CHAPITRE 7 : Les Murs Invisibles

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La mélodie de Jonah s’éteignit lentement, le dernier accord résonnant comme un souffle ténu qui refusait de mourir. Dans la petite salle de répétition du lycée Franklin High, Lila, assise en tailleur, ouvrit les yeux et plongea son regard dans celui de Jonah. Un sourire sincère éclaira son visage.

— C’était… magnifique, dit-elle doucement.

Jonah resta un instant immobile, les doigts encore posés sur les cordes de sa guitare, arborant quelques autocollants fanés de groupes des années 80 comme Mötley Crüe ou Van Halen.

— Tu le penses vraiment ? demanda-t-il, comme s’il n’avait pas l’habitude d’entendre des compliments.

— Oui, répondit Lila, la voix claire. Tu devrais le jouer à quelqu’un d’important. Genre… un vrai public.

Il secoua la tête, un demi-sourire incrédule sur les lèvres.

— C’est un peu trop brut pour un public. Mais merci.

Un bref silence s’installa, jusqu’à ce que la sonnerie métallique, semblable à un vieux klaxon d’usine, retentisse dans ce lycée du début des années 90. Lila soupira.

— Je suppose qu’on doit retourner en cours, murmura-t-elle.

Jonah acquiesça. Avant qu’elle ne franchisse la porte, il la remercia d’un ton un peu trop sérieux.

— Merci d’être venue.

Elle se retourna, la main sur la poignée, et lui sourit.

— Merci de m’avoir laissée écouter.

Puis elle s’éclipsa, le cœur battant plus vite que d’habitude, comme si la vibration de la guitare courait encore dans ses veines.

Mais la magie du moment se volatilisa à peine Lila eut rejoint le couloir au néon blafard. Elle tomba sur Chloé et Emily, qui semblaient l’attendre. Chloé, frange parfaitement laquée, planta aussitôt son regard pétillant sur Lila :

— Où étais-tu ? lança-t-elle d’emblée, sans attendre de réponse.

— J’étais… en train de prendre l’air, répondit Lila, tentant d’éviter un affrontement.

Emily et Chloé échangèrent un regard, avant que Chloé ne croise les bras :

— D’accord, ça suffit. Tu nous snobes depuis ce matin, et tu sembles complètement ailleurs. Dis-nous la vérité : tu étais avec Jonah, pas vrai ?

Lila hésita. Mentir n’était pas son truc, mais elle savait que Chloé ne comprendrait pas.

— Oui, je lui ai parlé, finit-elle par admettre.

— Oh mon Dieu, Lila ! s’exclama Chloé, levant les yeux au ciel. Pourquoi tu t’abaisses à traîner avec ce type ?

— Il n’a rien fait de mal, répliqua Lila, arquant un sourcil. Tu ne le connais même pas.

— Et toi non plus ! rétorqua Chloé, la voix plus pressante. Tu es Lila Harper, la capitaine de l’équipe de cheerleaders, future reine du bal, tout ça. Tu es censée traîner avec nous, pas… là-bas, avec lui.

Un courant de colère commençait à monter en Lila. Elle avait supporté les jugements pendant des années, mais cette fois, c’en était trop. Un flash lui revint : le match important qui approchait, les entraînements incessants, les attentes insupportables…

En rentrant chez elle, elle se laissa tomber sur son lit recouvert d’une couette bariolée. Les mots de Chloé (« Tu nous fais passer pour des idiotes ») résonnaient encore. Elle voulut hurler que c’était injuste, mais une petite voix intérieure murmurait : Et s’ils avaient raison ?

— Suis-je égoïste ? se demanda-t-elle tout haut, avant qu’une détermination naisse en elle : Non, tu te choisis enfin.

— Peut-être que je ne veux pas être “Lila Harper” tout le temps…, lâcha-t-elle d’un ton amer, serrant les poings sur la couette.

Le lendemain, Jonah non plus n’échappa pas aux interrogations. Tôt le matin, il rejoignit Ryan et Lucas dans le garage de ce dernier pour répéter, car ils avaient un petit concert à donner lors du week-end prochain. Sitôt qu’il poussa la porte, Ryan, baguettes en main, le mit en joue :

— Alors, c’est quoi ton délire avec Lila Harper ? fit-il, en tapotant la caisse claire comme s’il cherchait le tempo d’un vieux morceau.

