CHAPITRE 6 : Entre les Lignes

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Les jours suivants, au lycée, furent marqués par une étrange dualité pour Lila. Chaque matin, elle reprenait son rôle de capitaine des cheerleaders : sourire affiché, encouragements calculés, conversations superficielles avec Chloé et Emily. Mais chaque soir, une petite étincelle dans son esprit la ramenait à Jonah, à sa musique, à sa promesse d’une mixtape.

Elle se surprenait à ressasser la façon dont Jonah la regardait, comme s’il voyait au-delà de son masque. Elle-même se sentait « parfaite » uniquement en surface, répétant jour après jour la même performance. Mais Jonah… percevait-il vraiment ce qu’elle dissimulait, ou n’était-ce qu’un mirage projeté par ses propres envies ? Ces pensées l’intriguaient autant qu’elles l’agaçaient. Depuis quand se souciait-elle de l’avis de quelqu’un qui ne faisait pas partie de son monde codifié ?

Le prochain match de football approchait, et avec lui, la perspective d’un show de cheerleaders décisif pour leur réputation. Malgré cela, Lila s’accrochait à une autre idée : faire sa propre mixtape pour Jonah, un pont entre leurs univers. Elle y glissa quelques titres pop qu’elle adorait (Whitney Houston, Janet Jackson), espérant qu’il en saisirait la sincérité. Mais en plaçant la dernière cassette dans l’étui, elle sentit un doute la traverser. Si Jonah lisait réellement entre les lignes, serait-elle prête à ce qu’il découvre ?

Dans la cafétéria, Chloé et Emily la rejoignirent à leur table habituelle. Tout près, l’équipe de football occupait plusieurs tables, brandissant leurs blousons universitaires, leurs voix couvrant presque les conversations avoisinantes. Entre deux gorgées de soda, Chloé parlait des derniers détails du show qu’elles devaient exécuter avant le match. Lila, elle, fixait son plateau, la salade entamée à peine.

— OK, j’aborde le sujet que tout le monde évite, lança soudain Chloé, interrompant son monologue sur les uniformes et la chorégraphie.

Lila releva les yeux, surprise.

— De quoi tu parles ?

Chloé lui jeta un regard mi-curieux, mi-sérieux.

— Qu’est-ce qui se passe exactement avec toi et Jonah ?

Emily, à ses côtés, se pencha, les yeux brillants comme si elle attendait un potin croustillant.

— On t’a vue discuter avec lui après ce concert… et depuis, tu nous caches tout !

Lila sentit son estomac se nouer, mais afficha un sourire contrôlé.

— Il ne se passe rien de spécial, répondit-elle, cherchant à paraître détachée. On est juste… amis.

Chloé rit d’un ton un peu trop aigu :

— Amis ? Avec un type qui écoute Nirvana en boucle et traîne dans un garage ? Depuis quand ?

Lila serra légèrement sa fourchette.

— Depuis que j’ai envie, OK ?

Le visage de Chloé se ferma un instant, comme si elle peinait à reconnaître cette assurance chez Lila.

— Fais ce que tu veux, concéda-t-elle finalement, plus posée. Mais fais attention, Lila. On a un match crucial à préparer, et ce Jonah n’est pas comme nous. Il pourrait te détourner de tes priorités.

Un bref silence s’installa. Lila sentit une pointe de contrariété monter en elle.

— Peut-être que c’est ce que je cherche, lâcha-t-elle à mi-voix, le regard fuyant.

Chloé et Emily échangèrent un regard, sans insister. Le message était clair : Lila poussait une porte qui leur échappait.

Pendant ce temps, Jonah s’était isolé dans une salle de classe vide, guitare acoustique sur les genoux. Le prof de musique, fan inconditionnel du grunge, lui avait prêté l’endroit pour qu’il puisse composer au calme. Mais ses doigts, d’ordinaire si sûrs, peinaient à trouver la bonne suite d’accords. Ses pensées retournaient sans cesse à Lila, à son sourire poli qui dissimulait quelque chose de plus profond.

Il se mit à gratter quelques notes, mais la mélodie sonnait creux.

— Concentre-toi, marmonna-t-il, frustré.

Il griffonna deux ou trois paroles inabouties dans un vieux carnet, puis s’apprêtait à partir lorsque la porte s’ouvrit en un grincement discret. Lila apparut, les joues légèrement rosies, une cassette à la main.

— Salut, dit-elle à voix basse, comme si elle avait peur de déranger.

Jonah se redressa, surpris.

— Salut. T’as séché un cours pour venir ici ?

Elle haussa les épaules, refermant la porte.

— J’avais une pause libre. Et puis, j’ai vu de la lumière… J’ai deviné que tu pouvais être là.

Un silence s’installa, rempli par les bruits lointains des couloirs : casiers qui claquent, murmures, rires étouffés. Finalement, Lila sortit la cassette de son sac et la lui tendit.

— C’est pour toi, expliqua-t-elle, un brin nerveuse. Ma mixtape. Peut-être que ça va te paraître ringard, mais… c’est ce que j’écoute. Ce que j’aime.

Jonah leva un sourcil amusé en lisant quelques titres griffonnés.

— Whitney Houston, Janet Jackson… t’es sérieuse ?

Lila esquissa un sourire timide.
— Si tu survis à ça, tu pourras dire que tu as élargi tes horizons musicaux.

Jonah rit doucement, glissant la cassette dans la poche de sa veste.

— OK, cheerleader. Je l’écouterai. Mais tu dois me promettre un truc : si je tiens le coup jusqu’au bout, tu viens au garage pour écouter nos nouveaux morceaux, sans te défiler.

Les lèvres de Lila s’étirèrent en un sourire qui dépassait le simple défi.

— Deal.

Jonah ferma son carnet et s’appuya contre le rebord de la table, la dévisageant d’un air intrigué.

— Merci pour ça. Je veux dire, c’est cool de partager ton univers avec moi.

Elle haussa les épaules, un peu gênée.

— C’est réciproque, tu sais. Ta musique… ça m’ouvre aussi les yeux sur autre chose.

Le silence qui suivit résonnait d’une complicité naissante. Finalement, Lila jeta un coup d’œil à la guitare posée près de Jonah.

— Alors, tu me montres sur quoi tu travaillais ? Je peux essayer de t’aider à y voir plus clair.

Jonah hésita un instant, cherchant ses mots.

— D’accord, fit-il en attrapant sa guitare. Mais pas de faux compliments, d’accord ?

Elle opina, un air sérieux sur le visage, avant de lui sourire doucement. Jonah pinça les cordes, libérant une mélodie douce et mélancolique. Chaque note semblait refléter son trouble intérieur. Lila ferma les yeux, se laissant bercer par ce son imparfait mais sincère.

Pour la première fois depuis des jours, elle sentit qu’elle cessait de calculer qui elle devait être. Dans cette salle de classe banale, deux mondes si éloignés se frôlaient au rythme d’une guitare hésitante — et c’était comme un vent de liberté qu’elle n’aurait jamais cru possible.

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