étouffé et moqueur.
Le Nain crut lire de l’hilarité dans le regard de Kiaï mais ce dernier se mordit la lèvre inférieure pour arrêter de pouffer et bredouilla :
- Heu … j’habite une ferme pas loin d’ici et chui jamais sorti de mon coin. J’entends parler de cte cité dpuis tout ptit et je voudrais voir a quoi ça ressemble.
Le Nain ne répondit pas et la porte massive s’ouvrit avec lourdeur.
Kiaï trépignait d’impatience devant la porte comme le cadet d’une famille aisée qui sait que ses parents vont lui offrir un cadeau mais sans en deviner le contenu ; c’était la surprise.
La porte s’ouvrit en grand et Kiaï en traversa le seuil.
A peine eut-il marché quelques pas qu’une vision de merveille architecturale s’offrit a ses yeux.
Des petites cités dans la cité, des maisons imbriquées les une dans les autres, des escaliers a n’en plus finir, des fenêtres partout.
Cette cité valait le coup d’oeil pour sur et donnait envie de s’y perdre.
Tandis qu’il marchait il aperçut au fur et à mesure des humains qui jonglaient avec des boules de différentes couleurs, d’autres qui crachaient du feu, des hommes qui récitaient un texte à un autre et qui faisaient rire le public.
Tout ce petit monde parsemait les rues de la cité.
Kiaï était émerveillé par toutes ces personnes hauts en couleur et qui faisaient des gestes étranges. Il y avait des vendeurs de pierres et de gemmes comme l’un des visiteurs nocturnes de la mère qui portait une pierre semblable au doigt et au cou.
Il vit encore d’autres personnes de petites tailles, hommes mais aussi femmes.
- Quelle espèce bizarre se dit-il. Passé quelques rues, Kiaï vit plus loin des femmes lui faire des clins d’oeil et l’appeler « chéri ». Sur l’instant il ne comprit pas tout de suite mais réflexe involontaire de son corps face au plaisir fait femme ses joues devinrent roses et il sentit dans le sud de son anatomie quelque chose durcir. L’une d’elles s’en aperçut. La femme de petite vertu vint alors le voir et lui expliqua que pour 2 pièces d’argent elle lui en ferait voir de toutes les couleurs et le ferait s’envoler jusqu’au ciel. Kiaï comprendrais bien des années plus tard le véritable sens de cette phrase. Il crut alors a un arc en ciel et n’en comprit pas le sens. La femme lut de l’incompréhension dans son regard et lui dis :
- Mon pauvre mais d’où tu sors ! Tu comprend pas ce que je te dis ?
- J’ai dix-sept ans et chui fermier lui dit-il.
La femme désigna alors du doigt la bosse qui venait de se former sous la ceinture de Kiaï et fit le geste de mettre son doigt dans le trou formé par les doigts de son autre main et le fit rentrer et sortir encore et encore.
C’était étrange mais Kiaï compris où elle voulait en venir. Le plaisir était a portée de main. Il accepta et elle l’emmena dans sa chambre. Une odeur charnelle flottait dans celle-ci. Kiaï s’allongea sur le lit et la fille de joie, sans le préparer, le chevaucha sans lui laisser le temps d’apprécier les caresses de la première fois. Il poussa des petits cris et des couinements étranglés. Elle s’en aperçut et dis a haute voix :
- Mais tu es vierge !
Bien qu’il ne connaissait pas ce mot, il hocha de la tête comme pour avoir l’air cultivé.
- Tu sais j’en ai dépucelé des plus jeunes que toi ha ha ha !
Le coït était étrange.
Le mouvement de va et vient dura un moment et à la fin Kiaï sentit quelque chose dans son membre remonter jusqu’au bout libérant une décharge d’extase jouissive.
Il ne comprit pas du tout ce qu’il venait de se passer. Aussi sec la femme de petite vertu s’enleva de lui et le réexpédia dehors.
