CHAPITRE 4 : Ombres et Doutes

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Lila passa le reste de la journée à tenter, en vain, de chasser Jonah de ses pensées. Habituellement, les garçons populaires, les fêtes millimétrées ou les soirées sur les gradins après un match de football résumaient sa vie sociale. Mais Jonah, avec sa voix rauque, ses yeux sombres et sa manière brute de jouer de la guitare, semblait fissurer cette routine. Il suggérait une liberté qu’elle n’avait jamais osé s’offrir.

Dans les couloirs bondés de Franklin High, l’agitation paraissait encore plus oppressante que d’ordinaire. Les casiers métalliques claquaient sèchement, les murs crème à la peinture défraîchie renvoyaient un écho strident, et l’air saturé mêlait odeurs de livres usés, de déodorant bon marché et de plat réchauffé. Lila traversait ce tumulte, son sac en cuir battant contre sa hanche, les épaules légèrement crispées.

Chloé et Emily, tout en rires aigus, marchaient à ses côtés.

— Lila ? T’es avec nous ? lança Chloé en agitant une main manucurée devant son visage.

Lila sursauta, ses joues prenant une légère teinte rosée.

— Pardon, souffla-t-elle avec un sourire forcé.

Chloé pencha la tête, une lueur curieuse dans son regard.

— Tu rêves, ma belle. Ça ne te ressemble pas. Un souci ?

Lila baissa les yeux vers le carrelage, ses doigts serrant la sangle de son sac.

— Rien de spécial… J’ai juste beaucoup de choses en tête.

Emily, mâchonnant distraitement un chewing-gum, lui jeta un coup d’œil amusé.

— Beaucoup de choses, genre un guitariste bizarre ? Je crois que c’est Jonah, non ?

Le prénom résonna dans l’esprit de Lila comme une note discordante. Elle ouvrit la bouche, mais Chloé éclata d’un rire cristallin avant qu’elle ne réponde.

— Je savais, fit Chloé, triomphante, les yeux pétillant de malice.

Lila sentit une chaleur désagréable lui monter au cou, crispant la mâchoire.

— Il ne se passe rien, lâcha-t-elle, plus sèchement qu’elle ne l’aurait voulu.

Dans sa précipitation, son sac glissa de son épaule et tomba lourdement. Les cahiers, un baume à lèvres et un vieux carnet écorné s’éparpillèrent sur le sol. Le brouhaha des alentours se fit plus intense, comme si chacun avait remarqué sa maladresse.

— Désolée, murmura Lila, les joues brûlantes, se baissant pour ramasser ses affaires.

Chloé s’accroupit à ses côtés et lui tendit le baume à lèvres. Son sourire moqueur laissa place à quelque chose de plus doux.

— Harper, souffla-t-elle, posant une main légère sur l’épaule de Lila. Souviens-toi de qui tu es. Tu n’as pas besoin de… t’encombrer.

Son ton resta vague, mais Lila comprit le sous-entendu : Jonah n’appartenait pas à leur monde.

Ces mots effleurèrent Lila comme du papier de verre. Une partie d’elle voulait les rejeter, mais l’autre, vulnérable, ne pouvait s’empêcher de s’en sentir atteinte.

Le soir, dans une chambre modeste, Jonah triturait les cordes de sa guitare Fender sans parvenir à sortir un accord satisfaisant. Les posters de Nirvana et Pearl Jam, délavés et mal accrochés, reflétaient l’ambiance incertaine de la pièce. Une odeur de cuir, de tabac froid et de bois usé flottait, rendant l’endroit à la fois familier et étouffant.

L’image de Lila revenait malgré lui : ce sourire fragile, sa façon de serrer le carnet comme un trésor. Elle n’était pas celle qu’il s’était imaginée : sous l’uniforme de cheerleader, il soupçonnait une profondeur inattendue.

La porte s’ouvrit brusquement, laissant entrer Ryan, blouson en cuir sur le dos, cigarette éteinte au coin des lèvres.

— Yo, mec. On t’attend pour la répète ; Lucas est déjà en train de râler. Tu viens ?

Jonah posa la guitare dans un soupir.

— Ouais, j’arrive.

Ryan l’observa avec un petit sourire narquois.

— C’est elle, pas vrai ? Ce genre de fille — cheerleader, reine du bal, tout ça… elles font un tour dans notre monde, puis repartent.

Jonah le dévisagea, piqué au vif.

— Faut bien qu’on les laisse entrer, sinon on ne saura jamais si c’est différent, répliqua-t-il, tentant de dissimuler son trouble.

Ryan haussa les épaules, comme s’il ne croyait pas un mot de cette hypothèse. Mais il finit par hausser un sourcil mi-amusé, mi-sérieux.

— Dépêche-toi. On a le concert qui approche, on a besoin de tous nos neurones. Les amourettes, ça peut attendre.

Chez elle, Lila se réfugia près de la fenêtre de sa chambre aux murs pastel. Le parfum sucré de son baume flottait dans l’air. Seattle scintillait au loin, un voile de brume caressant les immeubles. Elle laissa la radio jouer à bas volume, une chanson des Smashing Pumpkins en fond.

Elle saisit son carnet et commença à écrire des mots désordonnés, reflétant un tourbillon de pensées. Jonah. Ses accords imparfaits. Son regard un peu trop intense. Une promesse de sortie de route. Lila sentait un mélange d’angoisse et d’excitation : si elle dépassait les limites imposées, jusqu’où oserait-elle aller ?

Le lendemain, près du terrain de sport, leurs chemins se croisèrent. Jonah était adossé à un arbre, étui de guitare à ses pieds, l’air faussement détaché. L’odeur d’herbe fraîche et de craie émanait des abords du terrain.

— Salut, cheerleader, lança-t-il, sa voix rauque teintée d’ironie.

Lila retint un petit frisson.

— Salut, répondit-elle, esquissant un sourire légèrement défensif.

Jonah joua machinalement avec la fermeture de l’étui. Ses yeux sombres semblaient chercher des mots.

— T’es occupée ce soir ?

Lila haussa un sourcil, amusée par son faux air détaché.

— Possible. Pourquoi ?

Un sourire en coin apparut sur le visage de Jonah.

— On répète. Dans le garage de Ryan. Si tu veux entendre de la musique qui sort de ton univers, tu peux passer. Ou pas.

Elle hésita. Son esprit pesait la sécurité de son quotidien et l’attrait de ce qu’il lui proposait, un monde plus chaotique mais terriblement vivant.

— Peut-être, laissa-t-elle finalement tomber, un sourire énigmatique aux lèvres.

Jonah hocha la tête, sans laisser transparaître ce qu’il ressentait vraiment.

— Alors, à tout à l’heure… ou jamais, ajouta-t-il, sa voix se voulant désinvolte.

Il s’éloigna à pas mesurés, et Lila resta un instant, le cœur étrangement serré. Elle le regarda disparaître dans la foule étudiante, sentant son pouls accélérer.

En tournant le dos au terrain, elle savait déjà qu’un choix se dessinait : continuer à tout orchestrer parfaitement ou accepter d’entrer dans la musique incertaine de Jonah. Et, malgré la crainte, elle se surprit à espérer faire un pas de plus vers l’inconnu.

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