Jonah, concentré sur l’accordage de sa guitare, préféra l’ignorer d’abord, mais Ryan insista :

— Sérieux, mec, elle est tout ce que tu dis détester : populaire, toute lisse, accrochée aux apparences…

Jonah leva les yeux vers lui, le regard calme, mais on sentait la tension dans sa mâchoire.

— Peut-être qu’elle n’est pas ce que tu penses, lâcha-t-il, plus sec qu’il ne l’aurait voulu.

Lucas, qui vérifiait un ampli usé tout en sifflotant un riff de Guns N’ Roses, intervint :

— Si elle est vraiment différente, tant mieux. Mais fais gaffe, Jonah. Son monde, c’est pas le nôtre. Ces gens-là jugent tout ce qui ne leur ressemble pas.

Jonah resta silencieux, les doigts serrés sur le manche de sa guitare. Il savait que Ryan et Lucas n’avaient pas tort, mais il ne voulait pas croire que Lila ne soit qu’une pom-pom girl superficielle.

— Je peux gérer, fit-il finalement, d’une voix basse.

Ryan haussa les épaules, peu convaincu, et la répétition reprit dans un fracas d’accords saturés, chacun un peu désynchronisé, comme si les doutes de Jonah avaient contaminé leur session.

Le lendemain, un peu avant la sonnerie, Lila aperçut Jonah près du parking du lycée. Adossé à sa vieille voiture, un modèle usé des années 80, il portait un walkman autour du cou et tenait un carnet noir contre sa hanche. Le murmure lointain d’une radio locale grunge parvenait depuis la fenêtre baissée.

Serrant son sac à dos orné de quelques badges (Madonna, Bon Jovi, etc.), elle s’approcha, un sourire timide aux lèvres.

— Tu écris toujours ?

Jonah releva la tête, comme surpris de la voir, mais un léger éclair de plaisir traversa son regard.

— Presque tout le temps. C’est ma thérapie, on va dire.

Lila s’arrêta à un mètre de lui, jouant machinalement avec la sangle de son sac.

— Je crois que j’aurais besoin d’une thérapie, moi aussi, plaisanta-t-elle, même si sa voix restait un peu nerveuse.

— Vraiment ? Toi ? s’étonna Jonah, sans méchanceté.

— Oui, reprit-elle en haussant les épaules. Ce n’est pas toujours facile d’être celle que tout le monde attend que je sois. Je sens qu’on me regarde, qu’on me jauge… Chloé, l’équipe, tout ça…

Jonah l’observa un instant, puis referma son carnet d’un geste lent.

— Parfois, je me demande si toi et moi, c’est possible. On n’a pas grandi dans le même univers.

Lila eut un petit sourire, mêlé d’incertitude.

— Peut-être… mais ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas essayer, non ?

Un bref silence s’installa. Jonah baissa les yeux un instant, comme s’il cherchait les mots justes.

— Je sais… C’est juste plus simple à dire qu’à faire, murmura-t-il.

Il hocha la tête, esquissant un sourire retenu.

— Alors, commence petit. Fais un truc qui te fasse plaisir, même si ça ne rentre pas dans leur plan.

Les paroles de Jonah résonnèrent en Lila, qui sentit une audace nouvelle la gagner.

— Tu as raison, souffla-t-elle, tout bas, comme une promesse qu’elle se faisait à elle-même.

Elle releva les yeux, plus déterminée.

— Et toi, Jonah ? Qu’est-ce que tu veux vraiment ?

Il la fixa, silencieux, comme s’il pesait chaque mot.

— Toi, finit-il par dire, la voix grave et douce, comme un aveu risqué.

Le cœur de Lila s’emballa. L’instant sembla se figer, suspendu comme une note encore vibrante. Une voiture passa, ronronnant près d’eux, rappelant la réalité. Lila recula d’un pas, les joues rouges, mais un sourire radieux éclairait son visage.

— On se revoit plus tard, dit-elle doucement, son sac cognant légèrement contre sa hanche à chaque pas. Et merci, Jonah…

Il la regarda partir, son aveu résonnant encore dans l’air. Il savait que tout pouvait se compliquer désormais — Chloé, Ryan, les différences de leurs mondes. Mais, pour la première fois, il n’avait pas envie de jouer la sécurité.

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