Kiaï sortit donc de la demeure sans dire au revoir a la prostituée mais non sans l’avoir payée. Mais ne sachant pas compter il l’a soupçonna de lui avoir chapardé plus que ce qu’elle lui avait demandé auparavant.
Chamboulé et empêtré dans ses pensées qui lui submergeaient la tête il se mit à fuir dans une ruelle poisseuse et sombre. Assis par terre sur les pavés il médita un instant sur ce qu’il venait de vivre. Était-il devenu un homme ? Kiaï était un peu triste. Oui il en était devenu un mais avait perdu sa vertu anéantie par une dépravée.
Pas de mots doux ni de caresses juste un culbutage en bonne et due forme.
Avant ce moment fugace il n’avait jamais pensé aux choses de l’amour. Bouseux et inculte qu’il était. Et il regrettait de ne pas avoir put faire cela d’une manière moins sauvage.
Mais bon ce qui est fait est fait se dit-il. Kiaï se rappela la dureté de la vie. Il se releva donc et s’apprêta à repartir vers la foule essayant tant bien que mal de calculer ce qu’il lui restait de monnaie. Sa bourse était grande ouverte et ses doigts comptaient les sous. Soudain alors qu’il déduisit qu’il lui restait environ quatre pièces de couleur grise, deux ombres furtives le prirent en tenaille. L’une devant lui avec un poignard à la main pointé vers son visage et une autre derrière lui avec son couteau sous sa gorge.
- La bourse ou la vie ? dit l’une des crapules.
- Queque chose me dis que vous l’aurez quoi que je dise ou j’fasse répondit Kiaï.
- Bien déduis mon ami répondit la crapule.
Le criminel s’empara de la bourse de Kiaï puis avec son complice rouèrent de coups le pauvre fermier.
Le tabassage dura une dizaine de secondes environ mais Kiaï eu l’impression que cela dura plus. Il ne sut à l’instant ce qu’il se passait hormis qu’il souffrait.
Aucune partie de son corps ne fut épargnée. Une fois leur corvée terminée les deux ombres s’en allèrent au loin dans l’une des nombreuses ruelles de la cité.
Le jeune homme était recroquevillé par terre la tête en sang privé de ses sens. Il se serrait les bras autour de lui, les genoux replié sur son ventre comme un fœtus. La douleur lui vrillait les tempes et les côtes. Dans un moment de répit il trouva un semblant de force pour se relever debout et faire quelques pas comme le ferait un vieillard qui aurait du mal à marcher lui aussi. Il réussit tant bien que mal a rejoindre la foule mais aucune âme charitable ne lui vint en aide.
Bien que la gaieté régnait au sein de la foule pas un ne lui adressa un regard compatissant, comme si la rapine était monnaie courante et une habitude dans la cité.
Kiaï croisa le regard du nain à la grande porte d’entrée. Ce dernier, en voyant le visage tout tuméfié du jeune fermier, comprit que la cité avait fait une nouvelle victime et lui ouvrit la porte massive.
Kiaï repartit donc vers la forêt noire sans demander son dû. Le pauvre faisait peine à voir. Âme frêle dans un corps pourtant robuste. Ses vêtements étaient déchirés par endroits. La crasse s’était mélangée à son sang et faisait de drôles de tâches sur lui. Ses cheveux étaient ébouriffés et la douleur le vrillait sans arrêt. A un moment il crut même s’évanouir mais tint bon.
Il marcha d’un pas las mais arriva malgré tout à l’entrée de la forêt noire qui se tenait à environ un kilomètre de la cité. Il su tenir la faible cadence et s’engagea au hasard dans la forêt sans comprendre où il allait. Il traîna le pas usant de toutes ses forces pour tenir le plus longtemps possible mais la douleur eu raison de lui. Kiaï sentit qu’il allait s’évanouir. Il échoua comme un blessé de guerre sur le sol et cru être arrivé a la fin de son existence lorsque soudain il vit une ombre s’approcher de lui juste avant de perdre connaissance.
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